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Auto rétro : Lamborghini P400 Miura, comme au cinéma
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Auto rétro : Lamborghini P400 Miura, comme au cinéma

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La même voiture, la même couleur orange, la même route de col… Nous revivons la célèbre scène d’ouverture du film L’or se barre, avec la Lamborghini Miura qui a été utilisée sur le tournage, en 1968, dans la vallée d’Aoste, en Italie.

Je dois rêver. Nous venons de franchir les 305 m du viaduc de Dardanelli et arrivons aux premières épingles à cheveux du col du Grand-Saint-Bernard, à bord d’une Lamborghini Miura Rosso. Je dois rêver… Après tout, la voiture finit bien par s’empaler sur un bulldozer Caterpillar D7171A ? Non, bien sûr, car nous savons tous que la Lamborghini qui plonge dans le ravin quelques minutes seulement après le début du film L’or se barre (The Italian Job, en VO), de Peter Collinson, est une coque sans moteur.

Jusqu’au début de l’an dernier, le sort de la voiture pilotée par l’initiateur du casse, Jean Michaud (Rossano Brazzi) était sujet à spéculations. Mais plus maintenant : la P400 Miura de ces pages a été certifiée par le Polo Storico de Lamborghini comme étant celle du film, et c’est probablement la première fois qu’elle revient sur la route du Grand-Saint-Bernard depuis le tournage, en 1968.

Les « persiennes » à l’arrière sont un trait de style et une solution pratique pour le refroidissement du V12 tout en le protégeant de la pluie.
Les « persiennes » à l’arrière sont un trait de style et une solution pratique pour le refroidissement du V12 tout en le protégeant de la pluie. Olgun Kordal Paramount Pictures David Wynn Jones

Il en va de même pour le conducteur, Enzo Moruzzi, le responsable de Lamborghini qui conduit la voiture, sauf dans les scènes où l’on voit Brazzi portant les célèbres lunettes Renauld Mustang et fumant l’inévitable cigarette : il est filmé par une caméra montée sur la porte. « La dernière fois que j’ai conduit cette voiture, c’était le 29 juin 1968, sourit le septuagénaire. J’avais 26 ans. Je suis parti le jeudi, nous avons préparé la voiture avec les caméras le vendredi, filmé toute la journée du samedi, et le dimanche je suis rentré au volant à Sant’Agata. »

Les phares escamotables ajoutent à la pureté de la ligne de la Miura.
Les phares escamotables ajoutent à la pureté de la ligne de la Miura. Olgun Kordal Paramount Pictures David Wynn Jones

Avec son pull portant la marque Lamborghini sous un long manteau noir, Moruzzi est aussi chic qu’animé : une boule de nerfs, les yeux brillants et les mains s’agitant à la manière italienne. Ah ! les mains ! La façon dont il manipule le volant est étrangement familière : affirmée, respectueuse, caressant la jante en cuir et ne se croisant jamais malgré les virages très serrés que nous rencontrons. Ce sont elles que l’on voit dans les plans vus de l’intérieur, lors de l’ascension du col.

« Le caméraman était sur le siège passager et me criait de me reculer aussi loin que possible, se souvient-il. Quand le film est sorti, en 1969, j’ai emmené ma fiancée le voir. Elle ne savait pas que j’avais été filmé mais quand elle a vu la séquence elle s’est exclamée : “Mais ce sont tes mains !” »

Une fin de scène inattendue

La scène de la Miura dure à peine quatre minutes (en grande partie perturbées par les titres du générique) avant son funeste destin devant les nervis du boss de la mafia Jacques Beauchey (Raf Vallone). Pourtant, elle reste dans toutes les mémoires. Encore aujourd’hui, je défie quiconque de passer un col des Alpes sans s’imaginer au volant d’une Miura, ou sans fredonner l’air de On Days Like These chanté par Matt Monro.

A cause de la combinaison de cette chanson mélodieuse de Quincy Jones et du paysage grandiose, l’issue de la scène est totalement inattendue. Ainsi, le réalisateur Peter Collinson place le film un cran au-dessus des films policiers habituels. L’histoire de la Miura est aussi connue que le film, mais il est bon de rappeler le formidable accomplissement qu’elle a représenté : initiée par Ferruccio Lamborghini, constructeur de tracteurs ayant décidé de concurrencer Ferrari, conçue par Gianpaolo Dallara et dotée d’un moteur signé Giotto Bizzarrini.

