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Radio télévision suisse, le charme discret de la sobriété médiatique
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Radio télévision suisse, le charme discret de la sobriété médiatique

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Imaginez une chaîne de télévision dont la redevance plutôt élevée serait plébiscitée par les contribuables ; une chaîne dont les présentateurs du grand journal du soir refuseraient d’être des stars et dont les émissions politiques seraient didactiques, voire techniques ; une chaîne qui aurait notamment pour mission de fédérer la diversité culturelle de ses téléspectateurs. Cet ovni – objet visuel non identifié – existe, c’est la Radio télévision suisse. Nous l’avons observée à Genève.

Qu’adviendrait-il si l’on proposait aux téléspectateurs français de les dispenser de s’acquitter de leur contribution annuelle à l’audiovisuel public ? Sans doute applaudiraient-ils des deux mains cette généreuse initiative gouvernementale ! Eh bien, lorsque la Confédération helvétique a posé la même question à nos voisins suisses, ceux-ci ont décliné cette offre généreuse en se prononçant massivement l’an dernier, par votation populaire (avec plus de 70 % des suffrages), en faveur du maintien de la redevance audiovisuelle ! Or celle-ci s’élève à 365 francs suisses (321 euros), soit plus du double de la nôtre !

Dans l’imposant immeuble d’une vingtaine d’étages de la Radio télévision suisse (RTS) qui domine Genève et d’où l’on aperçoit, au loin, le sommet enneigé du mont Blanc, le résultat de cette votation a suscité un grand soulagement et une certaine fierté. Mais les dirigeants de la chaîne assurent qu’il n’est évidemment pas question pour autant de se reposer sur ses lauriers, car ce plébiscite impose d’abord à cette entreprise de service public de se montrer digne de la confiance exprimée par les urnes. Et que l’on doit se montrer plus que jamais à la hauteur des attentes des téléspectateurs, notamment en matière de développement numérique.

RTS occupe un immeuble de 18 étages qui domine la ville de Genève. La tour se situe au bord de l’Arve, quai Ernest ‑Ansermet.
RTS occupe un immeuble de 18 étages qui domine la ville de Genève. La tour se situe au bord de l’Arve, quai Ernest ‑Ansermet. Guillaume Mégevand

Réorganisation transmédia en cours

« Certes, dans les prochaines années, nous avons l’assurance de ne pas avoir une épée de Damoclès sur la tête et nous pouvons nous concentrer sur le développement transmédia et numérique mais, tous les matins, nous devons nous demander pourquoi nos compatriotes sont prêts à débourser ainsi 365 francs suisses. Nous devons nous demander que faire pour continuer à mériter notre légitimité de chaîne de service public et même l’accroître », confie Pascal Crittin, 50 ans, directeur général de la RTS.

Et d’ajouter, quand on l’interroge sur la santé budgétaire de l’entreprise : « On reçoit une dotation et nous devons être budgétairement à l’équilibre. Mais avec la baisse de la publicité et le plafonnement du prix de la redevance, notre cadre financier se resserre, et cela nous oblige à faire au niveau national des économies de l’ordre de 100 millions de francs (88 millions d’euros) par année. Et cela tout en continuant à garantir le même niveau de prestations aux téléspectateurs et la même décentralisation dans toutes les régions. » Un essai qui reste à transformer en quelque sorte.

La Radio télévision suisse regroupe deux chaînes de télévision : RTS Un (généraliste) et RTS Deux. Les téléspectateurs suisses plébiscitent les journaux de la RTS, qui est leader en prime time, tous âges confondus.
La Radio télévision suisse regroupe deux chaînes de télévision : RTS Un (généraliste) et RTS Deux. Les téléspectateurs suisses plébiscitent les journaux de la RTS, qui est leader en prime time, tous âges confondus. Guillaume Mégevand

Car le chantier de modernisation entrepris par la holding SRG SSR (Société suisse de radiodiffusion et télévision), qui émet en quatre langues (allemand, français, italien et romanche, dans la région des Grisons) pour un bassin de population d’environ 8 millions d’habitants, est pour le moins ambitieux. Elle devrait se traduire, dans les cinq années qui viennent, par une « réorganisation spatiale transmédia », avec des regroupements d’activité entre les sièges de Genève et Lausanne, et par des développements de l’offre numérique.

