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The Good Business

Interview : Henri Giscard d’Estaing (Club Med), un boss visionnaire

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A la tête du Club Med depuis quinze ans, Henri Giscard d’Estaing est celui qui aura su redresser l’entreprise à la dérive.

Passé sous pavillon chinois, le Club Med a retrouvé la prospérité, en enterrant au passage le mythe des Bronzés. Aujourd’hui, face à la crise du Covid-19 et à une grogne sur certains domaines alpins convoités, son président, Henri Giscard d’Estaing, appréhende la situation avec un optimisme et une capacité de réaction impressionnants.

The Good Life : Il y a quinze ans, vous deveniez président du Club Med dans un contexte de difficultés financières. Vous faisiez alors le choix d’une réorientation stratégique majeure reposant sur deux piliers : montée en gamme et internationalisation. Avant d’en venir à cette drôle d’année 2020, quel bilan tirez-vous de ce cycle ?
Henri Giscard d’Estaing : La transformation d’une entreprise de cette taille est un processus long et complexe. Le monde, aujourd’hui, ne prend pas assez en compte cette notion de temps. L’évolution de notre activité et de notre rentabilité montre que nous avons bien fait de nous y atteler, encore plus à l’aune de cette crise massive du Covid-19. Le rationnel derrière cette stratégie était multiple. Il y avait d’abord un phénomène observé il y a longtemps déjà, alors que je dirigeais Evian : dans les périodes de ralentissement, le marché se polarise entre les meilleurs et les moins chers. Les acteurs au milieu n’ont aucune chance. Or, pour une part importante de son activité, le Club Med était positionné moyenne gamme et perçu comme cher. Cela le rendait très vulnérable. Il fallait donc choisir : être le meilleur ou le moins cher. Le Club Med avait tout pour être le meilleur. Sa réussite et sa longévité – 70 ans cette année – ont toujours reposé sur l’exigence et le talent pour trouver des sites d’une qualité extraordinaire. Ensuite, notre clientèle attendait du Club Med qu’il garde son ADN et ses valeurs de convivialité et de multiculturalisme, mais en proposant un confort et une qualité de la table encore meilleurs.

« Le Club Med avait été imité par des opérateurs étrangers qui se disaient meilleurs que nous sur leur marché » Henri Giscard d’Estaing

Enfin, il y avait l’environnement concurrentiel. Le Club Med avait été imité par des opérateurs étrangers qui se disaient meilleurs que nous sur leur marché, et par des concurrents en France qui prétendaient faire aussi bien que nous, mais pour moins cher. Il fallait donc fondamentalement se différencier, redonner au Club son caractère unique et c’est ce que nous avons fait. Au début de ce processus de montée en gamme, seuls 25 % de nos resorts étaient haut de gamme. Cette année, ce sera 90 %.

Il y a eu une autre dimension stratégique fondamentale : le « happy digital ». C’est une des grandes contributions de Fosun, notre actionnaire et partenaire. En Chine, ils ont vu l’incroyable potentiel du digital mobile et son impact sur les marchés et les comportements. Il y a cinq ans, le président de Fosun International, Guo Guangchang, m’a dit : « Henri, il faut absolument que le Club Med accélère sa digitalisation et devienne un acteur majeur. » Je l’ai entendu et nous avons investi significativement pour devenir un acteur authentiquement digital et multicanal.

TGL : En mars dernier, au début de la crise du Covid-19 en Europe, vous souligniez la capacité de résistance du Club Med « entré dans la crise avec un modèle économique rentable et du cash-flow ». Entre-temps, la pandémie a fait voler en éclats bien des certitudes. A l’heure où nous reconfinons, quel est votre état d’esprit ?
H. G. E. : Nous en avons connu beaucoup, des crises géopolitiques et des catastrophes naturelles. Mais c’est la première fois qu’une crise mondiale touche tous les marchés et toutes les destinations en même temps. Début avril 2020, tous les Club Med dans le monde ont été fermés pendant une semaine. Ce n’était jamais arrivé en soixante-dix ans. En mars dernier, nous étions entrés dans cette crise avec une situation solide, une belle rentabilité, et une croissance de 10 % sur les quatre mois précédents. C’était inédit, et je me suis posé trois questions. La première : serons-nous capables d’opérer avec sécurité pour nos clients et nos équipes, dans un environnement sanitaire qui restera difficile pendant longtemps ? La deuxième : si nous y arrivons, conservera-t-on une belle expérience de vacances ? Et la troisième : aurons-nous des clients ?

