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Démodée ou désincarnée, la mode a-t-elle un futur ?

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On la dit obsolète, polluante, fatiguée de courir après les saisons, peu ou mal connectée… Une réflexion s’engage sur l’avenir de la mode et transforme le roman d’anticipation en réalité : smart textiles, robots stylistes, réalité augmentée, créativité numérique, sincérité et transparence du message…

Boussole affolée, la mode se pose mille questions concernant sa survie à l’horizon 2038. Sujet ultrasensible : son accélération, perceptible dans la nuée de collections capsules qui découpent les saisons. Censées susciter le désir, elles conduisent en réalité à la saturation et à la banalisation du vêtement. Dans ces conditions, le « it » du jour ne marquera jamais une année. Et puis, qui a les moyens et une armoire assez grande pour suivre ce rythme de dingue ?

Dans son manifeste polémique « Anti-Fashion », paru en 2015, l’une des grandes consultantes de la mode, Li Edelkoort, pointait les dégâts de cette frénésie parmi les créateurs. Comment créer sereinement lorsqu’on est contraint à six collections par an (parfois masculines et féminines), qu’on est sursollicité et qu’on doit batailler contre la frilosité commerciale ? Au four et au moulin de marques internationales où ils ne font que passer, ces créateurs courent, en plus, après leur vol Tokyo – New York – Shanghai – Dubaï. On sait que J. W. Anderson connaît son planning un an à l’avance. Alber Elbaz (@alberelbaz8), lui, a quitté Lanvin, « soulagé d’avoir enfin plus de temps ». Christophe Decarnin est sorti de la maison Balmain sur un burn-out, et ne parlons pas de John Galliano, crashé en plein vol après avoir multiplié par quatre le chiffre d’affaires de Dior.

Dans son manifeste « Anti-Fashion », le gourou Li Edelkoort expliquait dès 2015 comment la mode participait à sa destruction.
Dans son manifeste « Anti-Fashion », le gourou Li Edelkoort expliquait dès 2015 comment la mode participait à sa destruction. DR

Pour se protéger, la jeune génération casse le rythme. Chef de file du changement, Demna Gvasalia est le fondateur du collectif Vetements, qui a fui Paris pour la Suisse, plus calme, d’où il dévoile le teasing de ses défilés sur Instagram (@vetements_official). Rompant avec le calendrier officiel, Vetements ne produit que deux collections par an (homme et femme confondues). On notera que la Suisse et la rébellion n’ont pas empêché Balenciaga de le nommer directeur artistique, ni lui d’accepter la mission !

Mode et recherche de transparence

Le consommateur se transforme également. Adeptes de BlaBlaCar, les Millennials s’offrent un vestiaire en copropriété, le louent sur Dresswing ou le revendent sur Vestiaire Collective. Une tendance qui profite au florissant marché de la seconde main ! Pour ces clients, les marques en ligne conçoivent des séries ultralimitées et essentielles.

Un mouvement qui a, bien sûr, un effet sur toute la chaîne de production, obligée de s’adapter. « Les jeunes designers-entrepreneurs vendent leur sincérité et non un discours de marque. Lié à une personne, le label s’adresse directement à une communauté, comme Simon Porte Jacquemus, qui partage sa vie personnelle à travers ses propositions. Dans leur vision, le digital est au cœur de tout. Ils ont moins besoin de marges en s’affranchissant des intermédiaires : communication, magasins, acheteurs professionnels. Ils maîtrisent parfaitement la création tout en comprenant le langage de l’entreprise. Enfin, ces marques savent se faire repérer sur les réseaux sociaux. Les créatifs géniaux déconnectés de tout cela, c’est du passé », analyse Patricia Romatet, directrice d’études à l’Institut français de la mode (IFM). Que ce soit sur les conditions de travail dans les ateliers au bout du monde ou sur l’impact négatif du textile sur l’environnement, on recherche de la transparence.

