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Montres de collection, la déferlante - Good Boom
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The Good Business

Montres de collection, la déferlante

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Elles battent des records de prix aux enchères. Ces tocantes vintage aux prix stratosphériques masquent à peine l’explosion du marché de la montre de collection. Acheteurs et vendeurs sont de plus en plus nombreux à se pencher sur les garde-temps d’antan. Et vous ?

Je suis convié à un dîner parisien assez hype, organisé dans un grand loft du 18e arrondissement. L’occasion idéale de faire un peu d’anthropologie horlogère. Sur place, une dizaine de bobos branchés, travaillant dans la mode, le design ou la presse, discutent mollement sur une bande-son mêlant Julien Doré, Kungs ou CamelPhat. Les invités se nomment Anatole, Mireille, Hortense ou Anselme. Ils s’habillent chez Agnès b, AMI ou Balibaris, trouvent Yann Barthès trop cool et adorent Nicolas Demorand. Ah, j’oubliais… Ils sont tous allés voir la dernière expo de Sophie Calle. Bref, me voilà au milieu d’une brochette de trentenaires parisiens bien de leur époque. Une fois à table, je ne suis pas déçu : la majorité des poignets des invités se parent de montres vintage. Je questionne mon voisin, un barbu à la peau pâle, le cheveu en bataille et le sourire parcimonieux. « Je peux te demander ce que tu portes au poignet ?C’est une Rolex Oyster vintage que j’ai achetée dans une boutique spécialisée, m’explique Harry, un Anglais à col roulé et grosses lunettes sur le nez. Mais j’ai aussi une Zenith des années 60, qui appartenait à mon grand-père. »

Sur ma lancée, j’entreprends mon voisin de gauche, Léopold. « Et toi, que portes-tu ?C’est une Omega Speedmaster qui date des années 60. Mon père l’a achetée à l’époque et me l’a donnée. » Son copain s’immisce dans la conversation. Il se nomme Evgueny et arrive directement de Clermont-Ferrand. Il m’explique qu’il a craqué pour une Cartier Tank Basculante de 2002, en passant devant la vitrine d’une boutique parisienne. « Je cherchais depuis longtemps une Tank sur Internet, car je trouve cette montre “trop graphique”. Elle est inspirée d’un char de la Première Guerre mondiale, à la carapace toute carrée », précise le sympathique Auvergnat.

Les Panerai Luminor des années 50 sont recherchées parce qu’elles étaient fabriquées à quelques dizaines d’unités par an.
Les Panerai Luminor des années 50 sont recherchées parce qu’elles étaient fabriquées à quelques dizaines d’unités par an. DR

Ces explications montrent la passion qui anime ce propriétaire qui s’est penché sur l’histoire de sa montre. En fait, c’est une véritable vague vintage qui submerge notre société depuis une quinzaine d’années. Elle a notamment envahi la déco – le style fifties transforme nos intérieurs façon appartement témoin d’Auguste Perret ou de Charlotte Perriand. L’automobile est concernée également, avec le phénomène youngtimer qui pousse les jeunes à rouler en Saab 900, en Audi A2 tout alu ancien modèle, en Porsche 911 de 20 ans ou en break Mini Countryman Woody entièrement refait. Le milieu de la moto a aussi été largement touché : le courant custom de ces dernières années a métamorphosé de jeunes cadres BCBG en inquiétants bikers à tatouages portant cuir râpé et bottes élimées. Le monde de la mode n’y a pas échappé : les hipsters (déjà sur le retour ?) s’accoutrent façon dandy. On les croirait tout droit sortis d’un roman de Balzac.

La montre ancienne fait partie de cette vague vintage. On peut même considérer qu’elle en est l’un des courants précurseurs. « Les premières ébauches de marché de la montre de collection se dessinent à la fin des années 80, déclare Geoffroy Ader, expert consultant horloger auprès de la maison Artcurial. Le Milanais Osvaldo Patrizzi joue un grand rôle dans l’éclosion et la structuration de ce secteur. Il est l’un des pionniers des ventes aux enchères de montres anciennes. » Adolescent, cet Italien se passionne déjà pour les pendules de collection qu’il répare en autodidacte. Constatant un attrait du public transalpin pour ces objets, il ouvre ses deux premières boutiques dès le début des années 70, puis s’installe en tant que commissaire-priseur en Suisse. Sur place, il fonde la maison spécialisée Antiquorum et organise sa première vente en 1974. L’étonnant rendez-vous reste ancré dans les mémoires.

