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Zurich, une ville qui revient de loin - The Good Escape
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The Good Business

Zurich, une ville qui revient de loin

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Zurich est passée, en moins de 30 ans, de plaque tournante de la drogue en Europe au sommet du classement des villes où l'immobilier est le plus cher du monde.

• Les sommets de l’immobilier.

Zurich apparaît en cinquième position dans les classements des villes où l’immobilier est le plus cher, derrière Monaco, Hong Kong, Londres et Singapour. Les prix y oscillent entre 11 000 et 20 000 € le mètre carré, avec des pointes à 25 000 €, par exemple pour une maison contemporaine de 450 m2 avec piscine intérieure, terrasses et vue imprenable sur le lac. Selon Benjamin Dähl, de l’agence Engel & Völkers, on trouve, au top du marché des appartements, le haut de la vieille ville datant du Moyen Age, les abords du lac et les tours d’habitation ultramodernes de Zurich-Ouest.

Pour les maisons, priorité à la rive droite du lac, ensoleillée et surnommée la « Gold Coast », où Tina Turner a son manoir et la mécène Maja Hoffmann, sa maison dessinée par Marcel Breuer. Mais même les biens situés dans des quartiers légèrement plus excentrés, comme Hottingen, Fluntern, Hirslanden ou Oberstrass, valent entre 12 000 et 18 000 € le mètre carré. Notons que les étrangers ne peuvent plus acheter une résidence secondaire à Zurich : ils doivent être résidents et travailler sur place pour se porter acquéreurs.

Le funiculaire Polybahn.
Le funiculaire Polybahn. Young-Ah Kim

Enfin, la fiscalité locale contraint les propriétaires à ajouter à leur revenu imposable le prix de location fictif de leur bien, et à payer un impôt sur les plus-values (de 50 % à 20 % selon la durée de détention) en cas de revente non suivie d’un rachat dans le canton. Ces contraintes, ainsi que le niveau des prix, expliquent pourquoi la grande majorité des Zurichois sont locataires. Il faut compter entre 25 et 35 € du mètre carré par mois, et jusqu’à 50 € pour les appartements les plus chic. Soit 2 500 à 5 000 € par mois pour un 100 m².

Mais la part du logement social est importante : 50 000 appartements appartiennent à des fondations ou coopératives sans but lucratif, qui ont souvent construit sur des terrains cédés par la ville. L’économie sur les loyers du marché atteint 30 % à 40 %. La mairie veut faire augmenter la part de ces logements sociaux (20 %), qui rétablissent les liens entre habitants (garderie, cuisine collective, véhicules partagés, buanderie commune) et favorisent la mixité générationnelle et ethnique. Les nouveaux programmes immobiliers doivent désormais comporter 33 % de logements sociaux. P.P.

Zurich-Ouest est devenu le nouveau quartier branché. De nombreuses grues émergent du paysage de l’ancienne zone industrielle. S’y côtoient start-up, boutiques de créateurs, restaurants, théâtres, clubs, ainsi qu’hôtels et immeubles d’habitation flambant neufs.
Zurich-Ouest est devenu le nouveau quartier branché. De nombreuses grues émergent du paysage de l’ancienne zone industrielle. S’y côtoient start-up, boutiques de créateurs, restaurants, théâtres, clubs, ainsi qu’hôtels et immeubles d’habitation flambant neufs. Young-Ah Kim

• Une ville qui revient de loin.

Dans les années 90, Zurich faisait les gros titres des journaux télévisés du monde entier. Pas pour ses affaires bancaires, ni pour sa haute qualité de vie, mais pour ses versants les plus sombres : la Mecque européenne de l’héroïne, voilà ce qu’elle était à l’époque. D’où ces images indélébiles qui ont hanté nos tubes cathodiques, celles de hordes de jeunes gens hagards et clochardisés qui se piquaient en masse dans les espaces verts zurichois.

Comment l’une des métropoles les plus prospères et les plus clean au monde en était-elle arrivée là ? Première cause, justement, l’embourgeoisement galopant qui agite la ville dans les années 80 : on rénove à tout‑va, on évacue les squats, si bien que les toxicomanes se retrouvent à la rue. Alors, peu à peu, un supermarché de la drogue à ciel ouvert se forme au Platzspitz, un jardin public au confluent de la Sihl et de la Limmat, à quelques dizaines de mètres de la gare principale.

