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Orient Express un train nommé désir - the good life
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Voyage

Orient-Express, un train nommé… désir !

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Prononcez ce nom et aussitôt votre imagination s’emballe… Il semble que tout pourrait arriver dans ce train qui incarne l’acmé du voyage. Depuis sa mise sur les rails en 1883, le mythe a tricoté une vraie saga, dont un nouveau chapitre est en train de s’écrire. Un Orient‑Express lancé par Accor, concurrent du Venice‑Simplon‑Orient‑Express du groupe Belmond (LVMH). Il s’appellera La Dolce Vita.

La porte coulisse et vous entrez dans la voiture-bar. James Bond sirote son Martini (au shaker, pas à la cuillère), en grande conversation avec Howard Hughes. Au fond, Ernest Hemingway mâchonne son cigare en torturant sa machine à écrire ; à la table voisine, Scott et Zelda Fitzgerald se disputent à mi-voix sous le regard désabusé de Lauren Bacall ; Tolstoï s’est endormi sur l’épaule de Coco Chanel qui scrute Marlene Dietrich et Jean Gabin, très amoureux… Serrée dans votre kimono de soie bariolée comme dans un plumage, vous demandez au barman de vous servir un cocktail old fashioned, et vous vous laissez bercer par le doux tangage du train. Vous fermez les yeux et plongez dans la légende de l’Orient‑Express.

Le 4 octobre 1883, le convoi le plus luxueux du monde quitte la gare de l’Est. Il rallie Paris à Constantinople en moins de soixante-seize heures. Une prouesse technique. Véritable palace roulant, l’Express d’Orient, son nom initial, dévoile surtout la magnificence de ses décors, marqueteries de bois précieux, étoffes rares et cuirs fins. Écrivains et journalistes, divas et espionnes, grands de ce monde… La liste des passagers ressemblera bientôt au Bottin mondain.

Trente ans plus tard, l’intervention du décorateur René Prou et du maître verrier René Lalique poussera plus loin encore le curseur du raffinement. Le gratin de l’époque se retrouve dans la voiture-restaurant Art déco du nouvel Orient‑Express pour savourer mets et vins d’exception. On raconte même que certains passagers montent à bord deux ou trois heures, uniquement pour profiter du festin.

Mais, pendant la guerre froide, la vitesse commerciale (55 km/h) et les interminables arrêts douaniers dans les pays communistes traversés ne résisteront pas face à la démocratisation des voyages en avion. En 1977, la Compagnie internationale des wagons-lits (CIWL) abdique. C’est compter sans les récits des grands voyageurs, les intrigues d’Agatha Christie ou les poèmes de Guillaume Apollinaire qui ont tissé une vraie légende. L’Orient‑Express ne peut pas mourir. Il ne fait que s’assoupir. Le phénix va renaître, accrochez- vous pour suivre son parcours…

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La bataille du rail

Il faut savoir que la marque Orient‑Express, héritée de la CIWL, est restée près de quarante ans dans un placard de la SNCF. La Société des chemins de fer français s’est contentée d’accorder, à la fin des années 70, une licence au Britannique James Sherwood, alors propriétaire de l’hôtel Cipriani, à Venise. Un coup de génie ! L’hôtelier vient de racheter aux enchères deux wagons de l’ancien train de luxe pour transporter ses clients vers son établissement vénitien. Mais il se prend au jeu et poursuit son investissement ferroviaire en restaurant Le Train bleu, La Flèche d’or et L’Étoile du Nord.

En 1982, le Venice-Simplon-Orient‑Express, composé de 17 voitures d’origine, somptueusement rénovées, est lancé sur les rails. Le groupe d’hôtels, de croisières, de safaris et de trains, circulant aussi en Angleterre, en Écosse et en Asie, prendra tout naturellement le nom d’Orient‑Express Hotels, avant d’être remplacé, en 2014, par le nom Belmond. LVMH, numéro un mondial du luxe, entre en scène en 2019 en raflant le groupe Belmond, hôtels et trains, pour 3,2 milliards de dollars.

Relation de cause à effet ? Le changement de nom pour Belmond coïncide avec le moment où la SNCF, propriétaire du nom Orient‑Express, prend conscience du trésor qui dort dans ses dossiers, se réveille et lance un projet de train de luxe : un Orient‑Express version contemporaine. Mais les ferrovipathes attendront en vain cet it-train : les Chemins de fer français ont d’autres chats à fouetter et leur projet ne verra jamais le jour. Il est temps qu’une nouvelle fée-marraine surgisse dans le décor.

Ce sera Sébastien Bazin, président d’Accor, un groupe en pleine mutation depuis 2013. Sixième opérateur hôtelier mondial et premier en Europe, Accor réoriente alors sa stratégie en vendant les murs de la plupart de ses hôtels et choisit de renforcer sa présence dans le très haut de gamme en se tournant vers le luxe « expérientiel » et l’hospitalité « augmentée ». Quoi de mieux que les trains de luxe dans cette stratégie ?