A l’heure de la crise sanitaire

Ces questions me préoccupaient beaucoup. Répondre non à l’une des trois supposait un problème majeur. C’est là où notre géographie mondiale nous a aidés. Nous avons pu rouvrir en Chine dès avril grâce à nos équipes, mais aussi au support très opérationnel de Fosun, notre partenaire actionnaire. Nos mesures sanitaires très exigeantes ont démontré que nous pouvions opérer sans diffusion du virus au Club Med. En faisant l’inventaire précis de ces mesures et en les adaptant, nous avons pu rouvrir nos Club Med en Europe, en Floride, au Brésil, au Japon…

Côté expérience, il a fallu repenser le buffet et passer au « service à l’assiette ». Nous avons aussi élargi les plages d’ouverture des restaurants. Nous cherchions depuis longtemps à faire évoluer notre mode de divertissement pour passer du traditionnel spectacle quotidien à des ambiances et des happening plus diversifiés, en fonction des attentes de la clientèle. Cet été, notamment pour faciliter la distanciation sociale, nous avons donc accueilli plus de 1 600 talents : chanteurs, magiciens, artistes de cirque…

Ce contexte sanitaire nous a donc forcés à faire évoluer notre produit. Résultat, il correspond encore mieux aux attentes de nos clients. C’est le paradoxe de cette crise pour nous.

Implantée sur un ancien aérodrome, La Rosière, le nouveau resort du Club Med, domine un domaine skiable à cheval sur la France et l’Italie.
Implantée sur un ancien aérodrome, La Rosière, le nouveau resort du Club Med, domine un domaine skiable à cheval sur la France et l’Italie. DR

TGL : La Chine occupe une place particulière dans votre écosystème. Depuis 2015, votre actionnaire principal, Fosun International, est chinois. Y a-t-il eu un choc des cultures, une période d’adaptation, avec ce passage sous contrôle d’un conglomérat chinois majeur ?
H. G. E. : Nous avons connu Fosun il y a environ dix ans. Notre activité en Chine était en développement exponentiel. J’ai pensé alors que le marché chinois allait mécaniquement devenir le premier du monde, et que nous étions en mesure d’y occuper une vraie place. Aujourd’hui, c’est notre second marché, avec près de 300 000 clients chinois en 2019. Mais, à l’époque, je me suis également demandé s’il était raisonnable d’avancer seul dans cet immense pays. J’ai pensé qu’il fallait trouver un partenaire chinois et qu’il soit présent au capital de la société mère, pour ne pas créer de situation de conflit d’intérêt, d’autres entreprises ayant connu des problèmes avec leurs partenaires chinois lors de joint-ventures.

Fosun et Henri Giscard d’Estaing : mettre le Club Med à l’abri

C’est ainsi que Fosun est dans un premier temps devenu l’un des premiers actionnaires du Club Med en 2010, à hauteur de 10 %, et que Guo Guangchang, son fondateur, et Jianong Qian, patron de l’activité tourisme, sont entrés au conseil d’administration. Dès le départ, nous avons convenu avec Guo Guangchang qu’il fallait apprendre à nous connaître. Notre capacité de compréhension mutuelle a été grande. Il y a des différences culturelles, mais pas de barrières. Ensuite, il a fallu se faire confiance.

Au bout de quelques années, alors que le Club Med, grâce à sa stratégie de repositionnement sur le haut de gamme, se transformait pour réussir, il risquait d’être fragilisé par un actionnariat fragmenté et de se trouver ballotté au gré des acheteurs possibles. C’est à ce moment-là que nous avons pris l’initiative, avec Fosun, de mettre le Club Med à l’abri, dans un ensemble qui ait une vraie vocation de croissance et une capacité à la soutenir. Nous l’avons fait ensemble, avec cette confiance mutuelle. Depuis, nous avons participé à l’étape stratégique qu’a été la cotation de Fosun Tourism Group à la Bourse de Hong Kong, et je suis le vice chairman et deputy CEO de cette structure. Cette relation forte avec Fosun, outre son caractère exemplaire, provient de cette alchimie qui combine l’alignement stratégique, la gestion du temps long, la confiance et le respect mutuels.


Retrouvez la suite de l’interview de Carlos Tavares,  dans le N°46 de The Good Life, 100 % ski, actuellement en kiosque.


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