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Los Angeles post Covid entre optimisme décontraction forte croissance et inégalités - the good life
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Los Angeles post-Covid, entre optimisme, forte croissance et inégalités

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Depuis la violente mais courte récession provoquée par la crise du Covid-19 en 2020, l’économie de Los Angeles a repris sa marche en avant. Seul le tourisme et le commerce de détail font grise mine. Cela n’empêche pas la South California way of life – créativité, décontraction, optimisme – de continuer à rayonner…

Le 13 février dernier, Los Angeles a accueilli le 56e Super Bowl, finale du championnat de football américain. Pour un Européen, il est difficile d’imaginer l’importance d’un tel moment, mais les Angelenos ont ressenti une excitation mêlée de fierté. Voilà vingt- neuf ans qu’ils attendaient de voir revenir chez eux cette cérémonie sportive qui rassemble les Américains.

De plus, le match a eu lieu dans le magnifique SoFi Stadium d’Inglewood, qui a accueilli ses premiers spectateurs en septembre 2021. Sa construction a coûté 5,5 milliards de dollars, ce qui en fait l’enceinte sportive la plus onéreuse jamais construite. Son toit, une canopée translucide de 100 000 m2 incrustée de 27 000 diodes électroluminescentes, peut s’orner de dessins lumineux visibles depuis les avions atterrissant à l‘aéroport international.

C’est aussi là que se déroulera la cérémonie d’ouverture des JO d’été, en 2028. Los Angeles accueillera cet événement pour la troisième fois, une performance extraordinaire pour une métropole de province. Il est vrai que c’est la plus peuplée du monde développé (à égalité avec Osaka), avec près de 19 millions d’habitants. Et surtout, c’est la plus prospère…

Au moment où Los Angeles a été frappée par la crise du Covid‑19, l’optimisme était à son zénith. Une décennie de croissance avait fait augmenter le pouvoir d’achat de ses habitants de 18,5 %. Le taux de chômage était descendu à 4,2 %, un niveau jamais atteint depuis l’époque des hippies. Plus que jamais, la SoCal (Southern California) way of life – un quart de soleil, un quart de créativité, un quart d’optimisme, un quart de trajets en voiture – prouvait son efficacité.

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Provinciale certes, Los Angeles n’en était pas moins la mégalopole la plus cool de la planète, où les diplômés d’université travaillaient plus souvent en short et tee-shirt qu’en pantalon-veste, et où arriver au bureau en skateboard avec sa planche de surf sous le bras ou en Aston Martin faisait partie du même esprit – décontracté, sans complexe, un peu m’as-tu-vu.

Mais dès que la pandémie s’est déclarée, les licenciements, immédiats et brutaux, ont fait quadrupler le nombre de sans-emploi. En deux mois, un Angeleno sur six s’est retrouvé au chômage ! La majorité de ces licenciés travaillaient dans l’hôtellerie, la restauration, l’éducation et les services à la personne, des activités que le confinement a stoppées net.

Après le Covid, la pénurie de travailleurs à Los Angeles

Heureusement, l’économie est vite repartie : depuis mai 2020, les entreprises ont même recréé 1,2 million d’emplois, et le taux de chômage est revenu à 7,2 % début 2022. La reprise est telle qu’une multitude de jobs sont non pourvus, et les écriteaux « We Hire » prolifèrent.

« La population active a en effet diminué : durant la pandémie, des salariés âgés ont avancé leur retraite, certains ont quitté leur petit job mal payé, et d’autres sont partis dans des États où se loger coûte moins cher », souligne William Yu, économiste à UCLA Anderson School of Management.

Aujourd’hui, le Grand Los Angeles produit donc presque autant de richesses qu’avant la pandémie, avec 7 % de salariés de moins. Cette pénurie de travailleurs, ainsi que l’accélération de la croissance (4,2 % prévus en 2022, malgré Omicron), va entraîner une nouvelle baisse du taux de chômage. Si le redressement a été si rapide, c’est parce que l’économie de la Californie du Sud est diversifiée, mondialisée et très innovante.

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Certaines activités ont même profité de la pandémie. Carrefour majeur du commerce international, les ports jumeaux de Los Angeles et Long Beach ont ainsi vu transiter sur leurs quais 21 % de conteneurs de plus qu’en 2019 ! Les commandes en ligne des Américains ont en effet doublé en deux ans, ce qui a fait exploser les importations de meubles, téléviseurs, ordinateurs… fabriqués en Asie.

Fin 2021, plus de 100 navires attendaient parfois au large de pouvoir trouver une place à quai. Les deux ports ont du mal à ouvrir 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, du fait d’une pénurie de travailleurs de nuit et de conducteurs de camions. La chaîne logistique très performante qui leur est liée (des entrepôts gigantesques et automatisés qui constituent la plus grande zone industrielle du pays) n’en permet pas moins de livrer des marchandises à Chicago ou Houston en deux jours.

« En 2020 et 2021, le secteur logistique a créé près de 50 000 nouveaux emplois. Quant au prix de location des entrepôts, il a doublé en six ans, plus aucun espace n’étant disponible », explique John Husing, fondateur du centre de recherche Economics & Politics Inc. Autre pilier de l’économie locale ayant peu pâti du Covid‑19 : l’industrie de l’entertainment, qui fait la célébrité de la ville depuis un siècle.

