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Horlogerie : les manufactures passent au vert
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The Good Business

Horlogerie : les manufactures passent au vert

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Une vague écolo a déferlé sur le monde occidental. On se demande parfois si le terme tsunami ne serait pas mieux adapté tant la lame de fond est puissante. La nouvelle religion du bio-durable-écolo-responsable fait des adeptes sans cesse plus nombreux. Les acteurs de l’horlogerie, longtemps réticents, ne peuvent plus l’ignorer, adaptant modèles et sites de production.

Au début, l’horlogerie est restée en retrait, confortablement installée dans l’idée que la montre était un produit intrinsèquement durable. Dans l’absolu, en effet, difficile de faire plus écolo qu’une montre mécanique qui ne demande ni pile ni carburant pour fonctionner. Celle-ci chipe son énergie aux mouvements du bras du porteur ! Une montre est conçue pour fonctionner longtemps et se transmettre de génération en génération.

C’est du moins le credo que martèlent inlassablement les manufactures depuis des lustres. Un discours parfaitement résumé par le slogan de Patek Philippe : « Jamais vous ne posséderez complètement une Patek Philippe. Vous en serez juste le gardien, pour les générations futures. » Au propriétaire temporaire, donc, revient seulement le devoir de faire entretenir une fois de temps en temps ledit objet. Le technicien choisi changera l’huile (quelques millilitres) du minuscule mécanisme et procédera à quelques réglages, et ce sera reparti pour d’innombrables tours de cadrans.

L’horlogerie part donc avec un petit avantage sur les nombreux secteurs – high-tech, notamment – où l’obsolescence à très court terme est un objectif prioritaire.

Sauf que, depuis quelques années, la montre connectée a débarqué. Par conception, elle s’apparente plus à un smartphone qu’à un garde-temps classique. Cet objet est d’ailleurs destiné à être relié au téléphone de son propriétaire. Aujourd’hui, les manufactures suisses fabriquent elles aussi des modèles de ce type.

Pour sa nouvelle montre de plongée Submersible Ecopangaea Tourbillon GMT Edition Mike Horn, du nom du célèbre aventurier, Panerai utilise un tout nouvel acier haute technologie Ecopangaea, composé de métal recyclé issu de l’arbre d’hélice du Pangaea, le voilier de 35 m de Mike Horn. Bracelet en caoutchouc noir + second bracelet en matériaux PET recyclés. Une édition limitée à 5 exemplaires (190 000 €).
Pour sa nouvelle montre de plongée Submersible Ecopangaea Tourbillon GMT Edition Mike Horn, du nom du célèbre aventurier, Panerai utilise un tout nouvel acier haute technologie Ecopangaea, composé de métal recyclé issu de l’arbre d’hélice du Pangaea, le voilier de 35 m de Mike Horn. Bracelet en caoutchouc noir + second bracelet en matériaux PET recyclés. Une édition limitée à 5 exemplaires (190 000 €). DR

Les unes – comme Frédérique Constant ou Alpina – ajoutent un module électronique sur un garde-temps classique, les autres – comme Breitling, Montblanc, Hublot ou TAG Heuer – développent des pièces 100 % smart. Bien entendu, ces montres demandent à être rechargées régulièrement. Leurs piles, souvent au lithium, contiennent des métaux rares et présentent les mêmes difficultés de recyclage que les accumulateurs d’un smartphone ou ceux d’une voiture électrique. Pas très écolo tout ça ! Sans compter qu’elles sont basées sur le concept de l’obsolescence plus ou moins programmée.

Des montres plus vertes

Reste que la majorité des montres suisses demeurent de conception traditionnelle. Pour autant, si elle veut survivre, l’horlogerie classique doit séduire les nouvelles générations, au risque de devenir définitivement un produit réservé aux seniors. Les jeunes, grands amateurs de high-tech, sont clairement plus accros à leur smartphone qu’à leur garde-temps.

Ils sont aussi, vibrant paradoxe, beaucoup plus sensibles au discours écolo que leurs aînés. Quoi qu’il en soit, les manufactures ont compris qu’elles ne pouvaient plus faire l’impasse sur ce thème. Signe des temps, les grands groupes de luxe ont mis en place des directions de l’environnement. Sandrine Noël, qui occupe ce poste chez Louis Vuitton, confirme : « Les générations X ou Y ont clairement des attentes importantes concernant le développement durable. »

Pour séduire les jeunes, les manufactures développent donc des montres traditionnelles aux « verts reflets ». Après l’EcoTitanium, un titane recyclé, Panerai utilise un métal issu de l’arbre de l’hélice du voilier du célèbre aventurier écolo sud- africain Mike Horn pour sa nouvelle Submersible EcoPangaea Tourbillon GMT Edition Mike Horn. De même, Chopard adopte le Lucent Steel A223, un métal composé de 70 % d’acier recyclé, pour habiller son Alpine Eagle.