En 1989, la vente « l’Art de Patek Philippe » est un tournant pour le secteur en se soldant par des prix jamais vus jusque-là. Depuis, les records tombent, à l’image des 24 m $ atteints en 2014 par la Patek Philippe Supercomplication Henry Graves.
En 1989, la vente « l’Art de Patek Philippe » est un tournant pour le secteur en se soldant par des prix jamais vus jusque-là. Depuis, les records tombent, à l’image des 24 m $ atteints en 2014 par la Patek Philippe Supercomplication Henry Graves. Sidney Guillemin pour Artcurial

Osvaldo, qui ne parle que des bribes de français, le mène à grand-peine. Il est flanqué d’un improbable expert égyptien à la timidité pathologique qui reste aussi muet qu’un moine trappiste tout au long de la réunion. Quant au public genevois, il hésite entre hilarité et consternation. Pourtant, contre toute attente, les 200 lots proposés, pendules ou montres de gousset, sont tous vendus et rapportent 2 millions de francs suisses. Toujours visionnaire, Osvaldo organise, cinq ans plus tard, la première vente de montres- bracelets du monde. La mécanique est lancée. Dès lors, les prix ne cessent de progresser et les records de tomber.

Les 7 points qui défi nissent une belle montre de collection

Un cadran émouvant. C’est cet élément, surnommé le visage de la montre, qui donne l’attrait. Il doit revêtir une jolie patine.
Des aiguilles d’origine. Elles peuvent être subtilement usées mais pas trop.
Un boîtier sans trop de rayures. Mais le pire reste un polissage trop brutal… qui se voit.
Un mécanisme qui fonctionne parfaitement. Il est recommandé de le faire réviser, voire restaurer.
Un bon état de conservation. Une montre trop restaurée perd de sa valeur. « Les collectionneurs recherchent l’authenticité, rappelle Geoffroy Ader, expert horloger chez Artcurial. Une montre “dans son jus” est préférée à un exemplaire surrestauré… »
Un entretien suivi et régulier. Les acheteurs apprécient de voir les factures des opérations de SAV.
Une boîte d’origine. Les amateurs aiment que la montre soit présentée dans sa boîte d’origine, c’est la règle.

A cette époque, Patek Philippe domine sans partage le haut de ce marché. En 1981, pour la première fois, un garde-temps de cette manufacture dépasse les 100 000 francs suisses. La vente « L’Art de Patek Philippe », en 1989, constitue un tournant pour le secteur. Destinée à rendre hommage aux 150 ans de la prestigieuse manufacture, elle ne regroupe que des montres-bracelets et des montres de gousset fabriquées à Plan-les-Ouates. Elle se solde par des prix jamais vus jusque-là. En 1996, une Calatrava en platine des années 30, modèle mythique de la marque, décroche, à 2,5 millions de francs suisses, l’enchère la plus élevée au monde.

En 1989, la vente « l’Art de Patek Philippe » est un tournant pour le secteur en se soldant par des prix jamais vus jusque-là. Depuis, les records tombent, à l’image des 24 m $ atteints en 2014 par la Patek Philippe Supercomplication Henry Graves.
En 1989, la vente « l’Art de Patek Philippe » est un tournant pour le secteur en se soldant par des prix jamais vus jusque-là. Depuis, les records tombent, à l’image des 24 m $ atteints en 2014 par la Patek Philippe Supercomplication Henry Graves. DR

Trois ans plus tard, c’est la Supercomplication Henry Graves, exemplaire unique, qui s’empare de ce titre. Conçue pour le banquier new-yorkais Henry Graves, cette montre de gousset fut longtemps la plus compliquée du monde. Elle s’échange contre 11 millions de dollars ! Quinze ans plus tard, la même montre atteint cette fois 24 millions de dollars. Pourtant, la manufacture genevoise n’est pas la seule à voir ses prix s’envoler. Rolex connaît aussi un engouement sans précédent. Le Cosmograph Daytona, modèle sportif conçu pour les pilotes de course automobile, enregistre les plus hauts résultats maison. Il détient même, depuis octobre dernier, le record de la montre-bracelet la plus chère de l’histoire. Un exemplaire s’est en effet échangé à New York contre 15 millions d’euros : la montre personnelle de l’acteur-pilote Paul Newman. Dans ce cas précis, la provenance historique de ce modèle peut expliquer en partie son prix himalayesque. Le précédent record pour une montre-bracelet était détenu par… une Patek Philippe, adjugée en 2017 à 9,5 millions d’euros.

