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Jérusalem, souvenirs de pèlerins - The Good Escape
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The Good Business

Jérusalem, souvenirs de pèlerins

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A la fin du XIXe siècle, des milliers de pèlerins affluent à Jérusalem, investissant des missions et bâtissant des hôpitaux. Ils sont russes, autrichiens, américains… Ces lieux existent encore pour la plupart. Ils sont devenus des centres culturels, des musées ou des hôtels. A travers eux, la ville se vit comme une tour de Babel.

Le couvre-lit de satin blanc juponné scintille sous la lumière crue de l’énorme plafonnier, le papier peint bleu et or épouse les moulures : bienvenue au Sergei Palace, en Russie… au cœur de Jérusalem. A la fin du XIXe siècle, le tsar Alexandre III achète à l’Empire ottoman un terrain dans la Ville sainte pour y créer une mission destinée à accueillir les nombreux pèlerins russes orthodoxes.

Il fera partie des premiers à construire à l’extérieur des murailles de la ville. En 1860, son frère, le grand-duc Serge Alexandrovitch, édifie un hôtel portant son nom. Il verra défiler toute l’aristocratie impériale, et même un certain Raspoutine. A l’image de la ville, cet immense domaine cerné de hauts murs passera de main en main au fil de l’histoire.

La prestigieuse Ecole des beaux-arts de Bezalel, créée par Boris Schatz.
La prestigieuse Ecole des beaux-arts de Bezalel, créée par Boris Schatz. DR

Après la chute de l’Empire ottoman, la Grande- Bretagne mandataire y installe son administration et une prison. Puis la propriété tombe dans l’escarcelle de l’Etat d’Israël qui, devenu indépendant en 1948, offrira de racheter les lieux à l’URSS en 1964 pour 1,25 million de dollars – il honorera une partie du contrat en expédiant des cargaisons… d’oranges ! Mais la roue tourne, le mur de Berlin s’écroule, suivi de l’empire soviétique… Près d’un million de Juifs de l’ancienne URSS font leur alya et s’installent en Israël.

Ils investissent le quartier autour de la mission, ouvrant leurs écoles et leurs restaurants. Louchant sur le palace joyau des Romanov, Vladimir Poutine a obtenu sa restitution par le Premier ministre Ehoud Olmert, il y a dix ans. La restauration vient de s’achever, et les hôtes de ce 5-étoiles rutilant entrent donc, en franchissant le porche, en territoire russe.

Même si le kitsch n’est pas votre tasse de thé, les chambres immenses – pour moins de 150 euros –, le jardin, la proximité de la cathédrale orthodoxe de la Sainte-Trinité croulant sous les dorures, et du Putin Pub réputé pour ses cocktails, permettent de jouir d’un calme rare, à deux pas de la célèbre rue Jaffa.

Sur le marché Mahané Yéhuda.
Sur le marché Mahané Yéhuda. DR

A la croisée des influences

Les Soviétiques ne furent pas les seuls à chercher à s’approprier un bout de cette Terre sainte. Si vous n’aimez pas trop le style russe, pourquoi ne pas poser vos valises au Vatican ? Un peu plus à l’est, son drapeau flotte sur le centre Notre-Dame de Jérusalem, édifié par les Pères assomptionnistes français en 1882.

Copiant leurs voisins orthodoxes, ils construisirent une chapelle et de quoi héberger un demi-millier de pèlerins. Depuis qu’il est passé sous la houlette du Saint-Siège, ce délicieux havre de sérénité – avec jardinet fleuri, oiseaux et bancs de pierre – est devenu un hôtel de luxe, où vous pouvez choisir de dormir dans la suite papale ou dans celle des cardinaux. La grande classe !

Édifié par des Pères assomptionnistes français, le centre Notre-Dame de Jérusalem, qui appartient aujourd’hui au Saint-Siège, est devenu un hôtel de luxe.
Édifié par des Pères assomptionnistes français, le centre Notre-Dame de Jérusalem, qui appartient aujourd’hui au Saint-Siège, est devenu un hôtel de luxe. DR

Le must : le restaurant perché sur le toit avec vue sur le mont des Oliviers. Au menu : « cheese and wine » et même, soyons fous, fondue savoyarde. Pour vous permettre d’expier vos péchés de gourmandise, la messe est dite chaque jour à 18 h 30.

A leur tour, les Allemands ont fantasmé sur ce territoire. Les Templiers, un groupe de luthériens rebelles qui pensaient faire ressusciter Jésus en colonisant la Ville sainte s’y installent dans les années 1870. Allez savoir pourquoi, les rues s’appellent aujourd’hui « Crémieux » ou « Emile Zola ». Et les habitants s’y baladent désormais avec vélos, iPad et poussettes : la colonie allemande est devenue le Neuilly de Jérusalem.

Ses maisons de maître, dont l’architecture mêle allègrement le style ottoman, le Bauhaus et l’Art déco anglais, se devinent au fond de jardins touffus et parfumés. Les grandes familles, comme les Pritzker, y ont trouvé de discrètes retraites et, dès les premières douceurs du printemps, tous les branchés se pressent sur les terrasses des cafés.

