×
BD : à tombeau ouvert, de Tintin à Michel Vaillant
BD : à tombeau ouvert, de Tintin à Michel Vaillant
jchassagne

Horlogerie

BD : à tombeau ouvert, de Tintin à Michel Vaillant

Horlogerie

Les personnages de bande dessinée sont nombreux à glorifier l’automobile. Mais attention à ce que le rêve ne se transforme pas en cauchemar et à ne pas finir prisonnier de la route comme dans Les Mange‑Bitume…

La voiture et la bande dessinée ne sont pas nées en même temps, mais elles ont grandi ensemble. Si le premier véhicule automobile est créé en 1770, par le Français Joseph Cugnot, la bande dessinée voit le jour en 1827, grâce au Suisse Rodolphe Töpffer. Il faut attendre la fin du XIXe siècle et le début du suivant pour que ces deux inventions conquièrent un large public. Objet de fantasmes et source d’émotions fortes, la voiture ne pouvait laisser indifférents les créateurs de bande dessinée, prompts à intégrer à leurs histoires tout ce qui peut titiller l’imagination de leurs lecteurs.

Voiture et BD présentent un point commun : elles privilégient le mouvement. « Ce XXe siècle qui s’approche sera gourmand de deux choses : la vitesse et l’image. En 1880 sont tombées les dernières lois de censure de la presse. Il naît une profusion de journaux illustrés. La route de l’image est libre. Celle de la vitesse aussi. Elles n’ont pas mis longtemps à se rencontrer », résume Josette Sicsic dans Plein gaz, un livre consacré à la place de l’automobile au sein du neuvième art.

Tintin, enfant de l’automobile

Dès 1898, Christophe dessine une voiture dans L’Idée fixe du savant Cosinus. Benjamin Rabier pointe les dégâts provoqués dans une cour de ferme par ce genre de machine – conduite, il est vrai, par un animal. De nombreux dessinateurs, aujourd’hui oubliés, l’intègrent à leurs histoires. En France, les Pieds nickelés et Bibi Fricotin, créés par Louis Forton, jouent les as du volant. Témoins de leur temps, Joseph Pinchon et Alain Saint-Ogan la mettent en scène dans Bécassine et Zig et Puce.

Les Américains ne sont pas en reste : Mickey, Félix le Chat ou Winnie Winkle (Bicot, en français) exaltent les joies de l’automobile, sans oublier la Batmobile de Batman. Mais c’est surtout en Belgique que les noces de l’auto et de la bande dessinée donnent naissance à leurs plus beaux enfants. Georges Remi, alias Hergé, fera de la première un élément essentiel des Aventures de Tintin. Lequel Tintin doit d’ailleurs sa célèbre silhouette à sa conduite sportive : c’est grâce à un démarrage en trombe, dans Tintin au pays des Soviets, que ses cheveux se redressent et forment sa célèbre houppe, lors d’une scène qui marque sa véritable naissance graphique.

Tout au long des albums de la saga, il ne cessera de conduire, avec plus ou moins de prudence, les voitures les plus diverses. L’ouvrage Tintin, Hergé et les autos recense pas moins de 79 modèles. Chez Hergé, elles ne sont pas un simple élément du décor, mais de véritables actrices du récit. Elles servent à faire avancer l’action, comme dans cette scène du Sceptre d’Ottokar où, heurté par le véhicule du roi de Syldavie, Tintin profite de cet accident sans gravité pour l’avertir du complot qui se trame contre lui.

Plein gaz, de Josette Sicsic.
Plein gaz, de Josette Sicsic. Blitz

La BD belge, un garage de papier

Durant les années 50 et 60, la bande dessinée belge connaît son heure de gloire. De son côté, l’automobile se démocratise et devient un symbole de liberté. En 1958, dans S.O.S. Météores, Edgar P. Jacobs illustre les embouteillages parisiens, avant d’entraîner Philip Mortimer dans une course en taxi qui marquera les esprits. Deux ans plus tard, dans Les Taxis rouges, le petit Benoît Brisefer, imaginé par Peyo, le créateur des Schtroumpfs, use de sa force surhumaine – qui ne le quitte que quand il s’enrhume ! – pour soulever des voitures à mains nues et les projeter au loin.

Maurice Tillieux, amoureux des bagnoles, les met à toutes les sauces dans les enquêtes de son détective privé, Gil Jourdan, conducteur d’une Dauphine jaune du plus bel effet. Un autre redresseur de torts, le journaliste Ric Hochet, roulera lui aussi dans une voiture jaune – nettement plus chic : une magnifique Porsche 911 Targa verte. Les véhicules en tout genre ornent les couvertures des albums de Jourdan, de Libellule s’évade à Surboum pour quatre roues, de La Voiture immergée à Carats en vrac. A l’aise dans le registre réaliste comme dans l’humour, Tillieux imagine aussi les aventures d’une Ford T et de son conducteur, Marc Lebut, dans une série dessinée par Francis. Triste ironie du sort, il trouvera la mort sur une route de France, au volant de son Alfa Romeo, un jour pluvieux de 1978.