La Rolex Cosmograph Daytona de Paul Newman, adjugée 15 M€ en 2017, est la montre-bracelet la plus chère de l’histoire.
La Rolex Cosmograph Daytona de Paul Newman, adjugée 15 M€ en 2017, est la montre-bracelet la plus chère de l’histoire. DR

Un prix moyen autour de 3 000 euros pour les montres de collection

« En gros, Rolex et Patek s’octroient 70 % des résultats les plus spectaculaires », annonce Geoffroy Ader. Si ces deux marques stars trustent une partie des records, d’autres grands noms de l’horlogerie s’envolent actuellement… juste un peu moins haut. On a vu récemment des Panerai anciennes dépasser les 300 000 euros. Ainsi, en 2014, une Luminor de 1955 a atteint 348 000 euros. Ces montres sont recherchées parce qu’elles ont longtemps présenté la particularité d’être fabriquées à quelques dizaines d’unités. Destinées exclusivement aux nageurs militaires italiens, elles puisent une partie de leur légende de cette fonction mystérieuse.

En mai 2016, une Heuer Carrera de 1972 (avant l’alliance avec TAG, donc) en or dépasse les 200 000 euros sous le marteau de Sotheby’s. Elle a appartenu au pilote suédois de Formule 1 Ronnie Peterson. Il s’agit d’un record pour un modèle de cette marque sportive. Enfin, on a vu certaines montres de gousset Breguet très anciennes dépasser allègrement le million d’euros. Ainsi, une montre de poche en or de 1817 ayant appartenu à Charles-Louis Havas a changé de propriétaire en 2016 pour 3,2 millions d’euros. Il est difficile d’expliquer l’explosion des prix de certains garde-temps anciens.

Les montres femme décollent

C’est un signe : la maison Artcurial a organisé « Le temps est féminin », sa première vente réservée aux montres pour femme. Ce rendez-vous horloger s’est déroulé en janvier 2018 à Monaco. Une centaine de lots était proposée. Sur ce marché naissant, les cartes sont rebattues. Rolex y est peu représentée et les pièces de Patek Philippe se vendent à des tarifs beaucoup moins élevés que sur le marché de la montre pour homme. Les pièces qui dominent proviennent de chez Cartier ou Piaget. « Les montres de la maison de La Côte-aux-Fées sont appelées à voir leur cote progresser dans les années à venir », pronostique Geoffroy Ader, expert horloger auprès de la maison Artcurial. Il semble donc qu’il y ait des affaires à faire. Avis aux petits malins…

Geoffroy Ader donne son explication : « Un virage a été pris autour de 2000. A cette date, les montres anciennes passent un cap. Elles sont reconnues comme une composante à part entière du marché de l’art. » Jean Lassaussois, fondateur de l’enseigne Les Montres et de la boutique Les Montres Collector à Paris, rappelle que « ces records ne doivent pas faire oublier que le gros du marché se concentre autour de pièces beaucoup plus abordables ». Aujourd’hui, le prix moyen d’une montre de collection tourne autour de 3 000 euros. En fait, le grand public s’empare des montres anciennes au cours des années 2000.

