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Auto classique : Mini Moke, le retour du « Prisonnier »
Auto classique : Mini Moke, le retour du « Prisonnier »
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Auto classique : Mini Moke, le retour du « Prisonnier »

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Pour rendre hommage à la série culte des années 60, quoi de mieux que de revenir sur le lieu du tournage, à Portmeirion, au pays de Galles, au volant de l’une des célèbres Mini Moke qui y jouaient le rôle de... taxi.

Qu’ils soient britanniques – les 17 épisodes de The Prisoner sont diffusés sur le réseau ITV à partir de 1967 – ou français – l’ORTF diffuse Le Prisonnier l’année suivante –, les téléspectateurs n’ont pu qu’être surpris par les nouveaux codes auxquels la série répondait, assez loin des films d’espionnage de l’époque. Un agent du gouvernement britannique est emmené contre son gré au « Village », une communauté qui ressemble une publicité couleur pour un village de vacances de luxe quelque part en Toscane. Le nom du héros est remplacé par un numéro – le 6 –, et dans ce lieu d’apparence heureux, seuls les appels téléphoniques locaux sont autorisés. Le taxi se révèle tout aussi sinistre, car, comme l’indique son chauffeur, il n’offre qu’un service également local. Nous avons eu la chance de monter à bord de l’un des véritables taxis Mini Moke, sur la même plage.

Les personnages du Prisonnier évoluent dans l’étonnant village de Portmeirion, créé entre 1925 et 1978 par Clough Williams-Ellis, un architecte et milliardaire excentrique. Bien sûr, les spécialistes automobiles se plaisent à souligner les incohérences de la série : Numéro 6 utilise trois Lotus Seven différentes, le corbillard Princess du générique de début n’est pas le même que celui qui apparaît dans le dernier épisode et, bien que les autorités du Village donnent l’impression de disposer d’une vaste flotte de Mini Moke, seules quatre ont été en réalité utilisées.

La Moke qui a transporté patrick McGoohan dans la série.
La Moke qui a transporté patrick McGoohan dans la série. Rex Features

Mini Moke, la « voiture rustique aux mille usages »

Mais quand vous êtes à Portmeirion avec la seule Moke de la série encore en état de marche en Angleterre, de tels détails sont vite oubliés… Quand le tournage du Prisonnier a commencé, le 28 août 1966, l’image de la Moke avait déjà complètement changé par rapport à sa destination militaire initiale.

Six ans plus tôt, British Motor Corporation avait commencé à travailler sur une voiture légère, basée sur la Mini, qui pouvait être larguée par hélicoptère. Mais sa garde au sol était trop basse et ses capacités de franchissement étaient trop limitées. La « voiture rustique aux mille usages » lancée en août 1964 était destinée aux farmers, mais pouvait aussi être utilisée comme navette d’hôtel, taxi de camp de vacances ou caddy de golf…

La Moke accueille des finitions faux bois et un volant Moto‐Lita.
La Moke accueille des finitions faux bois et un volant Moto‐Lita. James Mann

Quelques mois plus tard, elle apparaissait dans Sauve qui peut (Catch Us If You Can, en VO), un road-movie déguisé en film pop. John Boorman, dont c’était le premier long métrage, avait choisi la Moke comme moyen de transport pour le groupe de rock des Dave Clark Five, car il la considérait comme une « Jeep jouet ». A la fin de la décennie, cette voiture qui était « aussi sûre qu’un chat, où que vous alliez » avait fait des apparitions dans des réalisations comme On ne vit que deux fois, Chapeau melon et bottes de cuir, Double jeu ou Les Cinglés du camping (Carry On Camping).

Une alternative aux Fiat 500 Jolly Ghia

Mais c’est bien Le Prisonnier qui a consacré la Moke à l’écran. Cet exemplaire de la flotte du Village est un modèle Austin, sorti d’usine le 15 mai 1965 et immatriculé un mois plus tard à Londres. Selon son propriétaire, Phil Caunt, la conversion par Wood & Pickett aurait été effectuée avant la fin de cette même année, avec des garnitures de carrosserie en faux bois, quatre sièges individuels habillés de plastique rayé (la roue de secours aussi), un volant Moto-Lita et des tapis en caoutchouc rouge et noir.

La Moke est équipée d’un moteur Cooper de 998 cm3.
La Moke est équipée d’un moteur Cooper de 998 cm3. James Mann

Une capote rayée faisait aussi partie de l’ensemble, mais celles des voitures visibles dans la série diffèrent légèrement. Le carrossier espérait bien inclure sa Moke modifiée à sa gamme de voitures. L’immatriculation HLT 709C apparaît d’ailleurs, au milieu des années 60, sur une photo publicitaire figurant une plage de studio particulièrement ringarde.

Cette voiture fournissait une alternative aux Fiat 500 Jolly Ghia, destinées à véhiculer les millionnaires du front de mer de Monaco jusqu’au casino, et la presse automobile précisait qu’elle devait être 4 « commercialisée dans le monde entier par le réseau BMC ».