La disposition astucieuse du V12 permet une forme compacte.
La disposition astucieuse du V12 permet une forme compacte. Olgun Kordal Paramount Pictures David Wynn Jones

Mais c’est la connexion avec Bertone, et en particulier son jeune styliste Marcello Gandini, qui a débouché sur sa forme incroyable et posé les bases d’une dynastie d’extraordinaires supercars. Dévoilée sous forme de châssis au Salon de Turin 1965, elle affichait, un an plus tard, à Genève, son étonnante carrosserie et, en 1967, les premiers exemplaires quittaient l’usine de Sant’Agata Bolognese. L’accueil réservé à cette fusée routière annoncée pour 275 km/h (260 est sans doute plus réaliste) a été tel que les 20 voitures prévues par an se sont transformées en 108 exemplaires les 12 premiers mois.

Ce qui ne l’a pas empêchée de rester rare, même si son apparition à l’écran a contribué à la faire connaître. La majorité des Fiat Panda que nous doublons sur la route de Saint- Rhémy-en-Bosses, où a été réalisée la plus grande partie du tournage, sont des Italiens du coin qui n’ont sans doute jamais vu le film. Mais un conducteur de Jaguar XJ40 reste bouche bée en nous voyant passer.

Le V12 de la Lamborghini P400 Miura donne de la voix dans les virages

Bien qu’il ait travaillé chez Lamborghini presque quarante ans, de juillet 1966 à juillet 2004, il y a longtemps que Moruzzi n’a pas pris le volant d’une Miura et il est, au début, très prudent, maniant avec précaution la boîte encore froide. Mais l’huile se réchauffe, Moruzzi retrouve le rythme et le régime augmente : « Maintenant, elle chante comme dans mes souvenirs », dit-il alors que le V12 donne de la voix dans les virages de la montée.

Quelques repères visuels apparaissent, comme l’ancien hospice, contribuant à ce qui est sans doute le plus beau spectacle automobile : des montagnes qui se profilent dans l’écrin formé par le capot et l’arrondi des ailes. Le décor a peu changé, malgré la présence de rails de sécurité et l’absence de neige. Tout en maniant le levier de vitesse sur la grille à six branches (refaite teinte or pour répondre à la fiche de fabrication d’origine), Moruzzi rappelle comment il est passé de la responsabilité de clients VIP à une participation au film.

Corrado Lopresto (à droite) se plonge dans les archives de Sant’agata.
Corrado Lopresto (à droite) se plonge dans les archives de Sant’agata. Olgun Kordal Paramount Pictures David Wynn Jones

« J’étais directeur des formalités de douane et d’immatriculation, et donc intermédiaire entre l’administration et les bureaux commerciaux, explique-t-il. Le directeur commercial Ubaldo Sgarzi envoyait les commandes à Bertone, et quand les voitures revenaient à l’usine, mon travail était de noter les références de couleurs, les numéros de châssis et moteur, et de les faire immatriculer. J’ai dû m’occuper de 6 000 à 7 000 voitures dans toute ma carrière. Le producteur de Paramount Pictures est venu à Sant’Agata vers avril-mai 1968, nous expliquant qu’il cherchait une voiture à détruire. Sgarzi est allé au Reparto Assistenza [département réparation, NDLR] et a trouvé une Miura Rosso accidentée, déjà débarrassée de ses plaques de châssis. Ils ont déposé le moteur et le propriétaire a acheté une Miura neuve avec les mêmes numéros de châssis et de moteur pour éviter les droits de douane ! Quand le tournage a commencé, en juin 1968, nous avions besoin d’une voiture qui corresponde. Celle-ci était sur la ligne de production, dans la bonne couleur. Bien qu’elle soit appelée officiellement Rosso, la teinte est en fait orange : M. Lamborghini voulait un rouge dans son nuancier, mais qui soit différent du rouge Ferrari. Nous avons pris la voiture sur la chaîne, le pilote d’essai a effectué les 100 km de la procédure, puis j’ai posé des plaques Prova et l’ai conduite de Bologne à Aoste – plus de 400 km. Je faisais attention car elle devait être livrée comme étant neuve ; nous avons déconnecté le compteur pour ne pas augmenter le kilométrage, ce qui explique pourquoi l’aiguille ne bouge pas dans le film. »

