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Le Comité Colbert, les vertus du luxe à la française

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Souvent présenté comme le lobby du luxe français, le Comité Colbert représente 86 maisons de dimension et d’orientation très diverses. Points communs entre le géant Vuitton et le confidentiel éditeur Diane de Selliers ? L’impératif de qualité ou l’ambition internationale.

Bénédicte Épinay, nouvelle déléguée générale du Comité Colbert depuis mars dernier, décrypte les ressorts d’une filière décisive pour le rayonnement et l’économie de la France.

The Good Life : Trois nouveaux membres viennent de rejoindre le Comité Colbert. Quels sont les critères pour intégrer l’association ?
Bénédicte Épinay : Les trois sont entrés effectivement en janvier par cooptation des membres. Hennessy représente bien la tradition et le savoir-faire français, en même temps qu’elle se porte à l’avant-garde des combats de la RSE, la responsabilité sociale et environnementale, une dimension que nous avons intégrée au sein du Comité Colbert. La maison de cognac a aussi cette capacité à faire rayonner la France, puisqu’elle réalise 95 % de son chiffre d’affaires à l’export, en grande partie à parité entre les États-Unis et la Chine, deux pays qui parviennent à porter notre industrie du luxe en cette année de crise. S’agissant de l’atelier Mériguet-Carrère, qui œuvre dans la peinture décorative ou la restauration de décors, son président Antoine Courtois fait un travail remarquable, comme Bruno Pavlovski chez Chanel, pour sauvegarder et perpétuer des savoir-faire d’excellence en rachetant des petites entreprises très spécialisées. Il les a regroupées au sein du groupe Ateliers de France, qui propose de multiples métiers exercés par des compagnons : ébénisterie, dorure, ferronnerie, luminaires… Enfin, Cheval Blanc Courchevel, classé palace, représente l’hôtellerie française avec un service au plus haut niveau.

TGL : Quels sont les points communs, finalement, entre toutes les maisons du Comité Colbert ?
B. E. : D’abord la transmission d’une tradition et d’un savoir-faire, l’anticipation aussi de ce que seront nos métiers demain. Un amour de la culture du beau qui va au-delà des maisons, nos membres associés – comme le musée du Louvre, le château de Versailles ou l’Opéra de Paris – y sont tout aussi attachés. Le Comité Colbert a également la mission d’ouvrir des marchés à l’international, pour faire rayonner ses grandes maisons de luxe et de culture françaises. Je crois d’ailleurs qu’il faut rendre plus visibles les actions du Comité, notamment les actions d’influence.

Bénédicte Épinay, journaliste spécialiste de l’industrie du luxe, est devenue la nouvelle déléguée générale du Comité Colbert en mars 2020.
Bénédicte Épinay, journaliste spécialiste de l’industrie du luxe, est devenue la nouvelle déléguée générale du Comité Colbert en mars 2020. DR

TGL : Sur quel type de sujets le Comité Colbert exerce-t-il une influence ?
B. E. : Par exemple sur le Digital Services Act au niveau européen, un texte fondamental qui peut potentiellement mettre un coup d’arrêt à la contrefaçon. Nous avons mené différents entretiens avec les commissaires européens, notamment Thierry Breton, qui nous défend beaucoup. Il s’agit de responsabiliser les plates-formes internationales vis-à-vis des contenus et des produits qu’elles mettent en ligne. L’idée générale, c’est qu’un produit contrefait illégal offline doit l’être aussi online. Nous étions d’autant plus inquiets que le chiffre d’affaires numérique de l’industrie du luxe a été multiplié par deux en moins d’un an, de 12 % en 2019 à 23-24 % des ventes totales, avec le risque de fournir un boulevard à la contrefaçon. Jusque-là, les plates-formes ne se considéraient pas comme responsables, alors que des consommateurs achetaient des produits de bonne foi et recevaient des contrefaçons sans avoir quiconque contre qui se retourner. Même pour nos maisons, c’est un véritable chemin de croix pour obtenir le retrait d’un site d’e-commerce d’une contrefaçon identifiée.

TGL : La numérisation du commerce du luxe est-elle aujourd’hui un acquis alors que de nombreuses marques s’y sont converties avec réticence ?
B. E. : Le mouvement est irréversible et le numérique va devenir le premier canal de ventes d’ici à deux ans. La tendance est fortement poussée par la génération Z et les millennials qui représentent environ 60 % des acheteurs d’e-commerce en 2020 contre 44 % en 2019. Toutes les marques de luxe y sont désormais et cette crise malheureuse a eu ceci de bénéfique qu’elle a fait gagner trois ou quatre ans à tout le monde sur le numérique. Cela a mis un terme à tous les freins psychologiques ou organisationnels.

