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Vins et spiritueux

Whisky : Armorik, l’avenir de la distillerie Warenghem

Vins et spiritueux

Avec son nouveau chai Armorik inauguré en 2019, la distillerie indépendante Warenghem, l’une des plus anciennes de France, affiche son ambition de devenir l’un des leaders du whisky français. Ses productions locales aux arômes singuliers devraient y contribuer.

L’édifice ultramoderne ressemble à un vaisseau de bois et d’acier, posé telle une soucoupe volante au milieu de la nature. On pourrait croire que ce bâtiment amiral abrite une nouvelle start-up à la volonté affirmée de conquérir le monde à partir d’une idée numérique. Se fier à cette première impression serait une erreur, car il s’agit en fait de l’une des distilleries les plus anciennes de France, basée à Lannion, dans les Côtes-d’Armor. Armorik donne ainsi raison à l’adage populaire « l’habit ne fait pas le moine ». La distillerie de whisky Warenghem a été fondée en 1900 par Léon Warenghem autour d’une boisson alcoolisée baptisée Elixir d’Armorique, composé d’un mélange de 35 plantes.

Chez les Bretons, les allusions aux druides et à la nature ne sont jamais bien éloignées de la réalité. Au cours des années suivantes, la distillerie a produit de la liqueur de crème de cassis, de fraise de Plougastel… avant de prendre le tournant du whisky dans les années 80, sous l’impulsion de Gilles Leizour, gérant de la distillerie. Un premier whisky breton, le WB, un blend de blé et d’orge, est commercialisé avec succès en 1987. C’est le point de départ de ce que la distillerie produit aujourd’hui.

En 1998, Gilles Leizour innove encore en créant l’un des premiers single malts français et en lançant par la même occasion Armorik. Une marque qui prend aujourd’hui un nouvel essor grâce à la construction des nouveaux espaces. « Cet ensemble moderne est sorti de terre en 2019. Il était devenu nécessaire de nous inscrire dans une ère nouvelle, explique, avec un large sourire, David Roussier, le jeune directeur général de Warenghem. La construction de ce nouveau chai va nous offrir un nouvel espace de stockage, car nous envisageons de doubler la production de nos eaux-de-vie pour atteindre 500 000 bouteilles par an. Il permettra également à nos alcools de bien vieillir. »

La distillerie a inauguré un ensemble moderne en 2019. Il permet d’accueillir 10 000 visiteurs par an en moyenne et est devenu l’une des attractions de la région.
La distillerie a inauguré un ensemble moderne en 2019. Il permet d’accueillir 10 000 visiteurs par an en moyenne et est devenu l’une des attractions de la région. DR

Ce dynamisme associé à cette volonté forte de développement se fait sous l’impulsion de ce jeune trentenaire énergique. Depuis son arrivée dans l’entreprise familiale en 2009 – il est le gendre de Gilles Leizour, aujourd’hui à la retraite –, David Roussier a littéralement transformé l’entreprise. Pourtant, rien ne le prédestinait à travailler dans l’univers des spiritueux. « J’ai un parcours classique, puisque j’ai fait une école de commerce avec une spécialité dans la finance. Je ne savais vraiment pas ce que j’allais trouver en venant ici. Mon beau-père, le propriétaire, m’a convaincu de travailler avec lui. Je ne le regrette absolument pas, bien au contraire. » Voilà une nouvelle preuve que l’amour conduit souvent l’homme vers des chemins inconnus. En épousant Anne Leizour, sa vie a changé…

Montée en gamme du whisky Armorik

Dès son arrivée, David Roussier se voit confier le développement commercial en France et à l’étranger ainsi que la communication. L’une de ses premières priorités est d’orienter les produits vers le haut de gamme. Il travaille sur des nouveaux packagings, une meilleure cohérence de la gamme et le développement des ventes tant à l’étranger que sur les circuits traditionnels (cavistes, grande et moyenne distribution…).

« Dans un univers concurrentiel, il m’a semblé évident que le seul moyen de nous différencier était de tendre vers une montée en gamme de nos alcools. Il fallait proposer des produits à plus forte valeur ajoutée avec une vraie personnalité, ancrée dans notre écosystème qu’est la Bretagne et un savoir-faire irréprochable. » L’orge et le blé sont ainsi produits dans la région. Et si le malteur est en Belgique, il ne travaille qu’avec de l’orge français cultivé selon les principes de l’agriculture biologique.

