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Kutiman
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Kutiman : l’as du sampling entre dans les musées d’art contemporain

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Utilisant les matières musicales brutes trouvées sur YouTube qu’il assemble comme les pièces d’un puzzle, ce compositeur israélien impose son modèle de création collaborative à but non lucratif, jusque dans les musées.

Le manager « culture et tendances » du site de partages de vidéos YouTube, Kevin Alloca, n’en est toujours pas revenu. « Nous connaissions depuis plusieurs années l’existence des remix visuels. Mais ThruYou offre un angle totalement novateur. » Un compliment de taille venant d’un homme qui passe son temps à analyser les vidéos virales ! Signé Kutiman, un musicien israélien de 34 ans, le projet ThruYou mis en ligne voilà cinq ans, et sa suite ThruYou Too (2014), n’en finissent pas de bluffer les internautes. La raison : génie de la discipline du mashup – l’art de s’approprier et de détourner des vidéos existantes pour en faire une œuvre nouvelle, « Kuti » est devenu un phénomène. Tout commence en 2009, lorsque Ophir Kutiel, alias Kutiman, découvre la vidéo d’un batteur expliquant sa façon de jouer, en se baladant sur YouTube. L’idée lui vient alors de l’accompagner à la guitare, puis de trouver d’autres musiciens ou chanteurs sur la Toile et de les synchroniser. « A partir de là, je n’ai pas dormi ni mangé pendant deux mois et je me suis enfermé dans mon studio, rivé à mon ordinateur, raconte l’artiste en évoquant sa trouvaille. J’ai été fasciné par le fait que des musiciens amateurs puissent jouer ensemble sans le savoir. »

Endossant le rôle de chef d’orchestre 2.0, Kutiman va donc chercher les matières brutes musicales piochées sur le Net. En travaillant le son et l’image, en découpant, en collant, en redécoupant, il sublime les extraits vidéo en les assemblant comme les pièces d’un puzzle. Le résultat de ces rencontres musicales virtuelles débouche sur ThruYou : un ensemble composé à partir de séquences vidéo allant de la funk à la soul, en passant par le hip-hop, mettant bout à bout les compositions postées par des inconnus, tous crédités avec des liens vers les vidéos originales, et dont le succès sera… viral. En deux semaines, les créations de Kutiman vont totaliser 10 millions de visionnages ! A tel point que le magazine Time fait figurer l’idée parmi les 50 inventions de 2009. Depuis, Kutiman court de projet en projet. Le compositeur, deux albums et un label musical au compteur, a été invité, en 2010, à présenter son travail au musée Guggenheim de New York, et exposera à l’automne au musée d’Art de Tel-Aviv. Il a collaboré avec le quintette rock californien Maroon 5. Sans oublier la série Thru the City, déclinée à Jérusalem, à Cracovie, à Tokyo (nominée pour un Webby Award) et à Tel-Aviv.

Car si Kutiman n’est pas celui qui a donné naissance au remix visuel – l’un des fondateurs de la discipline se nomme Guillaume Delapierre, auteur du projet Giovanni Sample (2004), resté en mode one shot –, son art du collage audiovisuel demeure inégalé. Surtout, son modèle de création collaborative et à but non lucratif force le respect, des youtubers comme des experts. Après avoir visionné ThruYou, le juriste américain, spécialiste du droit numérique et icône geek, Lawrence Lessig, a encensé le projet perçu comme un nouveau média, pionnier et moins régulé. « Si vous débarquez sur le Net en pensant que le vieux système de copyright va fonctionner sans peine, vous allez devoir vous appuyer sur de nouvelles idées. » De fait, Kutiman, qui a décliné de nombreuses offres émanant de l’industrie musicale pour transformer ThruYou en projet commercial, se fait un point d’honneur à rappeler qu’il ne cherche pas à tirer profit de ce concept. Son album ThruYou a été distribué gratuitement, et, à ce jour, les musiciens amateurs sont toujours ravis de se retrouver dans une vidéo. Exit donc le problème des droits d’auteur. « Je fais cela sur mon temps libre. C’est juste de l’art. Il y a tellement de talents et de créativité sur Internet », insiste Kutiman. Ce qui ne l’empêche pas de travailler sur commande pour de grands noms de la tech, à l’image de Fiverr – la plate-forme de mise en relation des free lances, pour laquelle il a créé Inner Galactic Lovers, composé de séquences musicales puisées sur le site de la start-up !

A priori, rien ne prédestinait Ophir Kutiel à devenir une vedette du Net. Né à Jérusalem, ce fils d’universitaires a grandi dans un village en bordure de la forêt du Carmel, « sans connexion internet » et dépourvu de disquaire. A 18 ans, il déménage à Tel-Aviv, complète sa formation à l’école Rimon de jazz et de musique contemporaine et découvre les groupes Parliament Funkadelic, Fela Kuti ou King Crimson. La suite est connue. Mais d’évidence, celui dont le CV évolue au jour le jour, et qui a élu domicile au kibboutz Tseelim, en plein désert du Néguev, ne se repose pas sur ses lauriers. Témoin : le buzz créé par ThruYou Too, grâce auquel il a fait, voilà deux ans, son grand retour sur le web, avec une première vidéo intitulée Give It Up, vue par 1,2 million d’internautes en quatre jours. Cette aventure est même devenue le sujet d’un documentaire, Presenting Princess Shaw (2016), réalisé par Ido Haar, qui raconte l’histoire de Samantha Montgomery, une aide-soignante d’un quartier défavorisé de La Nouvelle-Orléans, chanteuse à ses heures perdues, et dont la vie bascule lorsque Kutiman découvre son Give it Up, interprété a capella sur YouTube… Une Cendrillon du Net et son prince charmant, en somme.

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