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Culture

The Good Playlist : Musiques gnaouas & jazz, une rencontre inévitable

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Essaouira s’est imposée ces dernières décennies comme l’épicentre mondial des musiques gnaouas. C’est ici qu’ont lieu des rencontres exceptionnelles entre les grands noms du jazz et de la nouvelle scène marocaine portée par une génération de musiciens épris de tradition comme de modernité.

À la fin du printemps, un vent d’une extraordinaire vigueur souffle habituellement sur la discrète Essaouira. Mais voilà deux ans que ce vent, au mois de juin, n’emporte plus avec lui le tumulte de la foule ni les échos des habituels concerts donnés sur la plage et au cœur de la médina. Créé en 1998, le Festival gnaoua et musiques du monde peut se targuer d’avoir propulsé tout un pan méconnu de la culture marocaine sous les feux des projecteurs de médias internationaux et, plus encore, d’avoir sauvé de la torpeur économique cette petite ville côtière, modeste port de pêche dont les pierres des murailles datent du XVIIIe siècle. L’origine des musiques gnaouas se situe deux siècles plus tôt.

Son histoire est, comme souvent, celle de peuples déracinés, esclavagisés, confrontés à une langue et une culture nouvellement imposées. Schéma identique au candomblé brésilien et au vaudou haïtien, avec, toujours, l’Afrique subsaharienne comme point de départ. La musique gnaoua est « africaine par la sève et maghrébine par la greffe », comme le résume l’ethnologue Abdelhafid Chlyeh.

Elle partage un langage commun avec le jazz et le blues : pulsation ternaire, syncopée, lignes mélodiques pentatoniques et chants en forme de questions – réponses entre une voix soliste et un chœur. Chez les gnaouas, l’instrument principal est le guembri – une sorte de luth à trois cordes en boyau, avec une caisse de résonance en peau de chèvre –, le tempo est marqué par les qraqeb, ces crotales joués par les danseurs et membres du chœur, et l’improvisation se retrouve dans les incantations des maâlems, maîtres de cérémonie et détenteurs absolus de la tradition.

La rencontre de ce genre multiséculaire avec le jazz était donc inévitable. Mais il a fallu attendre les années 90 pour entendre les premiers témoignages enregistrés : ceux de Pharoah Sanders avec Mahmoud Ghania, de Rudolf Adam et Don Cherry avec Hassan Hakmoun et plus encore ceux de Randy Weston, disparu en 2019, qui a été l’un des musiciens américains les plus impliqués dans cette association musicale.

Depuis, toujours plus de jazzmen des quatre coins du monde se frottent à la transe gnaoua – délaissant la partie religieuse et rituelle pour ne s’intéresser qu’à la musique. Et ce, là encore, grâce au festival dont le leitmotiv est de favoriser de telles rencontres. En un peu plus de vingt ans, toute la crème de la Great Black Music est passée par Essaouira : Joe Zawinul, Pat Metheny, Marcus Miller, Wayne Shorter, Maceo Parker, Lucky Peterson, Christian Scott et tant d’autres.

Randy Weston, l’un des pionniers de la fusion gnaouas et jazz.
Randy Weston, l’un des pionniers de la fusion gnaouas et jazz. festival-gnaoua

De quoi créer de nombreuses vocations au cœur d’une foule de locaux de tous âges qui, chaque année, assistent à ces rencontres musicales dans un cadre populaire et festif. Directeur artistique du festival, le batteur Karim Ziad se réjouit de cette nouvelle vitalité de la scène marocaine : « Depuis quelques années, les grands maîtres nous quittent, mais la relève est déjà assurée. À Essaouira, il y a beaucoup de jeunes maâlems extrêmement talentueux, à l’image de Houssam Ghania [fils de Mahmoud, l’un des plus grands maâlems de la seconde moitié du XXe siècle, NDLR]. On voit également émerger de plus en plus de jeunes femmes à la tête de leur propre groupe. »

Les femmes aussi montent sur scène

Il s’agit là d’une évolution des plus notables de ces dernières années. La musicienne Asmâa Hamzaoui, originaire de Casablanca, a été l’une des premières à réussir à s’imposer médiatiquement au cœur d’une société marocaine conservatrice et patriarcale. En 2017, à Essaouira, avec un groupe exclusivement féminin, elle subjuguait un public de happy few lors de concerts intimistes, dans les riads de la médina.

L’année d’après, elle était propulsée sur la grande scène du festival aux côtés de la chanteuse malienne Fatoumata Diawara. Ce que certains jeunes maâlems, malgré leur ouverture revendiquée et leur envie de reconnaissance par le monde culturel occidental, ne voient pas toujours d’un bon œil.