La porte de Jaffa est l’une des portes les plus belles parmi celles situées autour des remparts ottomans du XVIe siècle. A l’entrée se trouvent le bazar de la vieille ville et le musée de la tour de David.
La porte de Jaffa est l’une des portes les plus belles parmi celles situées autour des remparts ottomans du XVIe siècle. A l’entrée se trouvent le bazar de la vieille ville et le musée de la tour de David. DR

Jérusalem au cœur de l’histoire…

Mais peut-être êtes-vous plus sensible au style autrichien ? Alors direction la vieille ville. Il est midi et quelques minutes. Vous franchissez la porte de Damas, les cloches de l’église Sainte-Anne sonnent à toute volée, tandis qu’un muezzin appelle à la prière. *

Vous descendez la rue Al-Wad, assailli par les parfums d’épices. A l’angle de la Via Dolorosa, en plein quartier musulman, poussez la grille : vous voici chez François-Joseph, empereur d’Autriche. Le mari de Sissi a fait, lui aussi, acte de présence en Terre sainte. Il pose, avec ses épaisses rouflaquettes, dans les larges couloirs aux sols de marbre noir et blanc, au milieu des nombreux dignitaires et intellectuels qui ont dormi dans ces chambres monacales.

Aujourd’hui, elles sont le bon plan qu’on se passe sous le manteau et qui s’arrache des mois à l’avance. Mais point n’est besoin de séjourner dans cet hôtel confidentiel pour profiter de la terrasse, au dernier étage, offrant une vue incroyable sur Jérusalem, ses toits, ses dômes, ses clochers, ses minarets… Cerise sur le gâteau : déguster ensuite un énorme strudel dans le jardin bucolique noyé de chants d’oiseaux. Un autre monde.

Fresque street-art en hommage au peintre Boris Schatz, dans le quartier de Nahalaot.
Fresque street-art en hommage au peintre Boris Schatz, dans le quartier de Nahalaot. DR

Envie d’encore plus d’exotisme ? Rendez-vous en Amérique. Arrivés de Boston en 1881 pour fonder une communauté chrétienne, les époux Spafford n’imaginaient pas que l’immeuble de style en grosses pierres taillées qu’ils achetaient aux héritiers du pacha Rabbah Daoud Amin Effendi al-Husseini – noble Ottoman qui y abritait son harem –, deviendrait l’un des palaces les plus luxueux de la ville.

D’abord dispensaire, crèche et école ouverts aux musulmans, aux juifs et à tous ceux qui avaient besoin d’aide, l’American Colony – toujours propriété des héritiers des fondateurs de la communauté – est devenu un palace intime. Winston Churchill, Graham Greene ou Lawrence d’Arabie y avaient leurs habitudes ; aujourd’hui, on peut croiser dans le patio fleuri Bob Dylan et Uma Thurman. Ainsi que de nombreux diplomates, ministres de passage et négociateurs internationaux qui y déjeunent en refaisant le monde. Toutes ces vigies et leurs tribulations conservent derrière leurs épais murs la mémoire des soubresauts de cette ville.

L’American Colony, l’un des palaces les plus somptueux de la ville, dans le quartier américain.
L’American Colony, l’un des palaces les plus somptueux de la ville, dans le quartier américain. DR

… et tournée vers le futur

Assise sur ses trois mille ans d’histoire, Jérusalem s’évertue pourtant aujourd’hui à faire bouger les lignes. Ville jeune – la moyenne d’âge ne dépasse pas 23 ans –, elle s’applique à bousculer le statu quo qui la condamnerait à tourner en silence les pages des livres saints, tandis que Tel-Aviv, sa rivale, continuerait de faire la fête.

Désormais, Jérusalem pétille, ouvre ses murailles à une nouvelle génération de jeunes créatifs, dans le sillage des designers Ron Arad, Dror Benshetrit ou Ron Gilad. La Design Week, qui vient de s’achever, a phagocyté, pour exposer la jeune scène, une dizaine de lieux culturels, dont la fascinante Hansen House, ancienne léproserie bâtie par les protestants en 1887 et devenue l’un des cœurs battants de la création israélienne.

Ancienne léproserie bâtie par les protestants, la Hansen House est devenue un centre culturel consacré, entre autres, au design.
Ancienne léproserie bâtie par les protestants, la Hansen House est devenue un centre culturel consacré, entre autres, au design. DR

Bientôt on inaugurera la grande bibliothèque nationale d’Israël, signée par les architectes suisses Herzog & de Meuron. Quant à l’ancien planétarium, il s’apprête à devenir un musée dédié à Albert Einstein, et les Japonais de l’agence Sanaa creusent les fondations d’un énorme campus qui sera consacré aux écoles d’art et de design, juste en face de la mission russe.

Pourtant, avec ses pavés polis, ses échoppes d’épices, ses églises, ses mosquées, ses souks et ses bains publics, il n’y a pas de doute : on est bien en Orient. Mais ici, en ce point zéro de l’histoire méditerranéenne, noyé de pierre blonde, on a plutôt envie de parler de demain.

Le marché Mahané Yéhuda doit sa réputation à la diversité des marchandises proposées
Le marché Mahané Yéhuda doit sa réputation à la diversité des marchandises proposées DR
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