Le Comité Colbert sur WeChat

TGL : Plus que jamais, l’Asie est-elle devenue structurellement le continent du luxe français ?
B. E. : Certainement, même si tous les membres du Comité Colbert n’y sont pas, mais les plus grands d’entre eux y ont fait des croissances stupéfiantes. Sur le marché global du luxe, la Chine pèse déjà 52 milliards de dollars et prendra la tête dans les trois prochaines années, devant les États-Unis et l’Europe qui sont encore devant, avec respectivement 74 milliards et 68 milliards de dollars. Si vous ajoutez Hong Kong, malgré les crises, le Japon et la Corée du Sud, qui se portent bien, l’Asie est bien le grand continent consommateur du luxe. Nous lancerons d’ailleurs une plate-forme de contenus du luxe français sur WeChat en avril, à l’occasion de l’ouverture de l’année franco-chinoise du commerce culturel voulue par le président Macron. Le château de Versailles inaugurera à Pékin, dans la Cité interdite, une exposition sur Versailles et la Chine, tandis que nous proposerons une sorte de parcours virtuel à la découverte de nos maisons.

L’histoire d’un nom

Le Comité Colbert a été créé en 1954 autour de 15 maisons exportatrices, représentatives d’un savoir-faire d’excellence. Pas surprenant qu’il ait revendiqué l’héritage, en empruntant son nom, de l’intendant des finances de Louis XIV, devenu surintendant des bâtiments, des arts et des manufactures. Jean-Baptiste Colbert a d’abord contribué à copier et assimiler des savoir‑faire d’Italie ou d’Angleterre, voire de Chine, attirant même certains artisans de ces pays en France. À partir de là, il va encourager le développement d’un savoir‑faire proprement français. Suivront la création de manufactures et l’aménagement des ports, fers de lance de la conquête des marchés étrangers. Le ministre de Louis XIV a aussi fondé la Comédie-Française et l’Académie de France, à Rome, qui comptent aujourd’hui parmi les prestigieuses institutions culturelles associées au Comité Colbert.

TGL : Les États-Unis restent un marché décisif pour les marques françaises…
B. E. : Elles y sont largement implantées depuis très longtemps. Ce courant d’affaires puissant a été un peu malmené par l’administration Trump, avec les différends sur la taxe Gafa ou la querelle Airbus-Boeing. N’oublions pas non plus que les Américains restent les premiers clients étrangers du luxe sur notre territoire, à Paris notamment, suivis de près par les Chinois. D’ailleurs, il est amusant de constater que l’amour de ces deux pays pour la France a des racines assez similaires, de nostalgie et de romantisme.

TGL : Constatez-vous une forme de déclin en Europe ?
B. E. : L’année 2020 a durement touché les marchés européens qui restent très importants pour nos maisons. C’est une clientèle de proximité qui aura peut-être le plus de facilité à revenir en France. Un Festival Colbert sera monté à la fin de l’année, avant la présidence française de l’Union, au 1er janvier 2022 : nous allons recevoir pendant trois jours, à Paris, les plus gros clients européens de nos maisons pour leur faire vivre des expériences. Bien sûr, il y a aussi le Brexit qui impacte le marché britannique, notamment la suppression de la tax free, l’exemption de TVA, que nous combattons et que nous espérons voir rétablie.

TGL : La dynamique exportatrice du luxe français reste-t-elle intacte malgré la crise ?
B. E. : Comme pour tous les secteurs de l’économie française, le deuxième trimestre 2020 a été singulièrement violent, mais avec une vraie reprise au troisième trimestre. Et la croissance constatée sur le territoire chinois compense probablement 75 % du manque à gagner des Chinois qui n’ont pas pu venir en France. Nous avons d’autres bonnes surprises, comme le développement du marché de la maison, lié au confinement. En Chine toujours, qui n’avait pas la tradition de recevoir à domicile. Cette nouvelle tendance de décoration intérieure a profité à nos maisons, qui sont sur des croissances à trois chiffres dans ce registre, par exemple les collections maison d’Hermès. Pour les arts décoratifs en général, le monde entier regarde vers la France, alors que de nombreux pays ont perdu leurs savoir-faire en la matière, faute de transmission. Nous sommes fiers de les avoir toujours chez nous, d’attirer aussi les jeunes vers ces métiers durables. Nous avons identifié 142 territoires de savoir-faire, avec des ateliers, des manufactures et des usines implantées partout. Cela représente en moyenne 250 emplois par site ouvert, souvent à destination de personnes sans qualification, qui sont alors formées pendant de longs mois pour faire une carrière entière.

Le Comité Colbert aujourd’hui

• 86 membres issus du luxe français, depuis Alain Ducasse jusqu’à Yves Saint Laurent Parfums, en passant par Boucheron, Cartier, Ercuis, Guerlain, Hermès, Krug, Taillevent ou Yves Delorme. Les trois derniers, entrés en janvier, sont Hennessy, l’atelier Mériguet‑Carrère et l’hôtel Cheval Blanc Courchevel.

• 16 institutions culturelles, dont la Comédie-Française, le Centre Pompidou, la Monnaie de Paris ou la Cité de la céramique, à Sèvres.

• 6 membres européens associés : Delvaux, Dr Irena Eris, Herend, Moser, Riedel, Zolotas.

• 14 métiers représentés, dont la mode, la décoration, la gastronomie, la vigne, mais aussi le cuir, l’édition, la faïence et la porcelaine, l’or et les matières précieuses ou le son.


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