Silver Lake, un quartier hipster parsemé de villas modernistes, de coffee shops et de galeries d’art.
Silver Lake, un quartier hipster parsemé de villas modernistes, de coffee shops et de galeries d’art. Gilles Mingasson

Si les salles de cinéma ont souffert d’une longue fermeture et n’ont pas retrouvé tout leur public, la production de films et de séries bénéficie des gros investissements des plates-formes de streaming, dont le nombre d’abonnés a fait un bond durant le confinement. Netflix s’est installé dans un superbe immeuble de 14 étages sur Sunset Boulevard début 2020 et a ouvert un autre « campus » de 50 000 m² (qui comprend des studios de tournage) à Hollywood. Amazon Studios et Amazon Video prennent possession de cinq nouveaux bâtiments (bureaux, studios…) à Culver City. C’est dans cette même ville qu’Apple TV+ construit un espace de 50 000 m² pour héberger ses collaborateurs à partir de 2026. WarnerMedia va lui aussi inaugurer un immeuble à Culver City.

Ces nouveaux rois du divertissement embauchent à tour de bras et dépensent sans compter afin de créer des « contenus » pour leurs abonnés. « Fin 2021, le nombre de séries télévisées tournées à Los Angeles – dont plus de 40 % seront diffusées sur des plates-formes de streaming – a égalé les records de 2019. Nous nous attendons à une formidable année 2022, même si le variant Omicron a décalé certaines productions », affirme Paul Audley, président de FilmLA.

Même son de cloche dans le high-tech : Silicon Beach, qui regroupe un millier de start-up dans le Westside (à Venice, Santa Monica, Playa Vista, Culver City, Marina del Rey, El Segundo…) et qui talonne la Silicon Valley et la Silicon Alley (à New York) comme pôle d’industries de pointe, n’a pas été touchée par la crise du Covid‑19.

La plage de Santa Monica.
La plage de Santa Monica. Gilles Mingasson

Ses salariés ont continué à travailler de chez eux. Les fondateurs de jeunes pousses de Silicon Beach espèrent égaler le succès de Snap Inc. (l’app Snapchat), Oculus (réalité virtuelle, racheté par Facebook), Tinder, Hulu (plate-forme de streaming) ou Naughty Dog (jeux vidéo). Ils bénéficient de synergies avec les industries en forte croissance de la région – l’aéronautique, les technologies de l’information, l’entertainment, la mode, la pharmacie, les équipements médicaux et la biotech.

Chacune de ces branches a en effet développé son propre écosystème de start-up. Enfin, le secteur du BTP, florissant, bénéficie d’une série de lois récemment adoptées par l’État de Californie afin de densifier les zones d’habitat. Elles ont mis fin à l’immobilisme qui prévalait en matière de nouvelles constructions du fait du syndrome Nimby – le « Not in my backyard » des résidents s’opposant à des projets immobiliers d’intérêt général.

Aggravation des inégalités

Si l’économie est repartie, Los Angeles n’en fait pas moins face à des problèmes exacerbés par la crise du Covid‑19. D’abord, le tourisme – et donc l’hôtellerie-restauration – continue à souffrir. De 51 millions en 2019, le nombre de visiteurs est descendu à 29 millions en 2020, et Adam Burke, président de l’office du tourisme, l’estime à 39 millions en 2021. Les étrangers – qui comptent pour la moitié des dépenses – manquent à l’appel, et le secteur emploie 100 000 personnes de moins qu’avant la pandémie.

De même, le commerce de détail a subi un coup terrible, du fait de l’essor fulgurant des achats en ligne. Dans tous les quartiers, y compris à Hollywood et Beverly Hills, des panneaux « To Lease » sont affichés sur des magasins et centres commerciaux vides. « Comme les hôtels, restaurants et boutiques proposaient des rémunérations médiocres, ce sont donc des salariés pauvres qui ont perdu leur emploi, tandis que les avocats et les cadres du high-tech ont conservé leurs gros émoluments. La pandémie a donc renforcé des inégalités déjà criantes », analyse John Husing.

Les gratte-ciel de Downtown L.A.
Les gratte-ciel de Downtown L.A. Gilles Mingasson

Lesdites inégalités sont aggravées par une crise du logement aiguë : les prix de l’immobilier et les loyers ont fait un bond de 30 % depuis 2018. « Du coup, on assiste à une migration des citoyens les moins aisés vers la lointaine banlieue. Les comtés de Riverside et de San Bernardino, où l’immobilier est plus abordable, hébergent 500 000 habitants de plus qu’en 2010, alors que le comté de Los Angeles n’en a pas gagné et commence à en perdre », explique William Yu.

Le nombre de sans-abri a aussi fait un bond, plus de 50 000 personnes de la région logeant dans la rue. C’est à Downtown que ces changements sont les plus flagrants. Ce quartier autrefois décrépi s’était formidablement rénové et gentrifié depuis quinze ans, attirant des dizaines de milliers de jeunes créatifs. La crise du Covid‑19 l’a renvoyé dans le passé : rangées de magasins et restaurants fermés pour cause de faillite, campements de sans-abri à de nombreux coins de rue, trottoirs jonchés de détritus, colonies de rats dans les squares…

Il faudra que la reprise économique se poursuive longtemps pour réussir à panser ces cicatrices. Cela n’empêche pas la plupart des Angelenos de se lever chaque matin devant un soleil voilé par un léger brouillard de pollution en se disant que la vie est belle…


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