Selon la légende, alors que la Moke est photographiée à l’hôtel Hilton, elle est remarquée par un membre de l’équipe d’Everyman, la société de production cofondée par Patrick McGoohan, également acteur principal du Prisonnier. « HLT » est devenue la star automobile du premier épisode, tout en faisant des apparitions tout au long de la série. « Il y a eu trois autres Moke conçues pour le film, mais elles présentent de subtiles différences », indique Phil Caunt.

Portmeirion a été créé dans le style d’un village italien par Clough Williams‐Ellis.
Portmeirion a été créé dans le style d’un village italien par Clough Williams‐Ellis. James Mann

De Sheffield à Amsterdam

Sa voiture serait aussi celle utilisée pour le lancement presse de la série, devant des journalistes perplexes. A l’issue du tournage, en 1967, la flotte de Moke a été dispersée et l’histoire de HLT jusqu’en 2011 correspond au célèbre slogan du film : « Les questions sont un fardeau pour les autres ; les réponses, une prison pour soi- même. » On sait toutefois qu’elle a séjourné dans la région de Sheffield au début des années 70, avant d’être vendue aux Pays-Bas ; Phil Caunt a récemment trouvé dans la voiture un ticket de parking d’Amsterdam datant de 1976.

Puis la Moke réapparaît, rachetée en 2015 par Phil Caunt et un ami passionné de Moke, Jeremy Guy. A cette époque, son état déplorable constituait un vrai défi. Le moteur ne tournait plus, la carrosserie était désastreuse… heureusement, la capote était encore là, de même que le motif de grand-bi du capot, créé par Patrick McGoohan comme « symbole ironique de progrès ».

Phil Count profite de sa Moke sur la célèbre plage de Black Rock Sands.
Phil Count profite de sa Moke sur la célèbre plage de Black Rock Sands. James Mann

Pendant deux ans, avec l’aide précieuse de spécialistes, Phil Caunt a redonné vie à la Moke. Une nouvelle jeunesse que même le plus exigeant des Numéro 2 (bras droit du mystérieux et inconnu Numéro 1) aurait approuvée. « La mécanique a été relativement facile, avoue-t-il, mais je voulais garder le plus possible de la carrosserie d’origine. Compte tenu de l’état de la voiture, il aurait été plus facile d’acheter une caisse neuve, mais cela lui aurait ôté une partie de son authenticité. »

La voiture comportait des vestiges des garnitures en faux bois Wood & Pickett – « on aurait dit du linoléum ! » –, mais la sellerie et la capote ont dû être refaites. Parmi les Moke du Prisonnier, HLT est la seule à être dotée d’un moteur Cooper. Phil Caunt pense que le 848 cm3 d’origine a laissé place à un 998 cm3 au début de son existence. La raison de ce changement s’est perdue dans les brumes de l’oubli, mais il pourrait se justifier par le fait que cette Moke avait aussi pour rôle de tracter une remorque dans le Village.

Mini Moke et liberté renversée

Pour son propriétaire, la puissance supplémentaire rend aujourd’hui la voiture « très amusante à conduire ». Seules deux des Moke d’origine auraient survécu et, pendant les années 90, Phil Caunt a contribué à la restauration de l’autre exemplaire (CFC 916C), maintenant basé aux Etats-Unis. Passer la journée avec HLT est l’occasion de constater à quel point la voiture correspondait bien à la série, ainsi décrite par Patrick McGoohan : « Essayer de détruire l’individu par tous les moyens possibles ; essayer de briser son esprit, pour qu’il accepte qu’il est Numéro 6 et vive heureux comme tel pour le restant de ses jours. »

Dans un film d’espionnage classique des années 60, la production aurait choisi une voiture de type Jaguar MkX noire, mais, dans Le Prisonnier, l’image de la Moke comme voiture de loisir et de liberté est renversée. Catherine McGoohan rappelle que son père, Numéro 6, voulait que la série fasse réfléchir les spectateurs, et c’est encore le cas plus de cinquante ans plus tard. Elle était spirituelle – « mon père avait un sens de l’humour très original » –, énigmatique, provocatrice et terrifiante.

La dernière apparition des Moke a lieu dans le 17e épisode, Le Dénouement, que je trouve sublime. Il met en scène trois individus qui semblent réussir leur évasion avec Numéro 6 : un beatnik, que l’on reverra une dernière fois faisant du stop devant des Humber Imperial, un ancien Numéro 2 et un majordome nain qui présente à Numéro 6 une Lotus soigneusement astiquée, KAR 120C. Et nous prenons congé sur la dernière image du Prisonnier, recomposée avec une Super Seven sur le circuit de Podington. Comme le souligne Catherine McGoohan, « chaque fin est un commencement ». A l’image de la nouvelle vie de cette Mini Moke.

*Article publié, à l’origine, dans le n°74 du magazine Classic & Sports Car.
-> www.classicandsportscar-magazine.fr


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