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Daniel Boulud, chef lyonnais installé à New York depuis 1982, est l’heureux propriétaire du restaurant étoilé Daniel.
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Chef Daniel Boulud : icône de l’Upper East Side

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A 63 ans, l’infatigable chef lyonnais poursuit sa trépidante aventure américaine entamée il y a près de quatre décennies. Déjà à la tête de treize établissements et de trois épiceries à travers le monde, Daniel Boulud ouvrira un nouveau restaurant l’an prochain au cœur de Midtown. Entretien au Daniel, son restaurant étoilé.

The Good Life : Quels souvenirs gardez-vous du New York des années 80, celui de votre arrivée ?
Daniel Boulud : Je me souviens des quartiers semi-industriels de l’époque – NoMad, Chelsea, Meatpacking District – où il régnait une vie incroyable. On y trouvait tout ce que New York consommait, car c’était l’endroit des entrepôts, des grossistes, et donc de la plupart de nos fournisseurs. On y allait la nuit ou très tôt le matin, toute une vie redémarrait après celle des clubs, un peu comme au Tsukiji Market à Tokyo ou aux marchés de gros en Europe. A la fin des années 80, c’était aussi le début des marchés de producteurs. J’ai ouvert mon restaurant Daniel il y a vingt-six ans, au mois de mai. On allait au marché de Union Square et on remplissait le taxi de grands sacs de légumes. C’était excitant, il y avait une énergie réelle.

Daniel Boulud, chef lyonnais installé à New York depuis 1982, est l’heureux propriétaire du restaurant étoilé Daniel.
Daniel Boulud, chef lyonnais installé à New York depuis 1982, est l’heureux propriétaire du restaurant étoilé Daniel. DR

TGL : Pourquoi êtes-vous resté dans cette ville pour y inaugurer votre premier établissement ?
D. B. : La restauration française avait besoin d’être renouvelée à New York. Dans les années 80, c’était la mode des restaurants commençant par « Le » ou « La » – Le Lutèce, La Grenouille, La Caravelle, Le Cygne, Le Chantilly, La Côte Basque. Mais leur offre vieillissait pour des jeunes comme Jean-Georges Vongerichten, Gilbert Le Coze [le fondateur du Bernardin], moi-même et d’autres qui avions été formés en France, sous l’ère de la nouvelle cuisine. Nous arrivions ici avec des idées neuves, beaucoup plus en relation avec ce qui se passait en France chez les chefs comme Michel Guérard, Paul Bocuse, Roger Vergé ou encore Louis Outhier.

« Hisser la cuisine classique au niveau de la gastronomie »

On apportait cette manière différente de cuisiner, plus raffinée, davantage axée sur les produits de saison. Je trouvais que ces grands restaurants français étaient tous un peu identiques. Ça marchait très fort pour eux et ils offraient ce qu’il y avait de meilleur : hospitalité, services, cuisine et une carte des vins extraordinaire. Mais il n’était pas facile pour ces chefs de changer et d’évoluer. Je suis venu à New York ouvrir un restaurant, puis un autre (au Plaza Athénée), avant d’entrer au Cirque. J’ai travaillé les classiques comme la bouillabaisse et le pot-au-feu en essayant de les rendre plus raffinés. Pour hisser la cuisine classique au niveau de la gastronomie. Si cela n’avait pas porté ses fruits, je serais revenu en France. Mais le concept a plu et j’ai voulu le développer dans mon propre restaurant.

Daniel, 60 E 65th St, New York, Tél : +1 212-288-0033. danielnyc.com
Daniel, 60 E 65th St, New York, Tél : +1 212-288-0033. danielnyc.com DR

TGL : En vingt-cinq ans, vous avez créé un grand groupe. Le groupe Dinex reflète-t-il ce que vous aviez imaginé au départ ?
D. B. : J’ai rapidement pensé lancer d’autres restaurants, car le Daniel est vite devenu trop petit. Nous avions une clientèle extraordinaire et comptions des événements importants à notre actif, comme le mariage des Furstenberg. Avec 10 millions de dollars d’investissement, nous avons déplacé Daniel sur la 65e Rue et créé à sa place Café Boulud. Dans la foulée, j’ai voulu développer un service traiteur, Feast & Fêtes, avec un partenaire. Mais je ne pensais pas fonder un tel groupe.