Zurich-Ouest est devenu le nouveau quartier branché. De nombreuses grues émergent du paysage de l’ancienne zone industrielle. S’y côtoient start-up, boutiques de créateurs, restaurants, théâtres, clubs, ainsi qu’hôtels et immeubles d’habitation flambant neufs.
Zurich-Ouest est devenu le nouveau quartier branché. De nombreuses grues émergent du paysage de l’ancienne zone industrielle. S’y côtoient start-up, boutiques de créateurs, restaurants, théâtres, clubs, ainsi qu’hôtels et immeubles d’habitation flambant neufs. Young-Ah Kim

Les autorités laissent faire : les dealers et les consommateurs, concentrés ici, sont davantage contrôlables, quantifiables (jusqu’à 4 000 personnes s’y retrouvent quotidiennement), et la distribution de seringues neuves (jusqu’à 12 000 par jour), pour tenter d’enrayer l’épidémie de VIH, est plus aisée. Effets pervers : le prix de l’héroïne, banalisée, baissant, les junkies affluent par milliers de tous les cantons suisses, puis de France, d’Allemagne ou d’Italie. Face à la colère des riverains, la police évacue en 1992 le « parc aux seringues », mais il se reconstitue aussitôt, à 800 m de là, sur la friche ferroviaire du Letten, où l’horreur monte encore d’un cran : overdoses à la chaîne, viols, dealers qui s’entretuent, cloaque humain.

Nouvelle évacuation, définitive celle-ci, en 1995. Difficile d’imaginer cet enfer quand on déambule aujourd’hui au Platzspitz et au Letten, si riants, si pleins de joggeurs et d’enfants qui batifolent. La drogue, loin s’en faut, n’a pas déserté la ville. Mais les autorités ont été forcées de prendre des mesures fortes : ouverture de 4 salles de shoot – accessibles aux seuls Zurichois, les autres toxicomanes étant renvoyés chez eux – distribution massive de méthadone, et même distribution contrôlée d’héroïne – la Suisse n’a pas pour autant dépénalisé les drogues dures.

Incontestablement, la tranquillité publique a été restaurée : les décès par overdose et les contaminations au VIH par échange de seringue ont chuté, tout comme les vols à la tire et autres larcins qui, autour du Letten, étaient légion. Mais le trafic, lui, est seulement devenu invisible et a migré vers le réseau Internet : on consomme en appartement ; on achète par Whatsapp, Telegram ou via le Darknet. La Suisse serait même le huitième marché mondial de la drogue online… T. J.

La ville de Zurich est également le siège de l’administration du canton de Zurich, notamment du département des finances.
La ville de Zurich est également le siège de l’administration du canton de Zurich, notamment du département des finances. Young-Ah Kim

• Les grains de la discorde.

Quel est donc ce mégabunker de béton grisâtre, sans fenêtre aucune si ce n’est en son sommet, qui, avec ses 118 mètres de haut, talonne de près la tour de bureaux Prime, qui domine Zurich à 126 m ? Un silo à grains. Le plus élevé du monde, même. Et en pleine ville ! Sa construction, en 2016, n’a pourtant rien d’incongru : il s’agit là d’un grenier existant de 1956 qu’on a rehaussé, triplant ainsi sa taille.

Swissmill, l’entreprise meunière qui l’exploite, y stocke désormais, à l’abri de la lumière, jusqu’à 40 000 tonnes de grains – blé, épeautre, maïs… –, tandis que le moulin adjacent en transforme 200 000 tonnes par an, couvrant ainsi 30 % des besoins suisses. D’un point de vue écologique, avancent les partisans de l’édifice, il n’est pas absurde de stocker, transformer et consommer les céréales dans un périmètre restreint.

Le funiculaire Polybahn, mis en service en 1889, a été racheté en 1976 par la banque UBS et entièrement rénové en 1996.
Le funiculaire Polybahn, mis en service en 1889, a été racheté en 1976 par la banque UBS et entièrement rénové en 1996. Young-Ah Kim

Du côté des « antis », on argue au contraire que la livraison de la farine depuis l’usine zurichoise génère d’insensés ballets de camions. Mais ce qu’on reproche surtout au silo, c’est son architecture borgne – « mémorial soviétique », « Kit Kat géant »…, les noms d’oiseau fusent – et son ombre portée : les quartiers chic de Wipginken et Hönng, en face, ont voté contre son érection en 2011 – 58 % des Zurichois lui ont dit « oui » – et, depuis, ne se consolent pas des minutes d’ensoleillement perdues. D’aucuns y voient un symbole : un gratte-ciel de résistance qui rappellerait aux banquiers et start-uppeurs que la Zurich industrielle n’a pas dit son dernier mot. T. J.

