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Fret à voile : zoom sur 4 protagonistes en France

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Dans un contexte mondial où le transport maritime de marchandises se confronte aux problématiques environnementales et aux conséquences qui en découlent, une nouvelle génération d’armateurs émerge depuis une dizaine d’années en France. Ils ont fait le choix du vent comme propulsion principale, et leurs premiers bateaux de fret à voile s’apprêtent à voir le jour.

Le transport maritime vélique a… le vent en poupe ! Tour d’horizon des acteurs les plus prometteurs sur le marché du fret à voile en France.

TOWT

Pionnière en France, l’entreprise Transoceanic Wind Transport (TOWT) voit le jour en 2011, à Douarnenez. Elle commence par tester son concept de transport à la voile en cabotage en affrétant 19 navires déjà existants. Au total, 1 200 tonnes de produits à haute valeur ajoutée – café, cacao, vins et spiritueux – sont transportés, tout en réalisant une économie de 1 500 tonnes de CO2 (d’après l’entreprise). Cette phase permet surtout à TOWT d’accroître ses compétences maritimes, commerciales, logistiques, douanières, légales et fi nancières et d’affiner son projet de construire et d’armer de futurs voiliers-cargos modernes.

Après des débuts en tant que négociant, elle se spécialise dans l’activité de transport en 2015. « Si l’on veut un transport maritime décarboné, il faut trouver des leviers de valorisation, déclare Guillaume Le Grand, cofondateur et CEO. Dès le début, nous avons créé le label Anemos. C’est une marque collective de certification qui regroupe aujourd’hui une trentaine de chargeurs. Cette initiative marketing permet une forte différenciation. Chaque produit transporté à la voile possède un numéro de voyage permettant aux consommateurs de retrouver toutes les étapes de son acheminement grâce à l’accès au suivi GPS, au routage, au journal de bord, à la météo et à l’indice carbone. Il faut prendre à témoin le consommateur ; nous avons opté pour une manière immersive, en lui faisant vivre le voyage. »

Pionnière en France, l’entreprise Transoceanic Wind Transport (TOWT) voit le jour en 2011, à Douarnenez.
Pionnière en France, l’entreprise Transoceanic Wind Transport (TOWT) voit le jour en 2011, à Douarnenez. TOWT

L’argument commercial de la décarbonation réussit à convaincre des chargeurs industriels, comme Cémoi – dont TOWT transporte 15 % des matières premières, soit 200 000 tonnes de cacao par an –, Belco, spécialisé dans le sourcing et la distribution de cafés verts, ou encore les champagnes Drappier. « Ce qu’on dit, c’est qu’on va faire un peu plus cher, mais qu’on va le faire très bien, résume le CEO. Les clients y trouvent leur compte et nous pensons qu’il est possible de capter un marché. Nous signons des contrats à très long terme avec nos clients, couvrant des périodes d’une dizaine d’années, et nous nous engageons sur des taux de fret fixes décorrélés du prix du baril de pétrole. »

Après deux levées de fonds et le choix d’un chantier de construction français, TOWT s’apprête à passer à la construction de son voilier-cargo de 67,5 m de long – coût estimé à 15 M € –, premier d’une flotte prévue de 4 navires de classe Phénix. La mise à l’eau est annoncée pour fin 2022. Chacun des voiliers-cargos possédera une capacité de transport de 1 000 tonnes, et l’entreprise s’engage à garantir une vitesse de transit de 11 nœuds, permettant de relier Le Havre à New York en treize jours.

