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Bioceánico : le train d’un océan à l’autre en Amérique du Sud

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En Amérique du Sud, un gigantesque projet de ligne ferroviaire a pour objectif de relier en train les côtes atlantique et pacifique, en passant par le Pérou, la Bolivie et le Brésil. Un axe commercial qui profiterait aussi à la Chine. Décryptage.

« Le nouveau canal de Panama. » C’est ainsi que l’ancien président de la Bolivie, Evo Morales, qualifie le projet de train bi-océanique en Amérique du Sud. Reliant les côtes atlantique et pacifique, de Puerto de Santos, au Brésil, jusqu’à Puerto de Ilo, au Pérou, cette ligne ferroviaire a pour but de créer un nouvel axe commercial majeur à travers le continent sud-américain.

Les superlatifs sont de mise pour décrire ce corridor : une distance de 3 700 kilomètres (dont la moitié nécessite la construction d’une ligne ferroviaire ex nihilo), sur laquelle devraient pouvoir transiter 30 millions de tonnes de marchandises par an. « La construction de cette liaison aura un impact très positif par rapport à la route ou au bateau. Il y aura une réduction significative à la fois des coûts de transport et du temps de voyage. Le transport ferroviaire garantit également une plus grande capacité de chargement et une meilleure fiabilité, car il est bien moins impacté par les conditions climatiques », affirme Miguel Ángel Criado Moreno, directeur général Bolivie du groupe Ghenova, responsable des études d’ingénierie.

Ce projet hors normes de train qui traverse l’Amérique du Sud a déjà traversé pas mal de turbulences

Impulsé par Evo Morales, qui voulait ainsi faciliter l’accès de son pays à l’océan (privé de débouché maritime depuis la guerre avec le Chili à la fin du XIXe siècle), le Corridor est suspendu avec le coup d’état de 2019 et l’arrivée au pouvoir de l’égérie de la droite bolivienne, Jeanine Áñez.

Il faut attendre un an plus tard le retour du Mouvement vers le socialisme (MAS), le parti d’Evo Morales, pour relancer ce projet. Mais la Bolivie n’est pas seule aux commandes… Il lui faut composer avec ses deux voisins. En juillet 2021, le nouveau président bolivien, Luis Arce, rencontre son homologue péruvien, Pedro Castillo, qui vient tout juste d’être élu ; ces deux figures de la gauche radicale affirment leur volonté commune sur ce dossier. Mais le troisième pays impliqué, le Brésil, n’est pas du même bord politique, avec à sa tête le président d’extrême- droite Jair Bolsonaro. Sauf si l’élection d’octobre prochain change la donne…

Un Corridor à 7 milliards de dollars

Ce contexte géopolitique mouvant n’empêche néanmoins pas le lancement du Corridor : « L’État bolivien a reçu un prêt de 3 millions de dollars de la Banque interaméricaine de développement (BID) pour financer le coût du programme de préinvestissement », précise Miguel Ángel Criado Moreno, qui estime le coût total du Corridor à plus de 7 milliards de dollars. Si ce chantier s’annonce aussi onéreux, c’est parce qu’il représente un véritable défi en matière d’ingénierie, en particulier pour la Bolivie, où 1 500 kilomètres de nouvelles voies doivent être construites.

corredorbioceanico.org
corredorbioceanico.org José Lozano

« La Bolivie possède actuellement deux réseaux ferroviaires, l’un à l’est et l’autre à l’ouest du pays, qui fonctionnent indépendamment l’un de l’autre. La plus grande difficulté technique est de connecter ces deux réseaux en traversant la cordillère des Andes. En plus d’être topographiquement très compliquée, cette zone est particulièrement instable d’un point de vue sismique », poursuit Miguel Ángel Criado Moreno.

La Chine, acteur clé de cette nouvelle route de la soie

Les trois pays sud-américains ne sont pas les seuls financeurs du Corridor. L’acteur clé du projet est en réalité la Chine. Cette liaison bi‑océanique s’inscrit dans le cadre des tentaculaires nouvelles routes de la soie, lancées par le président chinois Xi Jinping en 2013. « La construction de cette infrastructure profitera considérablement aux pays asiatiques, qui auront ainsi un moyen efficace de transporter leurs marchandises », souligne Miguel Ángel Criado Moreno. Pékin veut également faciliter l’importation de produits agricoles, en particulier du soja, dont la demande est extrêmement forte en Asie. Sans oublier le cuivre, dont le Pérou est le deuxième producteur mondial.

Mais à quel prix ? « En règle générale, la Chine prête de l’argent aux pays pauvres puis les étrangle au moment du remboursement, rappelle la chercheuse Laurence Nordon, responsable du programme Amériques à l’IFRI. Au moment où les États-Unis se désengagent de l’Amérique latine, la Chine s’y engouffre. »

Le fret n’est pas le seul but de la ligne ; celle-ci doit aussi permettre le transport de passagers. Certains tronçons du parcours devraient connaître une forte demande. En Bolivie, la ligne reliera les trois villes principales du pays : La Paz, Sucre et Cochabamba. Mais d’autres freins risquent de ralentir la concrétisation du projet. « Le niveau de corruption reste très important sur le continent, rappelle Laurence Naudon. Les sociétés civiles sont également promptes à se mobiliser. On pourrait imaginer des actions, notamment pour des raisons environnementales, en fonction du tracé. »

Il n’empêche, ce Corridor symbolise bien à l’échelle mondiale le renouveau du fret ferroviaire, rendu d’autant plus impératif face à la crise climatique. Le paradoxe veut que les mêmes banques de développement qui incitaient il y a quelques dizaines d’années les États à démanteler leurs réseaux ferrés les enjoignent désormais à les remettre en fonction.


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