Le cuir blanc des sièges éclaire le sombre habitacle de la Miura. le compteur avait été déconnecté pendant le tournage pour ne pas augmenter le kilométrage de la voiture, qui était censée être livrée neuve.
Le cuir blanc des sièges éclaire le sombre habitacle de la Miura. le compteur avait été déconnecté pendant le tournage pour ne pas augmenter le kilométrage de la voiture, qui était censée être livrée neuve. Olgun Kordal Paramount Pictures David Wynn Jones

Des sièges en cuir blanc

En regardant les photos du tournage, on se demande comment la voiture n’a pas été abîmée par les planches, cordes et sangles utilisées par Heath Robinson pour fixer ses supports de caméra. « J’ai aussi demandé à l’usine de remplacer les sièges, car ils risquaient de se salir, rappelle Moruzzi. Mais vous pouvez voir les appuie-tête blancs dans le film. » Ce détail se révélera plus tard très important pour confirmer l’identité de la voiture.

Comme la plupart des premières Miura, celle-ci (châssis 3586) avait été commandée avec du vinyle noir, mais à partir de la voiture n° 165 une option cuir a été proposée, et la commande a été modifiée pour du cuir blanc : c’est la seule des trois Miura Rosso produites en juin 1968 dans cette configuration. Une fois son rôle terminé, elle a été livrée le 2 juillet 1968 à Zani, distributeur à Rome.

Enzo Moruzzi avec une plaque Prova.
Enzo Moruzzi avec une plaque Prova. Olgun Kordal Paramount Pictures David Wynn Jones

Sept propriétaires italiens plus tard, elle est partie, en 2013, en France, où des rumeurs ont commencé à circuler sur son passé, après que le négociant Eric Broutin avait remarqué son inhabituelle combinaison de teintes. Il a commencé à constituer un dossier, enrichi par les propriétaires suivants – les Anglais Keith Ashworth et Iain Tyrrell –, et qui a constitué la base d’une recherche plus récente et plus définitive, effectuée après la cession de la voiture en 2018 au propriétaire actuel Fritz Kaiser, au Liechtenstein.

La superbe Miura se détache dans le magnifique paysage alpin. Cette fois-ci, elle ne connaîtra pas la même fin tragique que dans le film de Peter Collinson.
La superbe Miura se détache dans le magnifique paysage alpin. Cette fois-ci, elle ne connaîtra pas la même fin tragique que dans le film de Peter Collinson. Olgun Kordal Paramount Pictures David Wynn Jones

En plus de sa signification historique, ce cuir blanc éclaire l’habitacle par ailleurs très noir. Derrière le volant se trouvent le compteur de vitesse et le compte-tours, alors que la console centrale, tournée vers le conducteur, porte six petites jauges. Quand nous approchons de l’entrée du tunnel, Moruzzi lève le bras pour atteindre la commande de phares fixée sur le toit. Plongés dans la pénombre, nous écarquillons les yeux pour guetter un éventuel bulldozer, mais, bien sûr, la voiture surgit indemne de l’autre côté.

Nous poursuivons la montée pendant encore quelques virages, jusqu’à 2 473 m et la frontière avec la Suisse. Nous arrêtons la voiture, comme l’a fait Moruzzi en 1968 : « Nous ne pouvions pas passer en Suisse, à cause des plaques Prova [masquées pour le film, NDLR]. »

La superbe Miura se détache dans le magnifique paysage alpin. Cette fois-ci, elle ne connaîtra pas la même fin tragique que dans le film de Peter Collinson.
La superbe Miura se détache dans le magnifique paysage alpin. Cette fois-ci, elle ne connaîtra pas la même fin tragique que dans le film de Peter Collinson. Olgun Kordal Paramount Pictures David Wynn Jones

Nous en profitons pour ouvrir les capots avant et arrière qui révèlent un châssis abondamment perforé pour l’alléger. « Le vrai père de la Miura était Dallara », affirme Moruzzi, plein de respect pour cet ingénieur talentueux. Concevoir une voiture aussi basse et aussi compacte était une vraie performance, obtenue en grande partie grâce au V12 monté transversalement au-dessus de la boîte de vitesses, dans le style de la Mini, avec un carter commun.

Un jour comme celui-là…

Enzo Moruzzi a le gabarit parfait pour la Miura. Pas moi (ni tous ceux qui mesurent plus de 1,8 m), mais elle vaut l’effort d’y prendre place, les genoux autour des oreilles et la tête dans le pavillon. Le bourdonnement du démarreur est suivi d’un lancement réticent (pas trop d’accélérateur, la rampe de trois Weber inversés a la réputation de prendre feu spontanément) avant que le V12 de 3 929 cm3 à 60° se mette en route en grognant.

