×
groupe-beneteau-bateaux-usine-2021-1-56
groupe-beneteau-bateaux-usine-2021-1-56
jchassagne

Toys // The Good Boost

Bateaux : Groupe Beneteau, les grandes manœuvres

The Good Boost

Toys

Pour faire face à une mer agitée, le groupe vendéen Beneteau, champion international de la plaisance au travers de douze marques de bateaux à voile et à moteur, a mis en place un plan stratégique visant à adapter ses forces à la nouvelle donne du marché du nautisme mondial. Réduction de la production et recentrage autour de huit marques sont notamment au programme…

L’allure s’est réduite, mais la barre reste ferme. Si le cap est toujours vers le grand large, le régime de croisière s’est adapté à des prévisions météo incertaines. Assouplir le rythme, afin de renforcer l’autonomie et conserver toutes les capacités de manœuvres du navire Beneteau. Telle est la feuille de route de Jérôme de Metz, nouvel amiral du puissant groupe vendéen. Leader mondial de la plaisance, le groupe Beneteau regroupe une flotte de marques qui en reflète quasiment tous les segments, du petit hors-bord de 5 mètres au catamaran de luxe de plus de 24 mètres.

La prise de commande de Jérôme de Metz, au printemps 2019, est intervenue dans un environnement houleux : brusque débarquement du précédent directeur général, Hervé Gastinel (qui a tenu la barre durant quatre ans), nécessité d’adapter un outil industriel en état de surcapacité dans un marché hésitant, recalibrage d’un plan produit jusque-là ultradynamique, impératifs budgétaires et… pandémie. Poids lourd du nautisme international avec douze marques de bateaux à voile et à moteur, le groupe Beneteau pèse près de 1,15 milliard d’euros de chiffre d’affaires (période 2019-2020).

Présent également dans le secteur du mobil-home (15 % du CA), ce champion emploie au total plus de 8 300 collaborateurs. Dont 4 000 en Vendée, le berceau historique d’un groupe dont l’origine remonte à 1884. Ses actuels 26 sites de production sont implantés en France (20 sites, dont 12 en Vendée), en Pologne, en Italie, aux États-Unis et en Slovénie. Chaque année, près de 9 000 bateaux (toutes tailles confondues) sortent de ses usines situées aux Herbiers (Vendée) comme à Cadillac (Michigan), à Bordeaux comme à Ostroda (Pologne) ou Monfalcone (Italie).

Poids lourd du nautisme international avec 12 marques de bateaux à voile et à moteur, le groupe Beneteau pèse près de 1,15 md € de chiffre d’affaires. Leader mondial du segment des vedettes inboard de 40 à 50 pieds, la marque Prestige lance la gamme X-Line, créée dans l’esprit des superyachts, avec son tout premier modèle ultraspacieux X70.
Poids lourd du nautisme international avec 12 marques de bateaux à voile et à moteur, le groupe Beneteau pèse près de 1,15 md € de chiffre d’affaires. Leader mondial du segment des vedettes inboard de 40 à 50 pieds, la marque Prestige lance la gamme X-Line, créée dans l’esprit des superyachts, avec son tout premier modèle ultraspacieux X70. DR

Coté à Euronext Paris, le groupe reste majoritairement aux mains des familles fondatrices Bénéteau et Roux, qui verrouillent 54 % des parts grâce à la holding Beri 21. Le reste est réparti entre investisseurs institutionnels et petits porteurs. La mauvaise tenue des cours de l’action Beneteau a entraîné les interrogations des analystes financiers face aux performances du groupe. Et à ses bénéfices.

Une sanction boursière à mettre en parallèle avec les derniers résultats (1er septembre 2019-31 août 2020), en retrait de 14 %. Une contraction attendue, et finalement moins grave que prévu, le repli de 25 à 30 % des marchés de la plaisance – celui des loueurs de bateaux en charter a été particulièrement touché – ayant été partiellement compensée par un bel été 2020 et par la croissance du marché des bateaux hors-bord.

