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Royal Scotsman a Belmond Train la saveur de la lenteur - the good life
jchassagne

Voyage

Royal Scotsman, a Belmond Train La saveur de la lenteur

Voyage

Dans les paysages dramatiques de l’Écosse, le Royal Scotsman fait revivre la saveur de la lenteur lors d’un voyage aux frontières du temps sur près de 700 km. Embarquement immédiat.

13 h 45. Édimbourg, gare de Waverley. Un coup de sifflet et le Royal Scotsman, a Belmond Train se met en branle, cahotant, dans un bruit métallique. À son bord, 36 passagers entament une traversée des Highlands à la façon du Grand Tour du siècle dernier, en première classe. En trois jours et deux nuits, ils feront une boucle Édimbourg – Inverness – Édimbourg de 700 km dans un décor au luxe d’antan. Rien n’est trop beau, de la marqueterie fine aux tartans habillant pompeusement les voitures, et jusqu’au spa, unique au monde, dit-on, à rouler.

Dans ma cabine individuelle, le confort douillet d’une chambre d’hôtel tient dans 5,1 m2 – salle de douche incluse. Défaire sa valise demande des contorsions et une certaine organisation. Mais le pli est vite pris. Vu du bureau ou du lit, le paysage humide défile en un lent travelling avant à 50 km/h, parfois à 80 km/h en pointe. Le ciel est brouillé. Des traînées de lichens et de fougères colorent l’horizon infini de lande battue par les vents. Soudain, on croit apercevoir le sourire d’un elfe.

Les ballottements du Royal Scotsman invitent à la rêverie. Le temps se dilate et une certaine nostalgie s’installe. Un remède : Le Crime de l’Orient Express qui, étrangement, laisse de l’encre noire sur les doigts comme certains livres d’autrefois. Mais voilà des voix dans le couloir. L’heure de l’afternoon tea a sonné.

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Quelques heureuses rencontres dans le Royal Scotsman…

Dans la voiture panoramique, salon feutré et cosy, les stewards jouent les acrobates, au rythme des à-coups, les mains chargées de scones, de thé ou de champagne. Côté passagers, un couple d’un âge avancé se tient par la main. On n’ose leur demander si ce voyage est un cadeau pour leurs noces d’or. Deux trentenaires à la beauté insolente font baisser la moyenne d’âge. Dans un coin, un aristocrate désabusé avale des sandwichs avec empressement. À côté, une personnalité qui a son double chez Madame Tussauds, mais dont on taira le nom, affiche un air fermé.

Des accents américains, australiens, anglais, espagnols et suisses se mêlent aux sonorités écossaises… comme en écho à la page 21 de mon livre. Dans un paragraphe, une voyageuse soutient à Hercule Poirot qu’il y a là tous les ingrédients à un roman : « Voici réunis des gens de toutes classes, de toutes nationalités et de tous âges. Pendant trois jours, ces personnes, étrangères les unes aux autres, vont dormir et manger sous le même toit. Elles mèneront une vie commune et, au bout de ces trois jours, elles se sépareront pour ne se revoir peut-être jamais. »

Agatha Christie se sert du train comme d’un décor de théâtre parfait. Cette unité de lieu, pourtant « entre deux », en a inspiré plus d’un. « C’est dans un train que commence L’Idiot et que se déroule le récit de La Sonate à Kreutzer, c’est dans un wagon que Vronski rencontre Anna Karénine et c’est sous les roues d’un wagon qu’elle mourra, c’est au long d’un interminable voyage en train que le docteur Jivago fait la connaissance de Strelnikov, le mari de Lara ; d’innombrables trains sillonnent les œuvres de Bounine, de Nabokov ; Tolstoï meurt dans une gare », écrit Olivier Rolin, dans Baïkal-Amour, livre dans lequel il retrace son périple de 5 000 km sur rails en Russie.