Grain de Sail

En 2010, Olivier et Jacques Barreau, frères jumeaux originaires de Morlaix, créent l’entreprise Grain de Sail avec l’objectif de financer la construction d’un voilier-cargo. « La difficulté d’une telle initiative réside surtout dans son aspect financier, explique Jacques Barreau, directeur général de Grain de Sail. Quand on est armateur, on se demande toujours ce qu’on va mettre dans ses cales. Nous avons pensé à des produits plaisir comme le café et le chocolat, et l’histoire s’est faite par rapport à ça. Pour éviter de partir à vide, nous avons également pensé à charger du vin. La boucle import-export s’est montée naturellement. En devenant torréfacteur et chocolatier, en plus d’armateur, nous créons les besoins en matières premières qui viennent de loin. De manière générale, un voilier coûte plus cher qu’un transport maritime classique. Il faut donc que les produits soient à forte valeur ajoutée afin de diluer le surcoût du transport. Ce qui est le cas du chocolat. Une tablette coûte 0,10 à 0,13 € de plus comparé à un transport effectué par un porte-conteneurs. »

Basée à Morlaix, l’entreprise achemine la totalité de ses besoins en matières premières de manière conventionnelle jusqu’à être, en 2018, en mesure de se lancer dans la construction de son premier navire pour un coût de 2 M €. Grain de Sail, le premier voilier-cargo moderne, effectue sa première navigation transatlantique en novembre 2020. L’électricité y est produite en circuit renouvelable : panneaux solaires, microéoliennes et hydrogénérateurs.

Grain de Sail transporte des à forte valeur ajoutée afin de diluer le surcoût du transport de fret à voile. C’est le cas du chocolat.
Grain de Sail transporte des à forte valeur ajoutée afin de diluer le surcoût du transport de fret à voile. C’est le cas du chocolat. le-naoures-francois-nao

« Il part de Saint-Malo et livre le vin à New York, puis il descend à côté de Saint-Domingue pour charger 36 tonnes de cacao et 2 tonnes de café vert avant d’effectuer son retour en Bretagne. » L’entreprise a donc fait le choix de coupler une activité agroalimentaire à celle d’armateur. « En maîtrisant plusieurs métiers, nous nous sommes soustraits du marché du transport maritime. L’équation globale est plus facile à maîtriser et cela donne de la valeur à l’entreprise. La communication engendrée par le navire est un grand avantage. Notre objectif reste le transport de la quasi-totalité des matières premières. »

En effet, le premier navire achemine plus de 50 % des besoins en cacao, et le projet d’un deuxième navire, Grain de Sail II, est en cours. Ce dernier mesurera 50 m de long avec une capacité de transport de 300 à 350 tonnes de marchandises, contre 24 m et 50 tonnes pour le premier.

Neoline

Après des carrières dans la marine marchande à bord de cargos rouliers, Jean Zanuttini et Michel Péry s’associent en 2011 et réfléchissent au projet d’un navire de grande taille de type roulier et, surtout, animé par une propulsion vélique principale.

« Des énergies vraiment renouvelables, il n’y en a pas à profusion, explique Jean Zanuttini, président de Neoline. Le vent est utilisé depuis des dizaines de milliers d’années. Ne pas le prendre en compte dans un objectif de transition écologique est invraisemblable. On peut perdre un peu en productivité et en vitesse, mais on est gagnant sur tous les autres tableaux. Aujourd’hui, la grande révolution est celle qui permet de prévoir le vent que nous allons avoir et déterminer le routage en fonction de ces tendances. »

Rapidement, la première phase prend la forme d’une association de 9 membres, tous issus de l’univers de la marine et de l’armement. En 2015, convaincus du potentiel de leur projet, ils créent Neoline, à Nantes, pour financer des études techniques et explorer le marché.

Neoline a fait le choix d’un navire de 136 m de long avec 4 200 m² de voile. Le Neoliner pourra embarquer 500 voitures ou 280 conteneurs ou 5 000 tonnes de fret conventionnel. Son coût est estimé à 50 M €.
Neoline a fait le choix d’un navire de 136 m de long avec 4 200 m² de voile. Le Neoliner pourra embarquer 500 voitures ou 280 conteneurs ou 5 000 tonnes de fret conventionnel. Son coût est estimé à 50 M €. Mauric

« L’objectif est de devenir armateur, poursuit le patron. Concevoir un navire et mettre en place un service de transport le plus décarboné possible. » L’entreprise a fait le choix d’un navire de 136 m de long avec 4 200 m² de voile et une vitesse commerciale de 11 nœuds. Il pourra embarquer 500 voitures ou 280 conteneurs ou 5 000 tonnes de fret conventionnel.