Poids lourd du nautisme international avec 12 marques de bateaux à voile et à moteur, le groupe Beneteau pèse près de 1,15 md € de chiffre d’affaires. Leader mondial du segment des vedettes inboard de 40 à 50 pieds, la marque Prestige lance la gamme X-Line, créée dans l’esprit des superyachts, avec son tout premier modèle ultraspacieux X70.
Poids lourd du nautisme international avec 12 marques de bateaux à voile et à moteur, le groupe Beneteau pèse près de 1,15 md € de chiffre d’affaires. Leader mondial du segment des vedettes inboard de 40 à 50 pieds, la marque Prestige lance la gamme X-Line, créée dans l’esprit des superyachts, avec son tout premier modèle ultraspacieux X70. DR

Le nouveau plan quinquennal du groupe Beneteau

L’état-major du groupe s’est, en amont, préparé au coup de tabac, accentué par l’effet Covid. Au très ambitieux plan Transform to Perform lancé en 2017 par l’énarque Hervé Gastinel a succédé cet automne le nouveau plan quinquennal Let’s Go Beyond du financier Jérôme de Metz. Aux coûteux développements industriels et marketing multiformes et multiproduits, imaginés dans une période de croissance jugée longue, répond une gestion plus orthodoxe, imposée tant par l’actionnaire principal que par les réalités du marché.

Arrivé comme administrateur, Jérôme de Metz est devenu l’homme de la situation au printemps 2019, en étant nommé PDG du groupe. Expert-comptable, ce Breton rompu au capital-investissement a tout d’abord pris du temps pour établir son diagnostic. Et faire adouber ses arbitrages au sein du conseil d’administration. Parmi ses membres, la place d’honneur revient à Annette Roux (née Bénéteau). À la tête du groupe pendant quarante ans, c’est cette patronne de choc qui a transformé le petit chantier paternel de bateaux de pêche en bois en l’un des ensembles nautiques les plus importants au monde. Qui reste avant tout une entreprise familiale, aux profondes racines vendéennes.

Le groupe Beneteau est présent sur quasiment tous les segments de la plaisance. Il occupe le second rang mondial du bateau à moteur, incluant les gammes Cap Camarat de Jeanneau (photo) et Swift Trawler de Beneteau.
Le groupe Beneteau est présent sur quasiment tous les segments de la plaisance. Il occupe le second rang mondial du bateau à moteur, incluant les gammes Cap Camarat de Jeanneau (photo) et Swift Trawler de Beneteau. DR

Fondé au XIXe siècle par Benjamin Bénéteau, le chantier a connu un formidable envol dans la seconde moitié du XXe siècle avec Annette Roux, en surfant sur l’avènement du gelcoat et l’engouement insatiable des baby-boomers français pour la plaisance. Il doit maintenant composer avec les réalités du XXIe siècle : des papy-boomers qui, l’âge venant, naviguent moins, l’apparition de nouvelles formes de pratiques privilégiant l’usage sur la propriété, la forte croissance de la demande locative (notamment via les sociétés de location charter et les plates-formes collaboratives), une segmentation de plus en plus poussée du marché, l’implacable exigence de la clientèle pour les nouveautés et une concurrence particulièrement féroce.

Le groupe Beneteau possède d’évidents atouts pour relever ces défis. Ce n’est pas la première crise qu’il traverse. Le vendéen a même été toujours renforcé par les différentes épreuves. Les chiffres illustrent son incroyable développement, soutenu par le rachat de concurrents et la création de marques nouvelles. Alors que le chantier Beneteau affiche un chiffre d’affaires de 6,7 millions d’euros en 1977, ce dernier est propulsé à 64,3 millions en 1984 (année de son ­entrée en Bourse). Il passe ensuite de 106 millions d’euros en 1995 à 153 millions d’euros en 1996 – à l’issue du rachat de son grand concurrent vendéen, le chantier Jeanneau.

Le cap des 500 millions d’euros est dépassé en 2001 (570 millions d’euros). Celui du milliard en 2007 (1,015 milliard d’euros). Juste avant la crise de 2008. Après un recul post-Lehman ­Brothers, il lui faudra alors presque dix ans pour atteindre son point culminant avec 1,336 milliard d’euros (en 2018-2019).

Le groupe Beneteau a fondé son essor sur ses ventes à l’international. Sa division bateau exporte 85 % de sa production, répartie entre l’Europe (35 %), l’Amérique du Nord (30 %), les flottes de loueurs en charter (10 %) et le reste du monde (10 %). Les finances sont saines : en février dernier, le groupe disposait de plus de 600 millions d’euros de fonds propres, de 300 millions de lignes de crédit confirmées et non tirées (non utilisées), auxquelles s’ajoutera un prêt garanti par l’État de 120 millions.

