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Concorde, carré d’agneau et cigarettes : décollage avec Air nostalgie

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On verserait presque une larme sur cette époque où votre voisin écrasait sa cigarette dans le cendrier de l’accoudoir à l’arrière de l’avion, où les valises n’avaient pas de roulettes, et avec des mouchoirs qui n’étaient même pas en papier… Raison de plus pour les ressortir !

Certes, ce ne fut pas toujours drôle. Le jour où une compagnie ferme ses comptoirs, c’est parfois violent. Des passagers furieux moisissent dans un hall tropical, du personnel de bord dont les badges sont désactivés dans la minute, les rapatriements en loques et en nerfs… Le monde de l’aviation a des stridences et des atterrissages qui en ont fait sursauter plus d’un. Mais c’est surtout après qu’un lent poison vous gagne. C’est bizarre et lent, enveloppant et pas si désagréable : c’est la nostalgie.

La magie du Concorde

« C’était magnifique de se savoir attendus au départ et à l’arrivée, se souvient Laurence M., une hôtesse ayant officié sur le Concorde pendant trois ans. Nous avions des passagers ravis et détendus dont certains faisaient l’aller-retour dans la journée. » Elle a encore tout en mémoire et peut quasiment ressentir dans ses épaules le long fuselage de l’oiseau magique (62,1 mètres), ses 185 tonnes à pleine charge, ses fameuses ailes delta (dite gothiques). La voilure à forte flèche (et faible épaisseur) produisait une stabilité telle qu’il n’y avait pas d’empennage horizontal.

Dans les années 50, Air France adapte ses appareils Super Constellation selon les besoins des passagers. Des fauteuils sont transformés en lits superposés.
Dans les années 50, Air France adapte ses appareils Super Constellation selon les besoins des passagers. Des fauteuils sont transformés en lits superposés. DR

Laurence connaissait par cœur les vibrations de l’avion, les anticipait même avec le décollage et ses accélérations surpuissantes, le passage du mur du son. Il se produisait en deux petites impulsions espacées d’une seconde pour atteindre les 2 200 km/h.

Le Concorde pouvait gagner la stratosphère. Le mot n’est pas seulement magique : il correspond à un plateau radieux – entre 11 000 et 60 000 mètres – où les bleus deviennent violets ; la pression est dix fois moindre que sur terre. À cette altitude de 18 000 mètres, le vol devient doux et ne fatigue pas les passagers. Le fameux mal de l’air vient précisément des accélérations irrégulières provoquées par les turbulences atmosphériques. Lorsque l’hôtesse percevait un certain bruit à mi-vol, elle en connaissait les raisons. Pour recentrer l’avion, un système de pompe transférait le carburant vers des réservoirs placés en avant de l’avion pour l’optimisation des performances. C’était alors au milieu du repas.

Champagne et homard au menu d’un vol Air France, en 1988, à bord d’un Boeing 747
Champagne et homard au menu d’un vol Air France, en 1988, à bord d’un Boeing 747 DR

Certains passagers se permettaient de rentrer le soir même à la maison – le vol vers New York prenait 3 h 30. Mieux encore, un Britannique, Fred Finn, fit trois voyages dans la journée, allant petit déjeuner à New York, avant de regagner Londres pour prendre un avion pour Nairobi. Voulez-vous connaître son nombre de miles ? Quinze millions. Le geste préféré de Laurence M. ? « J’adorais faire l’accueil à bord, lorsque l’avant-bras fait une virgule pour vous indiquer la direction : tout le résumé de la bienvenue. »

Découpe au chariot

Lancez Gauthier Pajona, chef de cabine chez Air France (16 000 heures de vol en vingt-cinq ans), et tout de suite un film se déclenche. « Le cinéma, cela faisait partie du rituel du voyage. Il y avait beaucoup de plaisir à plonger la cabine dans la pénombre, comme du reste pousser les voitures du repas en première classe avec le service à la russe : caviar, champagnes, grands vins, terrine truffée, la découpe au chariot du carré d’agneau ou du filet de bœuf. »

Gauthier Pajona aime évoquer la version luxe des Boeing 707 ou ses Lockheed Super Constellation lorsqu’ils portaient des noms comme Château de Chambord ou le Parisien Spécial (1953), sur Paris – New York, ou encore l’Épicurien sur Londres (1950), qui proposait des cabines privées avec lits à deux places et cloisons en citronniers. On offrait alors une rose aux dames… Le moment préféré de Gauthier Pajona : « L’annonce de présentation et de bienvenue aux passagers. »

L’uniforme des hôtesses suit la tendance trendy à la fin des 60’s chez United Airlines.
L’uniforme des hôtesses suit la tendance trendy à la fin des 60’s chez United Airlines. DR