Le coût est estimé à 50 M €. En 2020, l’entrée au capital du groupe havrais Sogestran a donné un coup d’accélérateur au développement. Actuellement en négociation finale avec le chantier de construction et les financeurs, la construction du Neoliner devrait débuter cet été. Depuis son port d’attache de Saint-Nazaire, il desservira Saint-Pierre-et-Miquelon, Halifax et Baltimore.

Grâce à un premier positionnement pertinent de transport de fret hors norme et hors gabarit, Neoline a réussi à convaincre des chargeurs industriels. « Nous avons les lettres d’intérêt de Manitou, pour le transport de leurs engins de manutention vers les États-Unis, et de Bénéteau, pour le transport de leurs unités en Amérique du Nord. Un contrat a été signé avec Renault, et nous avons un engagement avec Hennessy, ainsi qu’un accord avec Michelin, pour un transport depuis Halifax vers la France. » Michelin qui a d’ailleurs présenté, au début de l’été, Wisamo, une aile gonflable à greffer sur des bateaux.

Zéphyr & Borée

Ancien officier de la marine marchande, Nils Joyeux se penche sur la problématique de la décarbonation du transport maritime en 2014. Après avoir étudié les différentes possibilités, la conclusion qui s’impose à lui est l’utilisation de l’énergie du vent. Zéphyr & Borée naît ainsi de la volonté de faire évoluer le modèle énergétique du transport maritime en concevant des navires à voile.

En 2015, la rencontre avec l’architecte naval français Marc Van Peteghem est déterminante. Son cabinet VPLP design élabore un projet d’aile articulée, les OceanWings. En octobre 2019, ArianeGroup annonce sa collaboration avec Alizés, une joint-venture créée pour l’occasion entre l’entreprise aixoise Jifmar Offshore Service et Zéphyr & Borée.

Il s’agit de développer un navire qui assurera, à partir de 2023, le transport des différents éléments composant le lanceur Ariane 6 depuis Brême, Le Havre, Rotterdam et Bordeaux, jusqu’au centre spatial de Kourou, en Guyane. Début janvier, la construction du navire de 121 m baptisé Canopée a débuté sur le chantier néerlandais Neptune.

« Le cahier des charges est très compliqué, précise Nils Joyeux, président de Zéphyr & Borée. Il faut construire un bateau très spécifique pour pouvoir faire route dans un sens comme dans l’autre tout en permettant une manutention souple. Nous avons opté pour des voiles rigides, un système qui présente la meilleure portance, avec un angle au vent faible. »

Début janvier, la construction du navire de 121 m baptisé Canopée de Zéphyr & Borée a débuté sur le chantier néerlandais Neptune.
Début janvier, la construction du navire de 121 m baptisé Canopée de Zéphyr & Borée a débuté sur le chantier néerlandais Neptune. DR

C’est la société Ayro, fondée en 2018 par VPLP, qui s’occupe d’adapter le concept Oceanwings au navire Canopée sous la forme de 4 ailes verticales et articulées de 363 m2 chacune. Une propulsion mêlant voile et moteur assurera une vitesse de 16,5 nœuds.

« Une propulsion mixte permet de garantir la vitesse que le client nous demande. Une fois qu’elle est déterminée, on ne peut pas en déroger, car le bâtiment s’inscrit dans une chaîne logistique compliquée ; tout retard a un impact énorme. » Afin d’optimiser ses performances de navigation, l’entreprise collabore notamment avec D-Ice Engineering, jeune société nantaise qui a développé un outil de routage météorologique statistique permettant de définir la meilleure route à emprunter et les régimes de moteur à adopter pour tirer le meilleur parti du vent prévu sur la traversée.


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