Les marques du groupe étaient présentes sur le plus grand salon nautique américain, le Miami International Boat Show, qui a accueilli près de 100 000 visiteurs en février 2020.
Les marques du groupe étaient présentes sur le plus grand salon nautique américain, le Miami International Boat Show, qui a accueilli près de 100 000 visiteurs en février 2020. DR

Pour s’adapter à la nouvelle donne, les grandes manœuvres de Beneteau s’appuient sur le plan stratégique 2020-2025, auquel s’ajoute un plan opérationnel imposé par la crise sanitaire. L’effet Covid ayant été un accélérateur de prise de décision. Première tâche : « réduire les capacités de production » en fermant cinq des 26 sites du groupe. Dont l’usine américaine historique de ­Marion (­Caroline du Sud), ainsi que trois sites français : Luçon, Challans et l’Herbaudière (Noirmoutier). Une décision douloureuse, entraînant une importante négociation sociale quant au redéploiement des 400 employés vers les autres sites vendéens.

Symbole de la présence de ­Beneteau aux États-Unis, le chantier de ­Marion était spécialisé dans la construction de voiliers monocoques, marché en décroissance depuis dix ans. « À l’avenir, ces voiliers seront made in France, puis envoyés par cargo aux États-Unis », indique Mirna Cieniewicz, directrice communication corporate du groupe, ­l’Administration américaine n’imposant pas (encore) de taxes sur les bateaux importés.

Même mouvement de balance géographique pour les marques américaines Wellcraft et Four Winns, dont certaines lignes de production émigreront depuis ­Cadillac vers la Pologne. « Pour faire face à la baisse des commandes et des volumes, nous avons dû prendre des décisions. Tristes, mais de bon sens. Réduire nos coûts de structure, devenus insupportables, était devenu une nécessité », analyse Jérôme de Metz, qui se défend d’être un « cost killer ».

Il se rappelle encore les mots que lui a glissés Anette Roux à son arrivée. « Vous avez une compréhension du produit, c’est bien. N’essayez pas de nous apporter de la passion, il y en a suffisamment dans le groupe. Ce qu’on attend maintenant, c’est un peu de raison. »

Des arbitrages douloureux

Bon sens et raison, le plan Let’s Go Beyond n’en manque pas. Opérationnelle depuis le 15 octobre, la nouvelle organisation bouscule sérieusement un ensemble encore composé de « grosses PME » a forte personnalité. Le PDG est désormais secondé par deux directeurs généraux délégués. L’Italien Gianguido Girotti est chargé de la stratégie marque et produit. Et c’est le vieux briscard vendéen Jean-Paul Chapeleau qui coiffe les opérations industrielles et le développement.

À la tête de chaque marque, une nouvelle génération de managers maison prend du galon. Issus du sérail, ils adhèrent tous à la nouvelle pensée globale et collaborent pleinement à sa mise en musique et à la mutualisation des compétences. L’idée ? Casser les habitudes que pouvait avoir chaque chantier à évoluer de manière presque autonome. Marques et produits pouvant se concurrencer entre eux. Par exemple, l’opposition entre Beneteau et Jeanneau a longtemps été légendaire au sein du groupe. Il faut désormais penser et agir en « house of brands ».

Le chantier historique Beneteau construit les bateaux à voile monocoque Oceanis.
Le chantier historique Beneteau construit les bateaux à voile monocoque Oceanis. DR

« Pour construire cette “maison des marques”, nous avons fait une analyse minutieuse des 28 segments du marché, puis adapté nos marques selon les besoins spécifiques. Elles ne se chevaucheront plus. Par la pertinence et l’innovation de leurs nouveautés, elles seront en capacité de répondre à chacune de ces attentes », commente Jérôme de Metz. « Cette forte volonté de branding est une révolution pour le groupe. De plus, la richesse du mix produit s’adapte à une demande aussi bien locale qu’internationale », enchérit ­Gianguido Girotti.

Des arbitrages douloureux ont dû être faits. La galaxie Beneteau va se séparer de quatre chantiers – les voiliers de luxe CNB, les luxueux yachts italiens Monte Carlo et les marques américaines Glastron et Scarab –, pour se concentrer sur huit entités, au profil clairement identifié. Avec, pour certaines, la mission de conquérir de nouveaux marchés porteurs. Comme le catamaran hors-bord dédié à Four Winns ou le développement du segment de la navigation en eaux intérieures, option motorisation électrique, dévolu à Delphia.

À cette nouvelle stratégie produit s’adaptera celle de la production. Auparavant spécialisées par marques, les usines s’orientent vers une polyvalence multimarque et une spécialisation par type de bateaux. « Nous voulons améliorer l’efficacité, l’agilité et l’efficience de nos usines, précise le CEO. Moins de marques, moins de modèles, mais un même chiffre d’affaires. Avec une meilleure rentabilité. L’objectif est d’être rentable, quelles que soient les conditions du marché. » On appelle ça un cercle vertueux…


Voir plus d’articles sur le sujet
Continuer la lecture