Gilles Lasbordes organise le salon Première Vision, qui présente les futures tendances en matière de mode et de textiles.
Gilles Lasbordes organise le salon Première Vision, qui présente les futures tendances en matière de mode et de textiles. DR

De même qu’on apprécierait une explication sur les prix exagérément bas ou trop hauts, comme pour ce tee-shirt à 5 € ici et à 100 € sous une étiquette chic. Ainsi que le souligne Patricia Romatet, « un achat sur deux est un produit soldé ». Pour Gilles Lasbordes, directeur général du salon Première Vision, « le luxe aussi a ses challenges. Un sac à 2 000 € doit être porteur de valeurs sociales. Le consommateur exige un article qui sorte d’un bassin de savoir-faire. En France, on doit reconstruire ces clusters à grande échelle. »

Première Vision : « Ceci n’est plus de la science-fiction »

En prévision des ruptures technologiques, et devant la fragmentation de l’offre, le salon Première Vision a créé sa marketplace afin de mettre en contact entreprises, fabricants et start-up innovantes. « Ce n’est pas de la science-fiction ! Nous entrons dans l’ère des smart textiles et du wearable », annonce Pascaline Wilhelm, directrice mode du salon. Tout en présentant les tendances et la création actuelle, Première Vision s’intéresse aux tissus biologiques, éthiques, recyclables et à bilan négatif. Suite complémentaire des puces qui équipent déjà nos chaussures, sacs ou valises, ou de cette veste créée par Levis en partenariat avec Google. « Il faut maintenant que l’industrie sache produire les bactéries pour fabriquer des surfaces textiles. Que l’on puisse laver ces vêtements bourrés de capteurs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Enfin, l’humain doit s’adapter à ces innovations rapides. Nous passons notre vie à toucher des écrans, cela change nos sensations. De plus, 99 % des images sont ultralumineuses. Notre œil se formate et les coloris de nos vêtements, ou de notre décor, vont donc, eux aussi, évoluer. »

Boutiques traditionnelles en danger

« La notion de propriété en transformation totale a évidemment impacté le rapport à la boutique », constate Gilles Lasbordes. Clients et labels online se croisent donc dans des pop-up stores nomades, tandis que la pression du shopping sur le Net (+ 30 % prévus en 2020) met en danger les boutiques traditionnelles, dont la disparition s’accentue (+ 20 % aujourd’hui). Raisons du désamour : services pas adaptés au consommateur, décors figés, absence de parti pris, de style, soldes et promos non-stop…

En revanche, les marketplaces raflent la mise. Asos (+ 26 % en 2016) ou Farfetch (+ 50 % en deux ans) réunissent des centaines de marques sexy autour de séries créatives, fortes en image. « L’évolution du digital a créé de nouveaux réflexes de consommation et, surtout, l’a déplacée. Elle a aussi accru le niveau d’exigence, et la mondialisation a complexifié le business : on ne vend plus le même produit à la fois en Asie et dans l’est ou l’ouest des Etats-Unis. De même, toutes les équipes réfléchissent aux équilibres entre création et marketing. Si ce dernier est trop puissant, il visse tout et ennuie », assure la directrice d’études de l’IFM.

Big Brother is dressing you

Née en 2014, la start-up AskAnna, fondée par Tudor Gheorghiu, a rejoint l’incubateur Look Forward by Showroomprive (dix bébés start-up y sont accompagnés durant un an). « Nous avons conceptualisé des cabines d’essayage équipées de tablettes intégrées, reliées à une plate-forme de conseils en style. La cliente se prend d’abord en photo et donne sa taille. Un styliste diplômé lui donne un avis, un choix de produits adaptés et d’accessoires complémentaires. Si la plate-forme est commune à plusieurs marques, les équipes sont en revanche consacrées à une seule. Les boutiques n’ont plus les moyens de payer des vendeurs et offrent moins ’accompagnement. Nous venons redonner un avis sur l’achat », assure Tudor Gheorghiu. Quarante magasins Gémo, Sud-Express et Celio utilisent déjà ce système et constatent une augmentation de 20 % de leurs ventes. « Cette relation client permet de tout savoir par calcul statistique, explique Tudor Gheorghiu. Age, combinaisons de produits avec leur typologie, milieu socioculturel, morphologie, panier d’achat ou ordre des essayages des clients. »

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