Elle devrait permettre une rationalisation des coûts et une meilleure adaptation aux lois du marché, ce qui pourrait impliquer de nouvelles réductions de personnel, notamment dans les services administratifs, et une diminution de quelque 25 % des surfaces immobilières.

La Radio télévision suisse regroupe deux chaînes de télévision : RTS Un (généraliste) et RTS Deux. Les téléspectateurs suisses plébiscitent les journaux de la RTS, qui est leader en prime time, tous âges confondus.
La Radio télévision suisse regroupe deux chaînes de télévision : RTS Un (généraliste) et RTS Deux. Les téléspectateurs suisses plébiscitent les journaux de la RTS, qui est leader en prime time, tous âges confondus. Guillaume Mégevand

« Cette réorganisation transmédia consiste à intensifier la coopération multimédia entre la radio et la télévision, explique Christophe Chaudet, directeur de la rédaction de la RTS, lequel est passé par l’université de Lausanne et L’Ecole supérieure de journalisme de Lille. L’idée est de ne pas avoir la radio d’un côté et la télévision de l’autre, et de pouvoir fournir une offre numérique personnalisée quel que soit le vecteur. On est plus intelligent et efficace si les journalistes peuvent se retrouver le matin autour de la même table, à tout le moins sur un même site, dans les conférences de rédaction pour décider du traitement de l’information et du support idéal pour celle-ci. Ainsi, on est à même d’offrir plus de diversité. »

Une fiabilité reconnue

Si, lors de récentes enquêtes d’opinion, une minorité des personnes interrogées critiquaient la RTS en estimant que « c’est un mastodonte médiatique pour un bassin de population restreint » ou « qu’il est temps que ce service public sorte de sa zone de confort », la majorité d’entre eux lui rendaient hommage pour la crédibilité et le sérieux de ses informations.

La Radio télévision suisse regroupe deux chaînes de télévision : RTS Un (généraliste) et RTS Deux. Les téléspectateurs suisses plébiscitent les journaux de la RTS, qui est leader en prime time, tous âges confondus.
La Radio télévision suisse regroupe deux chaînes de télévision : RTS Un (généraliste) et RTS Deux. Les téléspectateurs suisses plébiscitent les journaux de la RTS, qui est leader en prime time, tous âges confondus. Guillaume Mégevand

Elles seraient jugées plus fiables que celles des journaux papier de Suisse romande – sans parler du quotidien gratuit 20 minutes, qui capte l’essentiel du lectorat francophone –, dont les contenus se sont uniformisés à la suite de la concentration des titres au sein des mêmes groupes de presse.

Lors d’événements de portée mondiale, comme les attentats du 11 septembre 2001, les téléspectateurs plébiscitent les journaux de la RTS, fidèles à la tradition suisse de neutralité et de diversité d’opinion. « Nous, on préfère se fier à la qualité suisse car, au moins, on est sûr que ce n’est pas fake ! » estime un étudiant genevois. Il est vrai que ce n’est pas le genre des journalistes et des présentateurs de la RTS de verser dans l’information spectacle ou, comme c’est souvent le cas en France, de se mettre en scène à la place de leur invité !

La Radio télévision suisse regroupe deux chaînes de télévision : RTS Un (généraliste) et RTS Deux. Les téléspectateurs suisses plébiscitent les journaux de la RTS, qui est leader en prime time, tous âges confondus.
La Radio télévision suisse regroupe deux chaînes de télévision : RTS Un (généraliste) et RTS Deux. Les téléspectateurs suisses plébiscitent les journaux de la RTS, qui est leader en prime time, tous âges confondus. Guillaume Mégevand

Ici, ils n’hésitent pas, même si ce n’est pas toujours très « sexy », à aborder des sujets politiques ardus et à donner le maximum d’informations techniques. « La tradition de démocratie directe, que vous commencez seulement à expérimenter avec les gilets jaunes, a habitué les gens à potasser en vue de la prochaine campagne d’initiative populaire », explique un élu de Lausanne.

