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Bruxelles : les secrets d'un marché immobilier sans pression
Bruxelles : les secrets d'un marché immobilier sans pression
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The Good Business

Bruxelles : les secrets d’un marché immobilier sans pression

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Si, à Bruxelles, les prix de l’immobilier résidentiel sont, en moyenne, 79 % plus élevés que dans le reste du pays, ils demeurent plus accessibles que dans les autres capitales internationales. Résolument européenne, Bruxelles attire des Belges et des Européens, mais pas seulement. Immersion.

« C’est un désastre ! » L’eau déborde du gigantesque pot qui accueille un arbre au cœur du salon et se déverse rapidement sur le majestueux parquet de l’hôtel particulier. La propriétaire des lieux – en jogging et à quatre pattes – éponge activement le sol à grand renfort de moulinets et de cris de panique. Des scènes comme celle-ci, Hélène Van de Velde, directrice de la prestigieuse agence immobilière Emile Garcin, à Bruxelles, en est coutumière.

En quelques secondes, la professionnelle de l’immobilier vient à la rescousse de la propriétaire désemparée. Il faut dire que le parquet de cette immense salle de réception ne saurait souffrir un dégât des eaux. Voici quinze jours seulement que l’agent immobilier dispose du mandat exclusif de cette maison, située dans le quartier des étangs d’Ixelles. Son prix : 4,2 millions d’euros, pour une bâtisse de cinq chambres, chacune dotée d’une salle de bains, avec un jardin privatif et une salle de sport.

Hélène Van de Velde pense déjà à un acquéreur potentiel pour ce bien d’exception et espère signer l’acte de vente dans les prochaines semaines. « Il faut bien avoir à l’esprit que, dans notre métier d’agent immobilier, notre travail consiste avant tout à écouter nos clients afin de réaliser leurs souhaits et leur présenter le bien qui leur correspondra le mieux. Quand une demeure entre dans notre portefeuille, souvent je sais à quel client elle pourrait plaire », explique-t-elle.

23 % d’expatriés européens

Si les biens les plus luxueux font toujours l’objet d’une négociation à la baisse, il existe cependant une valeur dite de « convenance » difficilement chiffrable. « Si un client a des critères très précis et cherche depuis longtemps un bien répondant à ses désirs, il sera prêt à l’acheter à un prix plus élevé, prix correspondant à la valeur de “convenance” que le client lui donne. » De même, ces biens exceptionnels font rarement l’objet de conditions suspensives de prêts. « Les personnes qui se positionnent sur ce type de logements ont la capacité de réaliser des acquisitions sans financements bancaires. S’ils contractent des emprunts, c’est à la marge et pour profiter de l’environnement de taux bas », poursuit la professionnelle de l’immobilier.

Pour ces amoureux des belles pierres au fort pouvoir d’achat, c’est le sud de Bruxelles qui reste le plus prisé. Les communes d’Ixelles et d’Uccle sont aujourd’hui les plus recherchées, notamment par les expatriés européens qui, à eux seuls, représentent aujourd’hui 23 % des 1,2 million d’habitants que compte la capitale belge.

Les biens exceptionnels font rarement l’objet de conditions suspensives de prêts.
Les biens exceptionnels font rarement l’objet de conditions suspensives de prêts. Ariel Martín Pérez

Bruxelles : une région, 19 communes

Pour appréhender le marché immobilier bruxellois, il faut sortir des grilles d’analyse française et parisienne. Au sein de la capitale belge, le calcul au mètre carré n’est pas la norme. « Nous ne travaillons pas avec la loi Carrez, comme en France, ce qui serait pourtant pratique et permettrait d’avoir des prix comparables d’une rue à l’autre ou d’un quartier à l’autre. A Bruxelles, les différences de prix entre un côté ou l’autre d’une rue peuvent être très importantes en fonction du code postal », explique Jean-Marc Delcroix, directeur de Sotheby’s Belgique.

Les notaires, dans leur baromètre, donnent des indications sur les prix moyens de l’immobilier. Ainsi, entre 2014 et 2018, le prix moyen d’une maison à Bruxelles a augmenté de 7,9 % pour atteindre 452 721 euros. Dans le même temps, celui d’un appartement atteint 240 250 euros, en progression de 11,6 %. Autant d’indications chiffrées qui masquent de fortes disparités. Pour s’y retrouver, il faut se pencher sur la structure même de la ville, quartier par quartier.

Car si la gentrification est à l’oeuvre, elle ne touche pas toutes les zones de façon uniforme. La Région de Bruxelles-Capitale a pour chef-lieu Bruxelles, mais compte 19 communes. Les experts du marché immobilier répartissent communément la région en trois grandes zones : l’ouest et le nord de Bruxelles, populaire et abordable (Anderlecht, Molenbeek-Saint-Jean, Koekelberg, Berchem-Sainte-Agathe, Ganshoren, Jette, Evere, Saint-Josse, Schaerbeek), le centre et le sud, en voie de gentrification (Bruxelles-ville, Forest, Saint- Gilles, Auderghem), et les communes les plus chères, situées entre le centre et le sud (Uccle, Ixelles, Etterbeek, Watermael, Woluwe-Saint- Lambert, Woluwe-Saint-Pierre). Le prix moyen d’une maison atteint 292 063 euros à Molenbeek, 479 760 euros à Saint-Gilles, et 633 360 euros à Ixelles.

