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Montres : 10 questions à François-Henry Bennahmias CEO d’Audemars Piguet

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Si les ventes mondiales de montres subissent une forte baisse, le segment du luxe, lui, devrait mieux traverser la crise du Covid-19. Rencontre avec le patron de Audemars Piguet.

Le patron français des montres Audemars Piguet livre son analyse sans concessions du marché horloger, dans une année 2020 inédite. Si Audemars Piguet a souffert, il reste l’un des mieux placés pour profiter du rebond de l’industrie.

The Good Life : Quelles sont les conséquences de la crise du Covid-19 pour Audemars Piguet ?
François-Henry Bennahmias : L’année 2020 ne ressemblera évidemment pas aux huit précédentes au niveau de la croissance. Cependant, à fin août, nous nous en sortons plutôt bien, avec certes une baisse globale des ventes de montres Audemars Piguet d’environ 20 % par rapport à 2019, mais aussi une progression de 3 % au niveau de notre réseau en propre. 2020 a été l’occasion de penser différemment en faisant quelques adaptations de notre business-modèle. Nous avons réussi à garder tous nos collaborateurs, et des idées nouvelles sont apparues pour faire progresser la manufacture à l’avenir.

TGL : Les sorties des nouvelles montres Audemars Piguet ont-elles été affectées ?
F.-H. B. : Oui, forcément. Nous avions prévu des événements qui n’ont pas eu lieu, et la production s’est arrêtée pendant deux mois, ce qui a bloqué l’arrivée de pièces. Il a fallu être agile et nous nous en sortons plutôt bien. Cela nous apprend à traiter nos lancements de manière différente.

TGL : Les salons horlogers ont été annulés ou reportés, sans conséquences pour vous, car vous n’y exposiez pas de toute façon…
F.-H. B. : Nous avons été touchés quand même par l’annulation de manifestations comme Art Basel Hong Kong. Pour les grands salons suisses, c’est une période de remise en question intéressante, qui pousse à faire de vrais choix. J’ai toujours dit que nous étions meilleurs ensemble. Malheureusement, notre industrie est malade du chacun pour soi.

Le Musée-Atelier Audemars Piguet, dessiné par le Danois Bjarke Ingels, se déploie en spirale dans le paysage.
Le Musée-Atelier Audemars Piguet, dessiné par le Danois Bjarke Ingels, se déploie en spirale dans le paysage. Ambroise Tezenas

TGL : LVMH est très offensif sur le secteur. Cela vous inquiète-t-il ?
F.-H. B. : C’est un groupe qui bouge. Leur salon à Dubaï est intéressant. Les foires horlogères dans leur configuration actuelle n’ont plus de raison d’être, en tout cas pour des business-modèles comme celui d’Audemars Piguet, qui tourne autour du client final, plus autour du détaillant.

« Pour Audemars Piguet, nous tablons sur une certaine croissance. Si nous ajoutons 10 000 montres à nos 45 000 actuelles, ce sera important pour nous »

TGL : L’intérêt est-il de capter justement la marge du détaillant ?
F.-H. B. : Construire un réseau de distribution constitue un risque. Quand ça marche, vous bénéficiez de cette marge supplémentaire. En revanche, quand les ventes chutent et que vous fermez vos boutiques à Macao ou à Milan, comme nous avons dû le faire en début d’année, vos coûts ne bougent pas et vous partez dans le rouge. Nous avons pris ce risque, car le futur du luxe, c’est de bien connaître ses clients finaux, eux seuls peuvent nous dire si ce que nous faisons est bien ou pas. Jusque-là, notre stratégie de consolidation de la distribution fonctionne : nous avons plus que doublé le CA. L’objectif : avoir 90 boutiques monomarques d’ici à 2022-2023 sur un total de 120 points de vente.

TGL : Comment est perçue Audemars Piguet par le reste de l’industrie ?
F.-H. B. : C’est aux autres qu’il faut le demander ! Quand nous avons quitté le SIHH, certains n’étaient pas contents, j’ai reçu des coups de téléphone… Mais nous sommes indépendants, le village d’Astérix de l’industrie horlogère ! Et en même temps nous sommes tournés vers l’avenir. Si Jules Louis Audemars et Edward Auguste Piguet étaient vivants, ils voyageraient partout pour s’inspirer de cultures différentes, pour rencontrer les clients, avec une exigence permanente concernant les produits.

TGL : Quelle est votre vision du marché des prochaines années ?
F.-H. B. : Pour Audemars Piguet, nous tablons sur une certaine croissance. Si nous ajoutons 10 000 montres à nos 45 000 actuelles, ce sera important pour nous, mais peu par rapport au marché de l’horlogerie de luxe qui représente 20 millions de personnes dans le monde.

François-Henry Bennahmias, président d’Audemars Piguet.
François-Henry Bennahmias, président d’Audemars Piguet. DR

Le e-commerce, pas une fin en soi

TGL : Les exportations de l’industrie suisse ont nettement baissé ces dernières années. Est-ce un danger pour le Swiss Made ?
F.-H. B. : Ça peut l’être. Un fournisseur qui perd son activité d’entrée de gamme peut affecter toute la chaîne. Nous nous rapprochons de nos fournisseurs stratégiques, sans prendre de participations pour autant, mais pour garantir l’intégrité de nos besoins à l’avenir. Il y a un savoir-faire horloger extraordinaire qu’il faut préserver.

TGL : L’e-commerce est-il l’avenir du luxe ?
F.-H. B. : Peut-être pour certaines marques, mais pas la nôtre. Nous avons fait un test en Chine, il y a deux ans, et sur Net-A-Porter.com, cette année, pour nous ouvrir à une clientèle plus féminine. Nous observons, mais rien n’est décidé. Si l’e-commerce est seulement un nom, un numéro de carte de crédit, ça ne nous intéresse pas. Si c’est le premier contact avec un client, pourquoi pas. C’est un outil supplémentaire à considérer, pas une fin en soi.

TGL : Faut-il rajeunir la clientèle ?
F.-H. B. : Cela se produit déjà. La nouvelle génération recherche des produits à l’opposé de son monde digitalisé. Elle est touchée par une montre fabriquée à la main par une marque historique.


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