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Giuseppe Penone dans son studio.
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Culture

Arte Povera : Giuseppe Penone sème le vent

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Il a fêté ses 70 ans cette année. Malgré ses airs de berger du Piémont, l’homme n’a jamais été aussi conquérant. Ses arbres de bronze, ses forêts de lauriers et ses outres de terre cuite se propagent dans le monde comme floraison au printemps. Rencontre dans son atelier, à Turin.

Giuseppe Penone, échanges d’énergies et échanges de règnes 

Giuseppe Penone se joue des éléments et des matériaux. Il transmute le bois en bronze, le cuir en écorce, le marbre en épiderme. Il incise la veine de la pierre, donne souffle à la terre cuite, se couche dans le lit d’un ruisseau, présente une lecture organique et tactile du monde. Juché sur une nacelle dans les arbres, il frotte les feuilles pour obtenir des empreintes sur une toile posée à même le tronc. Prenant une boule de terre, il la modèle pour y laisser sa trace et ne faire qu’un avec elle. Il invente aussi des salles tapissées de feuilles de lauriers ou de thé qui fonctionnent comme des cocons chargés de senteurs. A travers l’exploration du toucher, mais aussi de l’odorat, il prodigue une pleine sensation de l’art.

« Comprendre ou créer une forme, c’est d’abord la toucher. Avec le regard, on peut se tromper. Si une chose brille, rien ne vous dit qu’elle brille vraiment, ou si c’est l’effet luisant de la pluie. Avec le toucher, on corrige les fausses interprétations de la vue », déclare-t-il tout en faisant voltiger ses mains devant un étrange tableau accroché au mur. Il s’agit en réalité d’une empreinte de lèvres qu’il a agrandie et reportée sur toile. « Pour évoquer la sensibilité des lèvres et les terminaisons nerveuses qu’elles contiennent, j’ai recouvert le dessin d’épines d’acacia. » L’œuvre appelle le contact tout autant qu’elle le rejette. Plus loin dans la pièce, deux arbres de marbre saignent sous l’assaut du bronze qui se patine.

Avec sa chevelure drue et ses épaules robustes, Giuseppe Penone est comme ses sculptures : il vieillit bien et se bonifie avec le temps.
Avec sa chevelure drue et ses épaules robustes, Giuseppe Penone est comme ses sculptures : il vieillit bien et se bonifie avec le temps. Germana Lavagna

Dans un recueil de textes qu’il a publié en 1999, on peut lire: « Je sens la respiration de la forêt, j’entends la croissance lente et inexorable du bois, je modèle ma respiration sur la respiration du végétal. » Ces mots rappellent ceux de Malcolm Lowry: « Je ne suis pas moi, mais le vent qui souffle à travers moi. » Giuseppe Penone reçoit ses hôtes longuement, n’est pas avare de son temps, lui qui travaille seul en tolérant tout juste l’aide d’un assistant quand la tâche est trop rude. « Je produis plus maintenant que lorsque j’étais jeune, car je dispose de davantage de moyens. Les sculptures sont chères à produire et je finance toutes mes œuvres. C’est une question de principe. Quand vous recourez à votre propre argent, vous y réfléchissez à deux fois avant de réaliser une sculpture. Une fois qu’elle est faite, vous avez la liberté de la garder ou de la détruire. »

L’atelier de Giuseppe Penone, à Turin.
L’atelier de Giuseppe Penone, à Turin. Germana Lavagna

Représenté par deux des plus grandes enseignes du monde – Gagosian et Marian Goodman –, Giuseppe Penone s’offre même le luxe de conserver aussi sa galerie historique, Tucci Russo, implantée à Torre Pellice, une petite ville située au sud-ouest de Turin. De même qu’il associe le vivant et l’inanimé, le souffle et la pétrification, il ne craint pas d’apparier le global et le local, se riant d’autant plus des hiérarchies qu’il ne doute pas de sa postérité : « Il est important que mes sculptures s’inscrivent dans le temps, c’est pourquoi je choisis de préférence des matériaux stables et pérennes comme le bronze, le granit, l’Inox ou le marbre. Une œuvre doit pouvoir durer, car il faut parfois une ou deux générations pour qu’elle soit comprise. »

Partout où il expose ses sculptures, il se montre d’une exigence maniaque : « Que ce soit dans une galerie, un musée ou un jardin, il est important d’installer une sculpture comme si elle était là depuis toujours. Il faut toujours donner le sentiment que l’œuvre a créé des racines dans le lieu. » Attaché aux rythmes des hommes et des saisons, Giuseppe Penone est par excellence l’artiste sourcier et le génie ensemenceur. « Quand on plante un arbre, ce sont les générations futures qui en profitent… »

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