Mais l’auteur belge qui, outre Hergé, a rendu le plus bel hommage à l’automobile reste sans doute André Franquin. Son oeuvre respire la passion des autos, qui s’incarne dans les deux modèles de la célèbre Turbotraction aux lignes aérodynamiques. Ce qui ne l’empêche pas, dans Le Dictateur et le champignon, de ramollir quelques voitures à l’aide du Métomol, un gaz inventé par le comte de Champignac, ni de réduire en une compression digne du sculpteur César la Ford Mustang de Monsieur De Mesmaeker dans un gag de Gaston Lagaffe… Une passion qui le quittera cependant dans les années 70, et qui le verra exalter la lenteur de la Fiat 500 brinquebalante de Gaston plutôt que les performances de la Turbotraction.

A la suite de Franquin, Jidéhem, son assistant, illustre la rubrique automobile de l’hebdomadaire Spirou. Le chroniqueur fictif, Starter, est un mécanicien sympathique. Celui-ci vivra ses propres aventures avant de se contenter d’être l’un des personnages de la série Sophie, dans laquelle une voiture nommée Zoé fait preuve de sentiments « tels que la colère, la tristesse, l’espièglerie, la gourmandise », comme l’explique l’album L’OEuf de Karamazout.

Lagaffe mérite des baffes, de Franquin.
Lagaffe mérite des baffes, de Franquin. Dupuis

Vroum ! Vroaaar !

En 1952, dans Spirou et les héritiers, Franquin imagine une compétition automobile, le Grand Prix de Cocochamps, en forme de clin d’œil au circuit de Spa-Francorchamps. Cinq ans plus tard, Jean Graton, d’origine nantaise et belge d’adoption, donne naissance à un certain Michel Vaillant dans les pages de l’hebdomadaire Tintin. Ce jeune pilote de course apparaît dans Bon sang ne peut mentir, un récit de quatre pages.

L’année suivante, il se lance dans Le Grand Défi, titre de sa première histoire longue, et affronte un Américain nommé Steve Warson. Jean Graton ne se doute pas qu’il s’embarque pour une saga au long cours, riche de quelque 70 albums. Il imagine des voitures, les « Vaillante », qui suscitent l’admiration des designers professionnels. Le lecteur ne fait pas que les voir : il a l’impression de les entendre grâce aux onomatopées qui font office de bande-son, de « vroum » à « vroaaar ».

Des camions aux motos, en passant par les hors-bord et même… un module lunaire, Jean Graton met en scène tout ce qui roule. L’univers des compétitions automobiles entraînera dans ses courses folles d’autres personnages, de Tif et Tondu (Plein gaz) à Jean Valhardi (Le Grand Rush) et au pilote Alain Chevallier, créé par André-Paul Duchâteau, le scénariste de Ric Hochet, et Christian Denayer. Deux auteurs qui prendront un malin plaisir à réduire en bouillie quantité de bagnoles dans leur série Les Casseurs, dont les héros sont deux flics américains auxquels il est déconseillé de prêter sa voiture.

Benoît Brisefer. Les Taxis rouges, de Peyo.
Benoît Brisefer. Les Taxis rouges, de Peyo. Dupuis

Cauchemar sur le bitume

Mais si l’univers automobile fait rêver certains scénaristes et dessinateurs, il en inquiète d’autres. Dans Les Mange-Bitume, une succession de courts récits publiés dans l’hebdomadaire Pilote à partir de 1972, Jacques Lob et José Bielsa imaginent une civilisation dans laquelle « on roule à longueur de vie sur de vastes autoroutes qui n’aboutissent à aucun lieu ». La population vit en vase clos dans des sortes de camping-cars tout confort. La conduite est automatique, les accidents de la route ont été éradiqués. Les humains, surveillés par les Aérocars de la police, s’approvisionnent sans sortir de leur véhicule. Transformés en « nomades sédentaires », leur seule distraction consiste à regarder des programmes annonçant la télé-réalité.

Un album stimulant et effrayant, qui mériterait d’être réédité pour sa dimension visionnaire. Qu’on se rassure, cet enfer annoncé n’est pas pour demain. La voiture individuelle a encore de beaux jours devant elle, de même que les bandes dessinées qui lui sont dédiées, comme en témoignent les collections lancées par les éditeurs Glénat (« Plein gaz », mêlant récit historico-sportif et fiction) et Paquet (« Calandre »). L’automobile n’a pas fini de faire fantasmer auteurs, lecteurs et constructeurs. Les mange-bitume attendront…

Pour rouler plus loin…

Le Garage de Franquin (photo), Xavier Chimits et Pedro Inigo Yanez, éd. Marsu Productions, 2007.

Plein gaz, Josette Sicsic, éd. Blitz, 1984.
Sport & BD, collectif, éd. L’Equipe/Musée olympique de Lausanne, 2001.
• Tintin, Hergé et les autos, collectif, éd. Moulinsart, 2004.
Le Garage de Franquin (photo), Xavier Chimits et Pedro Inigo Yanez, éd. Marsu Productions, 2007.
• Jean Graton et Michel Vaillant – l’Aventure automobile, Xavier Chimits et Philippe Graton, éd. Hors Collection, 2015.


Voir plus d’articles sur le sujet
Continuer la lecture