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Architecture : Barreca & La Varra, affronter la complexité du monde

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Toujours en proie avec les enjeux de la société contemporaine, Gianandrea Barreca et Giovanni La Varra ont créé leur agence d’architecture il y a une douzaine d’années, à Milan. Ils évoluent dans une ville en pleine mutation architecturale et urbaine qui offre un terrain d’expérimentation particulièrement approprié à leurs questionnements, qu’il s’agisse de développement durable, de scolarité ou encore de logement social.

Fasciné par la ville depuis son enfance, Gianandrea Barreca, né en 1969, s’est naturellement tourné vers la faculté d’architecture de sa ville natale, Gênes : « un laboratoire à ciel ouvert d’architecture hybride et complexe, jamais banale ». Après avoir envisagé le cinéma, Giovanni La Varra, né en 1967, a de son côté finalement étudié l’architecture à l’École polytechnique de Milan : « Une solution de repli ! J’ai appris que ne pas suivre ses passions est parfois une bonne chose. »

C’est chez Stefano Boeri, une grande figure de la scène lombarde, que les deux hommes se rencontrent. Unis par l’envie de prendre part aux processus de construction de la ville, leurs accointances s’imposent à eux avec évidence. Une fois leur diplôme en poche, ils ont commencé à travailler avec Stefano Boeri – Gianandrea fut son premier étudiant diplômé à Gênes, tandis que Giovanni fut son dernier diplômé à Milan.

Gianandrea Barreca et Giovanni La Varra.
Gianandrea Barreca et Giovanni La Varra. hira-grossi

« Peut-être Boeri a-t-il essayé d’unir, à travers nous, les caractères de deux lieux où il avait enseigné, et aussi deux époques de son apprentissage, racontent-ils. Avec environ 10 ans de plus, il était déjà un “maître”, mais suffisamment proche de nous pour nous permettre d’interagir avec autonomie et de nous sentir impliqués dans un projet culturel et entrepreneurial commun. Pendant quelques années (de 1995 à 1998), nous avons travaillé avec lui, puis, en 1999, nous avons fondé ensemble le Studio Boeri. Mais vers l’âge de 40 ans, après une longue réflexion, nous avons décidé de continuer par nous-mêmes. »

C’est donc en 2008 que le duo crée son agence Barreca & La Varra, défendant une vision singulière de sa discipline : « L’architecture est une contrainte, une possibilité et une opportunité dans une société qui semble de plus en plus multiple, vague et indécise. Nous essayons d’avoir des idées claires et non des idées fixes. »

Barreca & La Varra a travaillé avec Stefano Boeri sur le très médiatisé projet Bosco Verticale : deux tours agrémentées de 20 000 plantes et arbres inaugurées à Milan, en 2014.
Barreca & La Varra a travaillé avec Stefano Boeri sur le très médiatisé projet Bosco Verticale : deux tours agrémentées de 20 000 plantes et arbres inaugurées à Milan, en 2014. barreca-la-varra

Cette volonté de penser leur discipline en mouvement se traduit par des projets qui cherchent systématiquement à dépasser les demandes de leurs clients, mais aussi à les ancrer dans une réalité sociétale et économique : « Nous pensons que le processus de conception est un moment de synthèse de différents exemples qui peuvent provenir de nombreux domaines et, par rapport à tous ces domaines, la forme architecturale est un facteur de résistance et de friction », résument-ils.

Leur envol s’est rapidement concrétisé avec succès. Gianandrea Barreca et Giovanni La Varra œuvrent pour de grands groupes italiens et étrangers – dessinant notamment des sièges sociaux d’entreprises comme Siemens – ainsi que pour des programmes de logements sociaux ou privés, des bâtiments publics tels que des hôpitaux ou des écoles.

L’agence a également imaginé des projets plus vastes, comme la régénération urbaine du quartier de Porta Nuova, à Milan. En parallèle, les deux complices ont une activité intense dans le domaine de l’édition et de l’enseignement.

Barreca & La Varra, une architecture en mouvement

Devenu une évidence depuis quelques années, le rapport entre l’architecture et la nature traverse leur production. Les enjeux du développement durable sont au cœur de leurs préoccupations, comme pour tous les architectes, et le défi majeur du XXIe siècle.