• Migros la tentaculaire.

Quoiqu’on consomme, à Zurich et au-delà, Migros n’est jamais loin. Le géant helvète de la grande distribution, regroupant plus de 100 000 employés, chapeaute des centaines de supermarchés dans tout le pays, mais aussi, pêle-mêle, une banque, une chaîne de restaurants, des agences de voyage (Hotelplan), des stations-service (Migrol), un aqualand (Vitam, en Haute-Savoie), et même un musée d’art contemporain, pointu d’ailleurs.

Lors de sa création par Gottlieb Duttweiler, en 1925, Migros n’était qu’une flottille de 5 camions‑épiceries qui vendaient des pâtes, du sucre ou du savon, à travers Zurich – le dernier camion Migros, approvisionnant les villages du Valais, ne s’est arrêté de rouler qu’en 2007 ! Sédentarisant et développant son activité, Migros a adapté son statut juridique aux particularismes suisses, se transformant en 1941 en une fédération de coopératives régionales – au nombre de 10, elles quadrillent tout le pays. Et si les tentatives d’implanter les supermarchés Migros hors de Suisse ont presque toutes échoué, l’unité M-Industrie, rassemblant 32 entreprises du groupe, diffuse ses produits (chocolats Frey, cafés Delica, lessive Mifa…) dans les supermarchés du monde entier. T. J.

En chiffres

Population : première ville de Suisse, Zurich, qui s’étend sur 88 km2, vient de dépasser la barrière des 400 000 habitants. Le canton de 1 729 km2 héberge 1,5 million d’habitants, dont 32 % d’étrangers. Pour sa part, le Grand Zurich, qui regroupe huit cantons, est peuplé par 3 millions d’habitants, soit 36 % de la population de la Suisse. La quasi-totalité des habitants de Zurich sont bilingues (allemand, langue officielle, et anglais), et un grand nombre sont même polyglottes (français, italien, langue d’origine des immigrants).

Economie : le PIB du canton de Zurich atteint 141 Mds CHF, soit 124 Mds € et 21 % du PIB national. Le PIB par habitant est de 97 000 CHF (85 650 €), et se situe au troisième rang (derrière les cantons de Zug et de Bâle), à égalité avec Genève. La moitié des sièges sociaux des 100 premières entreprises suisses sont localisés dans le canton, ainsi qu’un tiers des start-up suisses. Fin 2018, le taux de chômage dans le canton était de 4,3 %, contre 4,6 % au plan national (au sens du BIT).

Education : l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (mathématiques, sciences, économie et management, architecture) est l’une des vingt meilleures universités sur le plan mondial. L’université de Zurich est, pour sa part, classée dans le top 50 pour les sciences biologiques et la finance. A eux seuls, ces deux établissements comptent 35 000 étudiants.

Administration : les électeurs du canton de Zurich choisissent tous les quatre ans au scrutin majoritaire leur conseil exécutif (7 sièges), et au scrutin proportionnel leur parlement (180 sièges). Les partis ayant moins de 5 % des voix ne sont pas représentés au parlement. Au niveau de la commune, les électeurs choisissent tous les quatre ans les 9 membres du conseil exécutif (Stadtrat), dont le président est le maire, et les 125 membres du conseil municipal (Gemeinderat). Notons que les referendums d’initiative populaire ont aussi lieu au niveau local. Fin 2018, les citoyens de Zurich ont ainsi approuvé la cession par la ville d’un terrain de 5,5 ha pour reconstruire le stade de football du Hardturm.

Tourisme : le canton de Zurich est la première destination touristique du pays, avec 5,7 millions de nuitées en 2018, soit 15 % du total. Le développement de ce secteur est rapide (+ 5,8 % en 2018, contre + 3,8 % au plan national), 75 % des nuitées relevant du tourisme d’affaires. Le taux d’occupation des 351 hôtels de la région zurichoise (18 000 chambres) a atteint 65,7 % en 2018, contre 54,5 % en moyenne en Suisse. Mais la durée de séjour reste faible (1,8 jour). P. P.


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