Prix médians des maisons dans les communes de la région Bruxelles-Capitale.
Prix médians des maisons dans les communes de la région Bruxelles-Capitale. Ariel Martín Pérez

Cohabitation de styles architecturaux

A Bruxelles, les biens de très grande qualité sont nombreux. Au détour d’une rue, il n’est pas rare de voir cohabiter des constructions Art nouveau ou Art déco avec des maisons contemporaines. Parmi les architectes en vue, Marc Corbiau, dont les constructions, même en lointaine périphérie de Bruxelles, dépassent le million d’euros. « Actuellement, ce sont les maisons les plus épurées qui sont les plus recherchées. Le style Art nouveau, jugé trop chargé, ne séduit pas toujours les acquéreurs », indique Hélène Van de Velde, qui détient en portefeuille la maison de vacances de l’architecte Victor Horta, emblématique figure bruxelloise de l’Art nouveau.

Autre élément notable, l’absence de découpe en lots de ces luxueuses bâtisses bourgeoises. « La municipalité a sciemment freiné la découpe des grandes villas en logements multiples, afin de ne pas multiplier les places de stationnement alentours », explique l’agent immobilier. Ainsi, dans les communes du sud de Bruxelles, les candidats à l’acquisition ont la possibilité de se positionner sur des maisons individuelles avec jardin. A condition, toutefois, d’y mettre le prix.

Contrairement aux capitales européennes, où l’hypercentre historique reste le plus recherché, à Bruxelles, c’est le bâti individuel qui a la cote. Surtout dans les secteurs proches du quartier d’affaires européen. « Bruxelles, avec ses nombreuses institutions européennes et internationales, ses lobbys et ses entreprises internationales, attire un grand nombre d’étrangers, européens ou non. Ces arrivées ont un impact non négligeable sur l’évolution du marché immobilier et des prix. Au fil des années, la ville s’est embellie grâce aux nombreuses rénovations entreprises par les pouvoirs publics qui ont permis de renforcer son attractivité », constate Gaétan Bleeckx, un notaire dont l’étude est installée dans le quartier de Saint-Gilles.

70 % des Belges sont propriétaires de leur logement

Et si les Belges « ont une pierre dans le ventre » (70 % des Belges sont propriétaires de leur logement, un pourcentage qui s’établit à 51 % chez les Allemands et à 60 % chez les Français), les expatriés font rapidement le calcul entre achat et location. « Les expatriés commencent par louer, puis dès qu’ils sont certains de garder leur poste, ils achètent », décrypte Hélène Van de Velde. « Le marché locatif a tendance à stagner. Au delà de 1 200 euros de loyer par mois et dans un contexte de taux de crédits hypothécaires bas, de plus en plus de particuliers préfèrent acheter », abonde Gaétan Bleeckx.

Longtemps porté par l’afflux de nouveaux résidents européens, le marché immobilier bruxellois a connu une croissance stable et constante au cours des dernières années. « La commune d’Ixelles est assez emblématique des zones où les prix ont flambé. La place du Châtelain et la place Brugmann sont aujourd’hui des endroits très recherchés. La commune de Saint-Gilles, voisine d’Ixelles et disposant d’un très beau bâti, est aussi l’objet d’un intérêt croissant. Les prix y sont donc orientés à la hausse. De même, s’il y a une quinzaine d’années les alentours du parc du Cinquantenaire étaient abordables, ce n’est plus le cas aujourd’hui », constate Gaétan Bleeckx.

Bruxelles vs Anvers.
Bruxelles vs Anvers. Ariel Martín Pérez

Reste que les citoyens européens ne sont plus les principaux acquéreurs dans ces quartiers chic. « Aujourd’hui, nous travaillons surtout avec des Belges, notamment en provenance des régions flamandes. Nous constatons que les néerlandophones souhaitent revenir dans la capitale. Par ailleurs, les ressortissants de pays du Moyen-Orient sont de plus en plus nombreux à se porter acquéreurs dans les communes d’Ixelles, Uccle et Rhode », détaille Jean-Marc Delcroix.

Le centre historique de Bruxelles déserté ?

Si l’habitat individuel, avec jardin et situé en périphérie du centre historique, est le format le plus recherché par les familles, quid de l’hypercentre ? « Il est très rare que je me rende dans le centre historique de Bruxelles. Je me rends sur la Grand-Place peut-être deux fois par an, en famille et pour des événements bien précis, notamment pour découvrir les illuminations de Noël. Le reste du temps, je vis dans ma commune », nous confie une résidente de la commune d’Uccle pour qui « les déplacements en voiture restent la norme à Bruxelles ».

Hormis les touristes, une nouvelle typologie de population semble désormais avoir investi le centre de la ville. Aux côtés des rares expatriés qui cherchent à retrouver les commerces de proximité en pied d’immeuble des autres capitales européennes, de nombreux étudiants investissent l’hypercentre. Ils y partagent des « kots », colocations au sein desquelles chaque résident possède sa chambre, mais partage la cuisine et la salle de bains.

Une installation largement facilitée par la piétonnisation de l’hypercentre et par la présence d’immeubles de rapport composés de petites surfaces. Pour ces étudiants, amateurs de la vie nocturne, les loyers mensuels débutent autour de 400 euros. Une gentrification franchement balbutiante qui n’a donc pas encore vraiment d’effet sur les prix. A Bruxelles, les choses évoluent ma non troppo.


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