Cette Heuer Carrera de 1972 en or, propriété du pilote de Formule 1 Ronnie Peterson, a dépassé les 200 000 € en 2016.
Cette Heuer Carrera de 1972 en or, propriété du pilote de Formule 1 Ronnie Peterson, a dépassé les 200 000 € en 2016. DR

Précurseur, Eric Hamdi, le fondateur de la boutique MMC à Paris, ouvre en 1994. A l’époque, il est l’un des premiers à Paris. « Il régnait sur le secteur un esprit brocante. Les montres de collection étaient considérées comme des antiquités », se souvient-il. Puis, petit à petit, le domaine se structure. Le business a bien progressé depuis. Les gens cherchent à s’affranchir avec subtilité d’un certain conformisme ambiant. Porter une montre ancienne permet de se sentir unique. « Les gens cherchent des pièces peu courantes, que leur ami, même très riche, n’aura pas. Les montres de collection remplissent parfaitement ce rôle. Il est en effet rare d’en croiser deux identiques. Avec le temps, leur patine les transforme en exemplaire unique », confirme Jean Lassaussois. La flambée des prix de vente des modèles suisses actuels peut aussi expliquer, en partie, le phénomène. Les tarifs des montres de collection restent globalement plus raisonnables. « Un très beau garde-temps ancien s’échange entre 1 500 et 5 000 euros », précise l’horloger parisien. Voilà un tarif qui se situe à la portée de beaucoup de bourses.

Les marques à suivre

Tous les spécialistes s’accordent pour dire que les Rolex se vendent très très bien. Et si le Cosmograph Daytona focalise l’attention, les GMT et Explorer ont aussi un beau potentiel. Ces montres sont très bien construites, solides et superfiables. Mais leurs prix sont déjà élevés. Il est trop tard pour réaliser de bonnes affaires sur ce type de pièces. Les Jaeger-LeCoultre Reverso sont bien meilleur marché. Les modèles des années 80, notamment, s’échangent autour de 5 000 euros. Et les amateurs commencent à s’intéresser aux autres modèles maison comme la Master ou la Squarda qui se négocient entre 1 500 et 2 500 euros.

Cette Omega Speedmaster de 1958 a récemment été adjugée à plus de 275 000 $.
Cette Omega Speedmaster de 1958 a récemment été adjugée à plus de 275 000 $. DR

Geoffroy Ader croit beaucoup au potentiel des produits Audemars Piguet. « La demande sur cette manufacture progresse rapidement et constamment », constate le spécialiste. Enfin, il n’hésite pas à parier sur l’horlogerie indépendante avec, selon lui, F.P. Journe en chef de file. « Ses très beaux garde-temps vont certainement voir leur prix monter un jour », prophétise l’expert. « On peut investir sur les Omega qui restent sous- cotées, assure pour sa part Jean Lassaussois. La Speedmaster, vedette maison, devrait décoller, ainsi que la Constellation des années 70. Ces belles pièces disposent de très bons mécanismes. » Ce spécialiste met aussi en avant la marque Longines, dont les modèles sont encore abordables. Ils se retrouvent souvent proposés autour de 2 000 euros.

Enfin, la Monaco de Heuer et ses éditions limitées (Gulf) a également de beaux jours devant elle. Quoi qu’il en soit, il est bon de savoir que l’état d’une montre influe directement sur son tarif. « Bien conservée, accompagnée de sa boîte, de sa garantie et de sa notice, elle voit son prix bondir de 15 % », déclare Jean Lassaussois. Prenez donc soin de vos montres !

Où trouver sa montre de collection ?

« Aujourd’hui Internet est incontournable. Ce média concentre le gros du marché, affirme Geoffroy Ader, expert horloger chez Artcurial. Mais ce support présente quelques dangers. Il est difficile d’y faire une expertise efficace et les montres fausses ou en mauvais état de fonctionnement y pullulent », prévient le spécialiste. C’est pour sécuriser ses clients que certains sites, comme Collector Square, proposent une assurance achat. Sur le web, l’une des plates-formes les plus importantes dédiées à l’horlogerie s’appelle Chrono24. Elle regroupe en permanence plus de 320 000 montres à vendre. Un garde-temps reste un objet émouvant. Il faut le voir, le toucher, le ressentir. C’est pourquoi les boutiques physiques ont toujours un rôle à jouer et font de la résistance. Citons-en trois à Paris : MMC, notre préférée, dans le quartier des Champs-Elysées, Romain Réa, dans le 7e arrondissement, et Antoine de Macedo, vers Saint-Sulpice. Enfin restent les ventes aux enchères spécialisées. Artcurial a développé sa propre branche horlogerie voilà une poignée d’années. Mais, en la matière, Paris se situe désormais très loin de Genève, première place mondiale du secteur. Suivent Londres et New York, au coude-à-coude. Alors, à vous de jouer !


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