La qualité de la matière première est bien là. A charge ensuite pour le maître de chai de la distiller dans les règles de l’art, et surtout de travailler la phase de maturation du whisky : une étape primordiale, car elle donne, grâce aux échanges entre le bois et le distillat, toute leur complexité organoleptique aux whiskies. En véritable précurseur, Gilles Leizour avait fait installer en 1983 le premier alambic en cuivre pot still. Aujourd’hui, Warenghem en possède deux, pour une distillation en deux temps : un wash still (pour la première distillation) de 6 000 litres et un spirit still (pour la seconde) de 3 500 litres. Ce dernier permet d’obtenir un distillat titrant dans les 68 % en volume.

Le Whisky Armorik est brassé, fermenté, distillé, vieilli et embouteillé à la distillerie Warenghem, située à Lannion. elle possède aujourd’hui deux alambics, pour une distillation en deux temps.
Le Whisky Armorik est brassé, fermenté, distillé, vieilli et embouteillé à la distillerie Warenghem, située à Lannion. elle possède aujourd’hui deux alambics, pour une distillation en deux temps. DR

Un avant et un après-Jim Swan

Si en 2020, chaque région française (ou presque) possède sa distillerie ou son négociant en whisky, ce n’était pas le cas au début des années 80, ni même à la fin des années 90. Le scotch (whisky écossais) régnait alors en maître absolu sur tous les marchés, notamment français, le plus dynamique au monde. Les Japonais n’avaient pas encore percé sur la scène internationale. Tout le monde ignorait que la France était également un petit producteur. Jeune pousse dans l’élaboration de ce type d’alcool, Armorik a voulu, dès 2010, franchir une étape importante dans son processus d’élaboration. Pour la première fois de son histoire, elle va faire appel à un consultant extérieur.

Et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de l’Ecossais Jim Swan. Ce maître distillateur, inconnu du grand public, est une sommité parmi les professionnels. En une vingtaine d’années, et jusqu’à sa mort en 2017, celui qu’on surnommait « le magicien du malt » ou encore « l’Einstein du whisky » a aidé de nombreuses distilleries à travers le monde à élaborer cet alcool traditionnel. Parmi elles, Kavalan, la fameuse marque taïwanaise, aujourd’hui distinguée comme l’une des meilleures du monde.

Le magicien écossais du malt a ainsi repoussé les frontières du whisky que l’on croyait figées à jamais. « Il avait mis en place une méthodologie qui permettait aux distilleries nouvelles de réduire considérablement le nombre d’années nécessaires à l’élaboration d’un grand whisky. Il réussissait à créer une boisson fruitée, complexe… » se souvient Nick Franchino, responsable de la production de la distillerie Cotswolds, spécialisée dans la fabrication en petite série de whisky et de spiritueux de luxe, située au coeur de la campagne du sud-ouest de l’Angleterre.

La visite « Classic » dure une heure, la « Maître de chai », deux heures, avec dégustation des whiskies les plus anciens. www.distillerie-warenghem.bzh
La visite « Classic » dure une heure, la « Maître de chai », deux heures, avec dégustation des whiskies les plus anciens. www.distillerie-warenghem.bzh DR

Pour Armorik, cette collaboration s’est également révélée très fructueuse, comme le confirme Thierry Bénitah, président de la Maison du whisky, à Paris : « Je dois avouer que l’on constate une grande différence. Il y a un avant et un après-Jim Swan. Entre 2010 et 2012, toutes les étapes d’élaboration du single malt ont été revues et améliorées. D’ailleurs, dans notre nouveau catalogue, nous présentons des whiskies d’exception à quelques centaines d’exemplaires, spécialement choisis par nous. Dans notre sélection sobrement intitulée “Version française”, nous avons un Armorik 2011 ex-fût de chouchen. Il s’agit d’un single malt affiné dans une barrique ayant préalablement contenu le célèbre vin de miel de la région. C’est un whisky chaleureux avec des arômes de fruits caramélisés. »

S’ouvrir au « spiritourisme »

Cette reconnaissance grandissante de la part des spécialistes renforce les ambitions de la distillerie bretonne. Pour se faire connaître du grand public, elle a défini en 2016 un plan ambitieux, avec un investissement de près de 2 millions d’euros sur trois ans. Une somme conséquente pour une PME employant une vingtaine de personnes et réalisant un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros par an.