Quant au label écolo-chic Baume, du groupe Richemont, lancé en 2018 et fusionné avec Baume & Mercier tout récemment, il développe des montres abordables aux boîtiers en alu recyclables et qui proscrivent l’or et les pierres précieuses.

L’horlogerie passe au vert : située sur les bords du Lac Léman, l’usine Hublot a installé une centrale solaire sur son toit.
L’horlogerie passe au vert : située sur les bords du Lac Léman, l’usine Hublot a installé une centrale solaire sur son toit. HUBLOT / CÉDRIC WIDMER

La jeune marque française Awake, dont Emmanuel Macron portait l’un des modèles au sommet du G7, à Biarritz, l’an passé, va encore plus loin, puisqu’elle soutient le mouvement « Fuck Plastic », qui revendique l’utilisation de matériaux biodégradables et biosourcés.

Mais personne ne pourra aller plus loin que H. Moser & Cie. Cette marque iconoclaste a développé la Moser Nature Watch, qui se couvre d’une couche de végétation suisse à arroser deux fois par jour. Amusant, à défaut de vouloir vraiment dire quelque chose…

La mue des écrins et des sites

Le bracelet porte une lourde responsabilité dans le bilan écologique des montres. « Le tannage est un processus fort peu écolo, dénonce Oris. Pour fixer le cuir, on utilise des matériaux lourds, comme le chrome. » Kering a décelé que l’usage et la transformation du cuir étaient à l’origine de 24 % de l’impact environnemental du groupe de luxe. Colossal ! Des mesures concrètes, comme le tannage sans métaux lourds, l’intégration des tanneries et la sélection drastique des partenaires ont donc été mises en place.

La prochaine étape pourrait bien être le passage à un cuir végétal. Oris a franchi le cap. L’horloger indépendant propose de nouveaux bracelets en cuir végétal ou réalisés à partir d’algues. De ce point de vue, l’imagination des fabricants paraît sans limite. On trouve ainsi du cuir d’ananas, de pommes, de raisin ou même de café ! Chez Baume, les bracelets se parent de fibres naturelles – lin, coton ou PET, mélange de résine plastique et de polyester – 100 % recyclables.

Breitling utilise des bracelets Nato conçus en fil Econyl, un Nylon dérivé des filets de pêche usagés. Le fabricant de Granges, en Suisse, s’est associé pour l’occasion à Outerknown, la marque de vêtements de l’ancienne star du surf Kelly Slater. Last but not least, Oris (encore) « propose désormais aussi des bracelets en plastique, tirés de bouteilles récupérées en mer et recyclées, rappelle Vincent Coquet, son directeur commercial et marketing France. Et, depuis l’an dernier, nous proposons un coffret de montres en algues et plastique recyclé. »

L’horlogerie s’achemine vers un monde plus vert en ordre dispersé, mais le mouvement est enclenché.

Awake Blue Reef et Green Witch (229 €), avec boîtier en acier recyclable, bracelet en plastique recyclé et mouvement à énergie solaire.
Awake Blue Reef et Green Witch (229 €), avec boîtier en acier recyclable, bracelet en plastique recyclé et mouvement à énergie solaire. DR

Il est complexe de verdir les montres davantage. Restent les manufactures… Depuis quelques années, on assiste à une mue profonde de certaines d’entre elles. Objectif : diminuer leur consommation d’énergie fossile et, par ricochet, l’empreinte carbone. Le nouveau Manufakturzentrum d’IWC, inauguré en 2018, utilise une énergie 100 % renouvelable, la technologie LED éclaire le bâtiment et ses alentours, et une gestion intelligente des déchets a été mise en place, de même que des bornes de recharge pour vélos et voitures électriques sur les parkings.

Des centrales solaires squattent les toits des usines TAG Heuer ou Hublot. Chez Panerai, un réservoir de 50 000 litres collecte les eaux de pluie pour l’irrigation des espaces verts, une partie du chauffage provient de l’eau chaude issue des systèmes de refroidissement des machines, et un ensemble de 36 sondes géothermiques permet de climatiser les bâtiments.

Moins spectaculaire, Jaeger-LeCoultre a développé sur le site du Sentier un service de navettes électriques. Ces mesures qui fonctionnent très bien au quotidien constituent une manifestation du légendaire pragmatisme helvète. L’horlogerie s’achemine vers un monde plus vert en ordre dispersé, mais le mouvement est enclenché.


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