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Tai Barbin
Le mixologue Tai Barbin et son désormais célèbre nœud papillon.
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Voyage

Tai Barbin, mixologue tropical

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Tout, chez lui, détonne. Son look, ses drinks, sa manière de les présenter… En allant à contre‑courant des habitudes cariocas, Tai Barbin a introduit une mixologie des plus pointues dans une ville qui se contentait jusqu’alors de traditionnelles caïpirinhas. Rencontre au bar, forcément !

Avec son nœud papillon, ses vestes cintrées et sa barbe bien taillée, Tai Barbin détonne dans une ville où la tong Havaianas est la norme. A Rio, il est l’un des rares à proposer des cocktails tels qu’on pourrait en trouver à New York ou à Sydney. C’est d’ailleurs en Australie, à Brisbane, qu’il est allé en 2003, quittant, à 18 ans, São Paulo pour découvrir le monde… Lequel ressemblait au début à une plonge de restaurant. De cuisine en cuisine, il a fini par devenir cuisinier, puis barman. « J’aimais la cuisine, mais pas l’atmosphère des cuisines, confie-t-il. Les chefs sont souvent de mauvaise humeur, la plupart du temps enfermés et ne voyant jamais les clients. J’avais envie d’être en contact avec les gens. » Pourtant, s’installer au bar pour boire un cocktail tout en discutant avec le barman n’est pas vraiment dans les habitudes des Cariocas. Ceux-ci préfèrent ­s’asseoir à une table, si possible dehors, et le plus souvent avec une bière. Les faire entrer dans un hôtel pour leur servir un Old fashioned version cachaça tient un peu du tour de force. « Quand je suis arrivé ici, personne ne s’asseyait au bar, les clients attendaient tous une table, poursuit Tai Barbin. En général, ils n’avaient aucune considération pour ceux qui travaillent derrière le comptoir et ne leur parlaient jamais. Mais les choses changent. Les barmen sont mieux payés et, surtout, mieux formés. Et aujourd’hui, tout le monde ici demande une place au bar. »
Le bar de l’hôtel Marina All Suites, pour lequel Tai Barbin est rentré au Brésil après un périple de douze ans entre l’Australie, l’Irlande et ­l’Angleterre, avait déjà connu son heure de gloire. En 2010, le Bar d’Hôtel – c’est son nom – était effectivement, à l’issue d’importants travaux de rénovation de l’hôtel, déjà célèbre et fréquenté. Puis il a été délaissé, jusqu’à ce que les nouveaux dirigeants de l’établissement fassent appel, en mai 2015, à Tai Barbin pour bâtir une carte de cocktails digne de ce nom. Il ne lui aura fallu que quelques mois pour se classer parmi les meilleurs mixologues de la ville. Les magazines s’intéressent à ses recettes, qui sont régulièrement publiées, tandis que lui prend la pose avec ses nœuds papillon et qu’il est sur le point de lancer sa propre collection, évidemment nommée Bow Tai (pour bow tie – « nœud papillon », en anglais).

Au bar d’hôtel, le bar à cocktails du Marina All Suites, Tai Barbin prépare des drinks uniques pour des clients curieux.
Au bar d’hôtel, le bar à cocktails du Marina All Suites, Tai Barbin prépare des drinks uniques pour des clients curieux. Stevens Frémont

Cocktails bitter contre cocktails sucrés : un défi à relever
Ce succès médiatique aide à installer une culture du cocktail qui, contrairement à l’Europe et aux États-Unis, a un peu de mal à s’épanouir sous le soleil. « Ici, la culture, c’est la caïpirinha, la caïpiroska ; des boissons avec beaucoup de fruits et beaucoup de sucre. Les Cariocas veulent des rafraîchissements alcoolisés, mais dont le goût de l’alcool n’est pas trop prononcé. Et ils n’aiment pas du tout l’amertume, qui est pourtant une grande tendance dans le monde. L’autre problème est la disponibilité des produits. La distribution reste très limitée. Côté bitters, par exemple, il n’est pas évident de trouver autre chose que de l’angostura et de l’orange bitter. Je dois donc les faire moi-même. Je travaille étroitement avec la chef du bar, Lydia Gonzalez, qui utilise beaucoup de produits du Brésil. Et certains ont un goût unique qu’on ne trouve qu’ici : la fève tonka, le sucre rapadura, le tucupi [une sauce à base de manioc, NDLR], et, bien sûr, la cachaça, qui ne s’est que récemment distinguée du rhum. Son image était vraiment mauvaise, mais il y maintenant de bons produits artisanaux, dont certains vieillis en fûts de chêne. » Le défi est grand, mais, assurément, la clientèle locale revient. Et enfin, Tai Barbin peut faire ce qu’il aime le plus : entrer en interaction avec les gens, personnaliser leurs commandes, voire leur préparer des drinks uniques. « Je me sens parfois comme un thérapeute qui doit décoder le langage du corps et interpréter, par la façon dont vous marchez, les raisons pour lesquelles vous entrez dans le bar. Et agir en conséquence. »

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