La construction d’un nouvel espace en fait partie, comme le confie David Roussier : « Je souhaitais ouvrir notre distillerie au “ spiritourisme”. Ce n’est pas une idée originale, je me suis inspiré de ce que font nos amis écossais ou irlandais. Il ne s’agit plus simplement pour un amateur de venir déguster nos produits, mais surtout de s’en imprégner, de mieux comprendre notre philosophie et d’appréhender davantage ce qu’est un whisky français avec une connotation locale très forte. »

L’espace visite a donc été entièrement repensé pour être digne d’une vraie maison de whisky. Sur près de 280 m2, le guide emmène les visiteurs à travers un parcours visuel et olfactif. Ils débutent par les alambics, où s’effectue la distillation, puis ils se dirigent vers les chais de vieillissement. Ludique tout en étant pédagogique, le parcours permet aux visiteurs de comprendre l’importance de la maturation dans des fûts soigneusement sélectionnés. C’est ce qui confère toute sa complexité à l’eau-de-vie. Ils apprennent également que le distillat doit passer un minimum de trois années en barrique pour se voir accorder le droit d’apposer sur l’étiquette la mention de whisky.

La visite s’étale sur une durée allant d’une heure pour la « Classic », jusqu’à deux heures pour celle intitulée « Maître de chai ». Cette dernière comprend un parcours exclusif avec le maître de chai, Erwan Lefebvre, et se termine par une dégustation des whiskies les plus anciens directement dans les chais.

« Ce n’est pas une simple dégustation, précise le directeur général. Chaque visiteur a au minimum trois verres de whisky devant lui. Il va ainsi pouvoir effectuer une comparaison en temps réel. Nous lui faisons ajouter de l’eau dans son verre afin que le degré alcoolique diminue et que les arômes s’ouvrent. » Ce nouveau projet semble déjà une réussite. La distillerie accueille 10 000 visiteurs par an en moyenne et est devenue l’une des attractions de la région. L’objectif est d’atteindre les 20 000.

La distillerie vient de lancer Yeun Elez, son nouveau whisky tourbé. Confectionné à partir de malt écossais, il garde les accents fruités et épicés propres à Armorik. www.distillerie-warenghem.bzh
La distillerie vient de lancer Yeun Elez, son nouveau whisky tourbé. Confectionné à partir de malt écossais, il garde les accents fruités et épicés propres à Armorik. www.distillerie-warenghem.bzh DR

« La vente directe au consommateur est en progression constante, se réjouit le directeur général, David Roussier. Elle constitue déjà environ 10 % de notre chiffre d’affaires total. C’est extrêmement encourageant, car nous ne passons pas par les intermédiaires. » La marge sur chaque bouteille est donc plus importante pour cette entreprise qui fourmille d’idées nouvelles.

Elle vient de lancer son nouveau whisky tourbé, Yeun Elez, confectionné à partir de malt écossais, mais en gardant les accents fruités et épicés propres à Armorik. Le côté tourbé – avec des arômes distinctifs de réglisse, de feu de cheminée, de cendre… – est volontairement exacerbé en affichant 50 ppm. Ce taux correspond à la quantité de tourbe (et donc de phénols) présente dans le malt ; en Ecosse, ce taux varie de 2-3 ppm dans le Speyside, mais atteint jusqu’à 80 ppm sur l’île d’Islay.

Nul doute que ce nouveau flacon plaira aux amateurs toujours plus nombreux de ce type de whisky, de même que les dernières créations estampillées AB (Agriculture biologique). Il est prévu qu’en janvier 2021 toute la production passe en bio. Si la distillerie Warenghem affiche avec fierté ses 120 ans, elle n’a jamais semblé aussi en forme. Le whisky Armorik lui aurait-elle permis d’acquérir une jeunesse éternelle ? Il faut le croire.


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