Sobriété très helvétique

Lors de la tranche matinale 7 h 30-8 h, on n’hésitera donc pas à réveiller les téléspectateurs par un long entretien avec la conseillère fédérale chargée de la Justice et de la Police – surnommée elle aussi par ses compatriotes, la « Dame de fer » ! – afin d’analyser si la sacro- sainte souveraineté suisse serait menacée ou non par l’association aux accords européens Schengen/Dublin. Et si, après leur service militaire, les Suisses pourront toujours garder leur arme de service à la maison. Ou encore, dans le journal de 12 h 45, on commentera, avec une même sobriété, la révision des pensions des fonctionnaires de Fribourg et… la disparition de Karl Lagerfeld.

La RTS compte plusieurs studios, dont certains dédiés aux émissions en public.
La RTS compte plusieurs studios, dont certains dédiés aux émissions en public. Guillaume Mégevand

La nouvelle de la mort du grand couturier de Chanel, « tombée » quelques minutes avant l’antenne, sera, ce jour-là, l’occasion de démontrer la réactivité de la chaîne, qui diffusera aussitôt une interview exclusive retrouvée promptement dans ses archives. Mais la plus belle illustration de la sobriété très helvétique de la RTS est sans doute celle qu’incarne Darius Rochebin, 52 ans, le journaliste qui présente le grand journal du soir de 19 h 30 depuis… 1998.

Le « PPDA suisse », comme l’appelle avec admiration l’un de ses confrères, est né à Genève de père iranien. Diplômé de latin, de grec ancien et lecteur passionné de Saint-Simon, Voltaire ou Paul Morand, il confie à The Good Life : « Vous savez, chez nous, il n’y a pas eu de gouvernement renversé depuis 1848 ; cela crée une certaine stabilité, une assise. Et puis nous sommes marqués par une culture à la fois ancienne, paysanne et protestante. Alors, ici, on n’aime pas beaucoup l’esbroufe, le clinquant, le bavardage et les petites phrases chocs ! »

La RTS compte plusieurs studios, dont certains dédiés aux émissions en public.
La RTS compte plusieurs studios, dont certains dédiés aux émissions en public. Guillaume Mégevand

Sur le tableau de service du vaste open space de la rédaction de la RTS, le seul grafitti irrévérencieux qui y figure est, en tout cas, cette citation latine très calviniste : « Post tenebras spero lucem ». Cette lumière que l’auteur anonyme espère, au sortir des ténèbres de l’éprouvante et longue campagne d’initiative populaire sur la redevance, serait-elle la fameuse « réorganisation spatiale transmédia » promise ?

Données clés

• 1922 : création de la première chaîne de radio, la Radio suisse romande.
• 1954 : création de la Télévision suisse romande.
• 2001 : lancement du site TSR.ch.
• 2010 : convergence des médias, radio et télévision suisses romandes, qui vont former une nouvelle entité : la Radio télévision suisse (RTS).
• La RTS fait partie de la holding SRG SSR, le service public audiovisuel suisse, qui émet pour les quatre régions linguistiques du pays, dont les trois principales, en allemand, français et italien.
• Chaîne de télévision généraliste, RTS Un propose des émissions de production propre, rendez-vous d’actualité, magazines d’information, de société, de culture et d’évasion, émissions de divertissement et fictions aux heures de grande écoute. Des contenus à forte valeur identitaire, en lien direct avec le public romand.
• Deuxième chaîne de télévision, RTS Deux complète la programmation de RTS Un en s’adressant à des publics plus spécifiques et en déclinant retransmissions sportives, documentaires, émissions culturelles et rendez-vous pour la jeunesse.
• 150 journalistes pour la télévision suisse romande basés à Genève.
• 110 journalistes pour la radio principalement basés à Lausanne.
• 30 journalistes pour le numérique basés à Genève.
• Conférence téléphonique quotidienne entre les sièges de Genève, Zurich et Lugano pour coordonner les enquêtes et reportages, ou échanger les productions.
• La RTS est leader en prime time (toutes classes d’âge) en Suisse pour la consommation de médias traditionnels.
• 1 240 000 téléspectateurs de la RTS en Suisse et 855 000 auditeurs en 2017.
• Part de marché TV : 35 %.
• Part de marché radio : 51 %.
• 10 % du temps d’antenne de la RTS est diffusé sur TV5 Monde.
• Site web et applications mobiles : 395 000 visites quotidiennes.
• Chaque jour, plus de 500 000 vidéos de la RTS sont vues sur le site et les applications mobiles de la chaîne.


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