Dans cette musique traditionnelle – dont le rôle initial est thérapeutique, avec des processus de transe –, les femmes, qui n’ont toujours eu qu’un rôle de guérisseuse, n’ont pas accès à celui de « maâlema » qui leur permettrait, guembri en main, de régner en maîtresses de cérémonie. Ne reste alors que le cadre profane, lors de concerts donnés à un public non pratiquant.

« Vous connaissez le statut de la femme au Maghreb, soupire Karim Ziad. Les libertés sont données timidement. Mais il est vrai qu’en ce qui concerne le fait de jouer en public c’est une sacrée avancée. Nous n’aurions jamais pu voir cela il y a vingt ou trente ans. »

Mehdi Nassouli, musicien originaire de Taroudant, est devenu en quelques années l’une des figures les plus populaires des musiques gnaouas d’Essaouira.
Mehdi Nassouli, musicien originaire de Taroudant, est devenu en quelques années l’une des figures les plus populaires des musiques gnaouas d’Essaouira. festival-gnaoua

À l’aube de cette nouvelle décennie, la musique gnaoua est en pleine mutation, les instruments traditionnels se modernisent, s’électrisent, et la fusion ne se limite plus au jazz. Nombreux sont les gnaouas qui embrassent tous les genres actuels – notamment l’électro – et comptent bien conquérir un public toujours plus éclectique, plus jeune, et ce depuis les scènes du Festival d’Essaouira, dont la 23e édition devrait se dérouler au printemps 2022.

5 artistes incontournables des musiques gnaouas

Randy Weston, le pionnier. En 1967, Randy Weston, pianiste de jazz de Brooklyn, effectue une série de concerts en Afrique. À la fin de sa tournée, il s’installe à Tanger, où il crée, en 1972, l’African Rhythm Club, pour y organiser des rencontres entre musiciens africains et américains. C’est donc in situ que Weston découvre la musique gnaoua. Mais il ne publiera The Splendid Master Gnawa Musicians of Morocco, premier enregistrement consacré à ce répertoire, qu’en 1992. Quelques années plus tard, il deviendra l’une des figures les plus importantes du Festival d’Essaouira.

Mehdi Nassouli, le gnaoua du futur. Découvert en 2012 aux côtés du guitariste Titi Robin, le jeune Mehdi Nassouli, musicien originaire de Taroudant, est devenu en quelques années l’une des fi gures les plus populaires d’Essaouira. En 2016, il publiait son premier album en leader, un hommage à sa ville natale. Reconnu comme virtuose du guembri et vocaliste exceptionnel par les cercles traditionnels, il s’est frotté, ces derniers temps, à des registres plus pop aux côtés d’Hindi Zahra et en compagnie du producteur électro tunisien Ammar 808.

Asmâa Hamzaoui, la maâlema. C’est sur les scènes d’Essaouira qu’Asmâa Hamzaoui, née en 1998 à Casablanca, a été repérée ces dernières années par un public d’amateurs, avant d’enregistrer un album en 2019, Oulad Lghaba, pour le label suédois Ajabu!. Disque moderne dans sa production, mais absolument ancré dans la tradition, comme pour préciser aux musiciens les plus conservateurs qu’une femme devrait aussi pouvoir revendiquer le titre de maâlema, ou maîtresse de cérémonie. Que cela plaise ou non, Aasmâa Hamzaoui est une musicienne sur qui il va falloir compter.

Mahmoud Ghania, le patriarche. En juin 1994, Pharoah Sanders, légende vivante du spiritual jazz, décide d’aller découvrir la musique gnaoua à sa source. Accompagné du producteur Bill Laswell, il s’envole avec un simple enregistreur portatif vers Essaouira. Reçus par Mahmoud Ghania, l’un des maâlems les plus respectés du Maroc, ils enregistrent en trois soirées des heures d’improvisations dans un riad de la médina. Des bandes qui seront mixées à New York quelques semaines plus tard et publiées en un album d’une grande authenticité et d’une grande rareté, sous le titre Trance of Seven Colors.

Karim Ziad, le parrain. Directeur artistique du Festival d’Essaouira depuis bientôt vingt ans, le batteur Karim Ziad est aussi producteur et accompagnateur de nouveaux talents de la scène marocaine. Plongé depuis l’adolescence dans la musique gnaoua, il joue régulièrement aux côtés des maâlems les plus prestigieux. Ses albums Ifrikya (2001) et Yobadi (2010) sont des références dans cet exercice de fusion. Cet été, c’est aux côtés du prodigieux Mehdi Nassouli et du pianiste israélien Omri Mor qu’il publie Assala, titre qui signifie « racines ».

La playlist gnaouas & jazz de The Good Life :


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