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On le sait, la littérature affectionne les trains. Dans le huis clos du salon mobile, les conversations se nouent facilement. Elles se poursuivent plus tard à table, une fois les wagons arrêtés dans le petit village de Boat of Garten, sur un quai de chemin de fer privé. Tintement des verres, cliquetis des couverts en argent… C’est un prélude au concert qui invitera les hôtes à chanter des refrains écossais.

Voilà tout l’art du train host, un joyeux luron et ancien militaire de la Royal Air Force qui anime la soirée comme personne. D’une main de fer dans un gant de velours, il sait aussi bien distraire que remettre les pendules à l’heure. Qualité rare mais indispensable à bord d’un train où, en coulisse, tout est calculé à la minute près. Il est tard. Les voyageurs se retirent dans leur chambre. Je fais un détour par le quai d’où j’aperçois les lumières d’un pub au loin. Je vais y glaner les nouvelles du jour. Elles ne sont pas bonnes. Aujourd’hui, un hélicoptère a secouru de justesse des touristes imprudents dans les montagnes voisines du Cairngorms National Park. « Là‑haut, la météo change très vite », explique le barman, en kilt. On se promet alors qu’on reviendra un jour se frotter à ces sommets.

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Une nuit de rêve

Retour à la cabine, qu’un steward attentionné a allumé, où il a mis le chauffage et ouvert le lit, dans lequel je me glisse avec délice. De nuit, le Royal Scotsman ne roule pas, mais le bois craque comme chez grand-papa. Des pas dans le couloir, des voix étouffées derrière la cloison et, enfin, le silence total… Hercule Poirot accompagne mes rêves. Au petit matin, les rideaux s’ouvrent sur le quai qui engage aux cent pas. Le technicien alimente le Royal Scotsman en eau. D’humeur joyeuse, il annonce dans un grand éclat de rire qu’il fait le plein de whisky.

On lui doit surtout nos douches – et chaudes avec cela. Le petit déjeuner avalé, nous filons en bus vers Rothiemurchus, domaine aux 10 000 ha de forêts, lacs, rivières et montagnes. Un grand bol d’air frais avec, au choix, balade, tir au pigeon en argile ou pêche à la mouche. Sur l’étang, la pêche est miraculeuse : 4 truites arc-en-ciel que le ghillie a le bon cœur de relâcher, bien vivantes, dans les eaux sombres.

Lassés par la pluie interminable, trempés des pieds à la tête, nous gagnons le pavillon de chasse où crépite un feu de bois. Philippa Grant, l’épouse du 16e laird (lord écossais) propriétaire des lieux, y offre un thé réconfortant en racontant, aux plus curieux, l’histoire du domaine. Dehors, le ciel a gardé sa mauvaise humeur. Le champ de bataille de Culloden se visitera donc, lui aussi, sous la pluie. Reste la distillerie Strathisla, à Keith, qui propose une petite dégustation de whisky, (au) sec, of course.

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Est-ce l’alcool ? On regrette presque cette journée loin du Royal Scotsman et sa parenthèse temporelle. Ce soir, le dîner est formel. Comprendre en robe de cocktail pour les dames, costumes ou smoking pour les messieurs, voire kilt pour les Écossais. Des novices s’y sont essayées, oubliant vite le code de bienséance… en jupe. Faux-pas et rigolade. L’atmosphère est joyeuse et détendue. À 23 heures, le train host arrivera même à convaincre les plus fêtards d’esquisser les danses écossaises sur le quai de Dundee. Moment insolite.

Le lendemain matin, les assiettes, remplies d’un éclatant saumon, sont surmontées par des visages absents. Personne ne le dit, mais tout le monde redoute l’arrivée prochaine et le retour à la vie à 100 à l’heure. Sur la plate-forme, à l’air libre, le froid est cinglant et la pluie fouette le visage. Ça sent la terre, l’humidité, l’iode, puis la rouille. La ville approche. La vitesse diminue, les roues gémissent, crissent et s’arrêtent enfin à la gare. Il est 9 h 48. Magical mystery train.


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