Patrick Herot s’était essayé comme mécanicien d’essai, puis sur les vols de voltige, avant de travailler chez Air France (de 1987 à 2016). « J’ai tout de suite ressenti la dimension d’une seconde famille, car nous partions pour de longs voyages qui pouvaient durer entre douze et quinze jours. Il n’y avait pas Internet, et la première chose que l’on faisait lorsque nous atterrissions, c’était de trouver une cabine téléphonique. Entre collègues, nous dînions ensemble, visitions la ville, il fallait se serrer les coudes. Nous avions le souci de satisfaire le client, surtout lorsqu’on savait qu’il avait économisé toute l’année pour s’offrir le voyage. On fumait beaucoup dans les avions, histoire de déstresser et, lorsqu’on arrivait, je ne vous dis pas l’odeur de nos uniformes ! »

Cigare et pipe

« Chez nous, sur Alitalia, se souvient Alberto Zucconi, 69 ans, c’était encore plus chic : le cigare et la pipe étaient autorisés en première classe, mais pas en classe éco, allez savoir pourquoi ! À cette époque, tous nos vols étaient attendus où que nous allions, car les rotations étaient moins fréquentes. » Pilote entre 1980 et 2008, il a le souvenir de vols cinq étoiles : « La nourriture italienne, les bons vins étaient salués par une clientèle qui se sentait déjà en Italie. Nous étions très chic avec nos uniformes dessinés par Armani, Gucci… Comme tous les pilotes, nous saluions les passagers de marque. La personne qui m’a le plus impressionné, ce fut incontestablement mère Teresa tant elle était simple. Elle avait un charisme inouï. »

La gastronomie embarquée a connu des périodes fastes.
La gastronomie embarquée a connu des périodes fastes. shawshots-alamy-stock-photo

Alberto avait un faible pour le DC‑10, dont il appréciait la rapidité, son maniement et la discrétion des moteurs. L’annonce de la fermeture d’Alitalia, le 15 octobre 2021, fut un choc pour lui, la fin d’une époque.

« Mon geste préféré ? s’interroge Jean- Luc Beyer, 60 ans, commandant de bord sur Air France (20 000 heures de vol), c’était de m’asseoir sur le fauteuil de pilotage, cela signifiait que l’aventure pouvait commencer. Ne pensez pas que les automatismes ont réduit le pilote à l’état de spectateur. Nous passons notre temps à vérifier ce que font les autres, c’est le cross check, actionner les poussoirs, assurer le contact radio, gérer les problèmes passagers, devancer les turbulences, surveiller la consommation de carburant. »

Jean-Luc Beyer continue de piloter et ce, uniquement sur Boeing 777, « le plus bel avion de ligne ». Il se réjouit encore lorsqu’il se voit attribuer un vol vers l’Amérique du Nord, le Brésil, un peu moins la Chine, depuis les confinements obligatoires à l’hôtel.

A bord du Parisien Spécial, dans les années 50.
A bord du Parisien Spécial, dans les années 50. DR

Homard et pichon-longueville

Grand voyageur devant l’éternel, Michel- Yves Labbé, fondateur et patron de Directours, rêve encore des vols des années 70 : « Je nous vois encore lors de la distribution des journaux. D’abord, il y avait les quotidiens, puis les magazines. Parmi ceux-ci, le magazine pour hommes Lui. En deux rangées, le stock était épuisé ! Tout était sujet à anecdote. J’avais un faible pour la compagnie brésilienne Varig. Sur un Rio – São Paolo qui durait à peine quarante-cinq minutes, les hôtesses trouvaient le temps de servir un repas ! Sur Air China, malgré nos billets de classe affaires, nous étions réunis au milieu de l’avion, loin des hublots. La raison ? Les fauteuils étaient réservés pour le personnel navigant ! Je regretterai toujours Swissair, ses chocolats délicieux, la Gazette de Genève et le verre de fendant… Je pense aussi aux merveilleux espressos servis sur Alitalia, le homard et le pichon-longueville sur Emirates, aux avions de Braniff décoré par Calder : tout était en orange à l’intérieur, jusqu’aux uniformes des hôtesses. »

Michel-Yves Labbé appréciait lui aussi tout particulièrement le DC‑10. « Il était plus rapide, filait à 1 115 km/h, alors que les autres restaient autour de 960 km/h. Sur Paris – New York, on gagnait une heure. J’ai encore la nostalgie de cette compagnie haut de gamme, Fairlines, détenue par François Arpels, le jeune héritier de la joaillerie Van Cleef & Arpels, et ses liaisons luxueuses vers Nice et Milan. Les avions de 120 places étaient réaménagés en cabine monoclasse de luxe à 64 sièges, des grooms portaient nos bagages dès notre arrivée… »

Les hôtesses Aeroflot, en 1985.
Les hôtesses Aeroflot, en 1985. aviation-images-com-universal-images-group-via-getty-images

Les meilleurs souvenirs ne courent pas pour autant sur triple moquette : « Avec Aeroflot, poursuit notre conteur, sur une ligne intérieure, à bord d’un Antonov An‑124 à deux ponts, je me souviens avoir eu faim et réclamé quelque chose à une hôtesse solide comme un rugbyman. Elle est revenue avec une miche de pain sous le bras et m’a coupé une large tranche avec un couteau. » Tout n’était donc pas forcément mieux avant…


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