Pour autant, leur vision s’éloigne des performances chiffrées au profit d’une recherche centrée sur l’homme : « L’architecture peut, bien sûr, être un outil pour mieux gérer les ressources de la planète. Il y a peut-être une réponse moins évidente, mais qui est pour nous plus vraie et que nous pensons plus pertinente : nous pensons que l’architecture du XXIe siècle devrait ramener l’être humain au contact de la matérialité des choses, avec les frictions du présent, avec des formes de relations non médiatisées. Qu’elle puisse intrinsèquement offrir à l’homme un monde concret où les sens primordiaux peuvent être mis à contribution. Imaginons des lieux où l’on peut jouer au football dans la rue, des parcs où l’on peut grimper aux arbres, des portiques ombragés où l’on peut s’asseoir et regarder les gens passer, ce qui est le plus beau spectacle que la ville puisse offrir, comme l’a compris Baudelaire. Nos bâtiments doivent répondre à un impératif fonctionnel, mais ensuite, secrètement, ils tentent d’activer des questions superϔlues, des imprévus, des opportunités inattendues. »

La Cittadella Dello Sport, en cours de construction, à Tortone.
La Cittadella Dello Sport, en cours de construction, à Tortone. barreca-la-varra

Ils ont travaillé avec Stefano Boeri sur le très médiatisé projet Bosco Verticale (deux tours agrémentées de 20 000 plantes et arbres inaugurées à Milan en 2014) et participent aujourd’hui pleinement à la métamorphose de Milan, qui s’étire jusqu’en périphérie. Leur Campus Symbiosis, complexe scolaire innovant, vient d’être inauguré à Porta Romana.

Parmi leurs réalisations phares, Innesto est un projet de logements sociaux qui porte en étendard la stratégie de développement durable activement menée par la ville de Milan. Des projets qui ont en commun de questionner une réalité sans jamais chercher à reproduire des modèles.

Lorsqu’on les interroge sur leurs sources d’inspiration, Gianandrea Barreca répond : « Si je devais en choisir quelques-unes, je dirais, d’une part, des bandes dessinées qui me font rêver de mondes, de formes, de couleurs et d’histoires situés dans des paysages et des villes réels, réalistes ou imaginaires (peu importe), et, d’autre part, des voyages, des expériences concrètes et directes, l’observation des espaces, des matériaux et des formes. »

Le duo participe au renouveau de Milan, à l’instar du Campus Symbiosis, complexe scolaire innovant inauguré en décembre 2020 à Porta Romana.
Le duo participe au renouveau de Milan, à l’instar du Campus Symbiosis, complexe scolaire innovant inauguré en décembre 2020 à Porta Romana. ugo-de-berti-udb-studio

Pour Giovanni La Varra, « plus le temps passe, plus les références se raréfient. En ce qui me concerne, les mouvements de caméra de La Dolce Vita (The Good Life, justement !), de Federico Fellini, les mouvements du milieu de terrain néerlandais de 1974, et les mouvements pour entrer dans la Neue Staatsgalerie réalisée par James Stirling, à Stuttgart, sont importants. »

Des réponses qui étoffent cette vision d’une architecture en mouvement, en proie avec les enjeux contemporains. « Avoir des idées claires et non des idées fixes », voilà en somme ce qui résume au mieux la philosophie de Barecca & La Varra.

Milan : la métamorphose

Barreca & La Varra exercent leur métier dans une ville en plein renouveau architectural et urbain :

« Nous avons la chance de vivre cette période. C’est évidemment une situation qui présente aussi des risques, difficiles à voir quand tout semble fonctionner. Mais nous essayons de les contourner. Nous prévoyons de construire à Milan, dans les prochaines années, un millier de logements abordables dans différents quartiers ; nous avons construit une école qui est un prototype contemporain de bâtiment scolaire multigénérationnel ; nous construisons un hôpital dans le centre-ville qui sera également un grand jardin thérapeutique. Nous discutons avec certaines municipalités en dehors de Milan pour diffuser cette énergie afin de ne pas la concentrer uniquement dans le centre. Mais il y a encore beaucoup à faire. La prochaine étape que Milan doit franchir est une augmentation drastique de la qualité de ses espaces et de ses services publics. Les parcs et les places sont souvent des lieux délaissés, les projets de qualité sont rares, le plus souvent récents, mais toute l’offre du XXe siècle – des projets pour lesquels l’entretien ordinaire ne suffit pas – doit être repensée à l’aune d’une utilisation intense et différente du passé. La présence de voitures en stationnement est étouffante, certains services sont sous-dimensionnés, comme la vingtaine de bibliothèques où l’on trouve des chaises laides et un mauvais éclairage : la ville qui conçoit les plus belles chaises et les plus beaux luminaires du monde ne peut se le permettre ! Mais nous aimons le caractère milanais qui allie sobriété, ambition et sens des limites. L’année qui vient de s’écouler a ramené l’attention sur les aspects essentiels de la vie et du bien-être dans l’espace public. Milan ne doit pas les négliger. Nous avons aujourd’hui une architecture emblématique, sur laquelle est fondée une nouvelle identité internationale. Il y a encore vingt ans, les seuls bâtiments milanais connus étaient le Duomo et le stade San Siro. Mais c’est précisément parce que nous avons consolidé une nouvelle architecture iconique qu’il faut maintenant se concentrer sur l’ordinaire. La compétition internationale se joue désormais non plus sur le bâtiment le plus haut, mais sur le banc le plus confortable. »


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