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Daniel Boulud en quelques dates

• 1955 : né le 25 mars, à Saint-Pierre-de-Chandieu (Rhône).
• 1979-1980 : chef de cuisine aux Etoiles, à Copenhague.
• 1981-1982 : chef privé de Roland de Kergorlay, ambassadeur de la Commission européenne à Washington D.C.
• 1982 : arrivée à New York.
• 1986-1992 : chef au Cirque.
• 1992 : création du Dinex Group.
• 1993 : ouverture du Daniel.
• 1994 : lancement de Feast & Fêtes, un service traiteur.
• 1998 : lancement des Sunday Supper au bénéfice de l’organisation caritative Citymeals on Wheels.
• 2010 : ouverture de Bar Boulud, à l’hôtel Mandarin Oriental, à Londres, premier restaurant du groupe en Europe.
• 2011 : poursuite du développement à l’international : Singapour, Canada.

« Il y a de la compétition à New York, comme dans toutes les villes »

TGL : Et vous ouvrirez l’an prochain un nouveau restaurant dans l’une des plus hautes tours de bureaux de Midtown, au One Vanderbilt. Le lieu est en construction. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
D. B. : Sa taille, d’abord. Nous serons dans le plus beau gratte-ciel commercial de Manhattan, complètement neuf. Et il n’y aura qu’un seul restaurant, le mien. J’ai apprécié que la priorité soit donnée à la relation et au partenariat. Le promoteur voulait créer un lieu contemporain avec des bases classiques, ce qui me convenait bien. Et la localisation m’a plu : tout près de la gare de Grand Central, qui accueille chaque jour un million de personnes, et des théâtres. Le restaurant pourra recevoir un peu plus de 100 convives – une bonne moyenne à New York. Un bel espace haut de plafond et lumineux. Et la vue sera impressionnante.

TGL : La concurrence est forte entre chefs. Or, vous semblez entretenir une grande complicité́ avec certains de vos collègues…
D. B. : Il y a de la compétition à New York, comme dans toutes les villes. Avec Eric Rippert, Jean-Georges Vongerichten et Gabriel Kreuther, on se parle, bien sûr, on se regarde, mais on ne se voit jamais comme des professionnels en compétition. Il y a une réelle complicité. Chacun fait ce qui lui fait plaisir, chacun fait ce qu’il veut, et vous savez, on a beaucoup de clients en commun qui nous suivent tous !

Épicerie Boulud, 1900 Broadway, Tél : +1 212-595-9606. epicerieboulud.com
Épicerie Boulud, 1900 Broadway, Tél : +1 212-595-9606. epicerieboulud.com Bill Milne

Daniel Boulud, star jusque dans le métro !

TGL : La notion de transmission est importante pour vous, vous aimez aider de jeunes talents. Est-ce propre à la cuisine ?
D. B. : Les écoles hôtelières ont beaucoup évolué, on y rencontre des jeunes qui ont une approche intéressante de la cuisine, de ce qu’ils veulent faire et avec qui. Tous les deux mois, nous réunissons les nouveaux employés pour une matinée de formation. En général, ils ont entre 20 et 30 ans. C’est un engagement vis-à-vis de cette jeunesse. Nous désirons leur apporter une formation, une éducation et une compréhension de notre travail. Dans le domaine de la cuisine, mais aussi, et c’est essentiel, dans celui du service. Les voir grandir est notre récompense.

Dinex Group en quelques chiffres

• 5 restaurants et bars : Daniel, Bar Boulud, Boulud Sud, Café Boulud et DB Bistro Moderne.
• 3 épiceries à New York.
• 8 autres établissements aux Etats-Unis, au Canada, à Londres et à Singapour.
• 825 employés.

TGL : Quelle a été́ la plus grande récompense que vous ayez reçue ?
D. B. : Mon portrait en mosaïque dans le métro de New York [ligne Q, station 72e Rue sur 2e Avenue, NDLR], une œuvre de l’artiste brésilien Vik Muniz. Pour moi qui réside dans l’Upper East Side depuis plus de trente ans, c’est le plus beau cadeau reçu à New York.

DB Bistrô Moderne, 55 W 44th St, New York. Tél : +1 212-391-2400. dbbistro.com/nyc
DB Bistrô Moderne, 55 W 44th St, New York. Tél : +1 212-391-2400. dbbistro.com/nyc DR

TGL : New York vous inspire-t-elle toujours ?
D. B. : Toujours. Ma plus grande émotion remonte au 11 septembre 2001. Juste après les attentats, nous avons improvisé une cellule de crise avec des restaurateurs et monté des cuisines dans Ground Zero. Nous acheminions tout par bateau. Pendant trois semaines, nous avons proposé des repas 24 h/24 pour les pompiers, les agents de police, les secours. Il y avait 10 000 personnes sur le site et rien ne fonctionnait. C’était émouvant et très gratifiant.


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