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 Orient‑Express, extension du domaine du luxe

En 2017, Sébastien Bazin s’empare de 51 % de la marque Orient‑Express (49 % restant détenus par la SNCF). Ce visionnaire, qui a su montrer de l’audace et de l’agilité pour aider l’opérateur hôtelier à traverser les récentes crises du tourisme, n’est pas sans savoir que les voyages sur rail affichent des taux d’occupation record.

À l’heure où l’on guette l’avion hypersonique qui volera de Paris à Tokyo en deux heures trente, les trains historiques fonçant à 70 km/h font toujours rêver. Sans doute parce qu’ils ressuscitent l’art perdu de voyager. Ils nous ramènent à un temps où, plutôt que de s’écrouler sur son siège d’avion sans adresser la parole à son voisin, on enfilait son smoking pour aller socialiser au wagon-fumoir.

« Orient‑Express est une marque qui m’émeut beaucoup, nous dit Sébastien Bazin. Elle est unique, elle ne s’identifie à aucune nationalité, c’est une apatride. Elle appartient à tout le monde. Ce n’est pas un produit, c’est un sentiment. » C’est avec un nouveau partenaire italien, Arsenale, rencontré autour du projet de restauration du sublime Grand Hôtel de la Minerve, à Rome, que l’aventure s’est amorcée. On ne parle d’ailleurs plus d’un seul hôtel, mais de plusieurs, et les nouveaux partenaires couronnent le tout d’une collection de trains baptisée La Dolce Vita.

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Le président d’Arsenale, Paolo Barletta, met plus de 100 millions d’euros sur la table (Accor ne fera que manager trains et hôtels). « Aujourd’hui plus que jamais, le luxe est un état d’esprit », souligne Stephen Alden, que Sébastien Bazin a choisi de nommer à la tête d’Orient Express. Né à Malte, vivant à Milan, cet homme du sérail a pour patrie l’hôtellerie de luxe : « Orient‑Express est une marque sexy. Prononcez son nom et les gens commencent à rêver. Nous avons l’obligation de préserver cet héritage, de lui conserver sa légitimité et, surtout, de lui garder son caractère intemporel. » Résolu à cultiver le glamour du train, qui est une destination à lui tout seul, Stephen Alden compte bien lui apporter le confort moderne, tout en respectant son identité, et rester dans le monde de l’élégante simplicité italienne, tout en proposant un service de très grand luxe.

Un délicat équilibre qui ne devrait pas embarrasser celui qui est également président-directeur général de Raffles, les hôtels des chasseurs de tigres et des écrivains-voyageurs, un groupe qui a su prendre le tournant de la modernité.

La saga Orient‑Express continue

Six trains La Dolce Vita, composés chacun de onze voitures, et tous en pleine rénovation, circuleront donc bientôt en 2023. Majoritairement en Italie, avec des échappées reliant Rome à Paris, Split et Istanbul. Les voitures, rachetées en Italie il y a quatre ans, afficheront un style qui marie le vintage et le contemporain, car il est hors de question de basculer dans la nostalgie. « La dolce vita célèbre l’âge d’or du design italien, raconte Guillaume de Saint Lager, vice-président d’Orient‑Express. C’est la période, dans les années 60 et 70, où l’Italie s’est révélée au monde dans de nombreux domaines, comme le cinéma ou le design. » Son choix pour la résurrection des voitures s’est spontanément porté sur les talentueux designers milanais Britt Moran et Emiliano Salci, de Dimore Studio.

Une collection d’articles de voyage

D’autres créateurs et artisans de haut vol se sont vu confier la réalisation d’une collection d’articles de voyage, des bagages aux lunettes de soleil, en passant par la vaisselle et les bougies, indispensables accessoires du dandy voyageur. Cette collection, baptisée Steam Dream, a déjà fait l’objet l’été dernier d’une exposition à la Samaritaine.

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Alors que le Grand Hôtel de la Minerve, premier d’une lignée Orient‑Express, ouvrira à Rome en 2024, le premier train embarquera ses passagers chanceux en 2023. Imaginez une série d’itinéraires sillonnant l’Italie, du nord au sud, des lacs aux Dolomites, des collines d’Ombrie aux vignobles toscans, jusqu’à la côte sicilienne, le long de la ligne Palermo-Trapani…

Dans la voiture-bar redessinée en une longue vague colorée, vous dégusterez un Martini (au shaker, pas à la cuillère), tandis que les paysages défileront au ralenti. Le train, avec ses tunnels et ses aiguillages, n’est-il pas une métaphore de la vie ? Oh ! James…


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