A froid il est récalcitrant, bougon, rappelant le taureau à qui la voiture doit son nom, et les premiers mètres s’accompagnent d’un mélange de chant de transmission, murmure de chaîne de distribution et grondement d’échappement.

Les commandes sont dures, le levier de vitesse, l’embrayage et même l’accélérateur réclamant des mouvements affirmés, mais c’est une voiture dans laquelle vous trouvez rapidement votre place en enchaînant les courbes de cette belle route (mais toujours conscient de sa valeur).

Ne pas accélérer serait toutefois manquer une occasion unique et, une fois passé les 3 000 tours, le hurlement du V12 vous envahit : ce n’est pas le chant harmonieux d’une Ferrari contemporaine, mais quelque chose de plus sauvage, qui correspond à la personnalité animale de cet outsider qui est devenu un pionnier du genre.

Le compte-tours jusqu’à 10 000 tr/mn n’affiche pas de zone rouge, mais nous nous limitons à 6 000, soit 1 000 tours en-deçà de sa puissance maxi de 350 ch et, avec un mur de pierre d’un côté et le vide de l’autre, nous n’irons pas non plus chatouiller le compteur de vitesse gradué jusqu’à 320 km/h.

Si vous poussez un peu la voiture en courbe, les limites de cette première supercar apparaissent. Les freins Girling semblent faibles et la combinaison d’un châssis flexible (renforcé avec du métal plus épais sur les versions ultérieures), la voie étroite et le moteur haut, au-dessus de la transmission, vous donnent conscience de la masse qui repose sur les Pirelli Cinturato VR15 de 215/70 relativement étroits qui chaussent les superbes jantes Campagnolo en magnésium.

Mais la suspension triangulée est souple et la direction, un plaisir. Le volant assez horizontal est fluide entre les mains et revient progressivement en ligne quand le virage s’ouvre et que vous pouvez relancer l’enivrant V12 et vous imprégner, une fois de plus, de la voix obsédante de Matt Monro.

Une pureté de ligne impossible à égaler

Les versions S et SV ultérieures disposent de plus de puissance, d’une voie arrière plus large, de pneus plus gros et de meilleurs freins, et sont donc plus recherchées, mais pour ce qui est de la pureté de ligne, la première P400 est impossible à égaler. Avec ses célèbres « cils » de phares et sa forme fine et ramassée, c’est le plus beau dessin tracé par le crayon prolifique de Gandini.

D’ailleurs, elle a instantanément séduit les directeurs de casting et a été immédiatement sollicitée pour le cinéma. Pour Moruzzi, c’était une activité fascinante : « Pour toutes les Lamborghini que vous voyez dans les films des années 60 et 70, c’est moi qui suis au volant. Je me suis lié d’amitié avec les acteurs (j’étais dans le même hôtel que Brazzi et Valone, à Aoste) et ils m’ont encouragé à être payé comme un acteur car j’apparaissais dans le film. Je me souviens d’un autre film où quelqu’un faisait cadeau d’une Miura à sa maîtresse, mais elle était jouée par Mariangela Melato qui ne pouvait pas la conduire : j’ai dû porter une robe et une perruque et circuler dans Rome ! Après cela, l’usine m’a envoyé sur de nombreux tournages avec des Miura et des Espada. C’était super ! »

La superbe Miura se détache dans le magnifique paysage alpin. Cette fois-ci, elle ne connaîtra pas la même fin tragique que dans le film de Peter Collinson.
La superbe Miura se détache dans le magnifique paysage alpin. Cette fois-ci, elle ne connaîtra pas la même fin tragique que dans le film de Peter Collinson. Olgun Kordal Paramount Pictures David Wynn Jones

L’or se barre était et sera toujours une aventure à base de Mini, mais la scène d’ouverture est souvent considérée comme la plus marquante, peut-être aussi parce que personne ne connaissait encore la Miura. Il n’est guère étonnant qu’elle ait été choisie car, il y a cinquante ans, elle devait sembler plus proche d’une soucoupe volante que d’une simple automobile. Et même aujourd’hui, elle parvient encore à surprendre. Quelle beauté !

*Article publié, à l’origine, dans le n°85 du magazine Classic & Sports Car. → www.classicandsportscar-magazine.fr
*Article publié, à l’origine, dans le n°85 du magazine Classic & Sports Car. → www.classicandsportscar-magazine.fr DR

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