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Thomaz Azulay et Patrick Doering
Thomaz Azulay et Patrick Doering, créateurs de la marque The Paradise.
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Industrie de la mode : Rio veut donner le ton

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En termes de production et de ventes, Rio reste encore loin derrière São Paulo, mais les marques et les nouveaux talents locaux se démènent pour gagner en crédibilité, s’affirmer sur la scène brésilienne et promouvoir le style carioca dans tout le pays. Et au-delà.

La mode brésilienne est-elle en train de ­retrouver un nouveau souffle à Rio de ­Janeiro ? Au premier regard, il est permis d’en douter. Tout d’abord, parce que l’industrie du textile et de la confection, en grande difficulté dans tout le Brésil, s’est essentiellement concentrée à São Paulo, premier pôle industriel du pays. Ensuite, parce que la scène carioca peine à s’imposer à l’échelle nationale. Dernier exemple en date, en apparence anecdotique mais finalement très révélateur : celui des marques choisies par le Comité olympique pour la production et la vente de produits dérivés à l’occasion des Jeux de Rio. Sur 45 contrats signés, seuls deux concernent des griffes originaires de la ville organisatrice. Les maillots de bain seront créés loin de la plage, à São Paulo, par une ancienne athlète de la sélection brésilienne de natation, Fabiola Molina. Un choix remis en cause par la styliste carioca Lenny Niemeyer, véritable star dans le domaine des maillots de bain de luxe, qui s’étonne de ne même pas avoir été contactée. De son côté, la Fédération des industries de Rio de Janeiro (Firjan) s’offusque et défend la capacité des marques et des sociétés liées à la mode locale à produire et à distribuer des pièces en grande quantité – une exigence du Comité olympique.
La disparition quelque peu confuse de la Fashion Week de Rio de Janeiro illustre encore mieux la perte de vitesse de la scène locale. Désertée dès la fin des années 2000 par des marques emblématiques de la ville, telles que Blue Man et Reserva, qui lui préfèrent déjà la capitale économique du Brésil, elle est dirigée depuis 2009 par Luminosidade, l’entreprise organisatrice de la Fashion Week de São Paulo. Balbutiant, l’événement carioca est ajourné plusieurs fois, puis réduit à un unique défilé d’été, avant d’être finalement annulé en 2015. Depuis, les discussions et les projets se succèdent sans réellement aboutir. Les stylistes des principales griffes, regroupés au sein d’un très discret forum entrepreneurial de la mode sous la coordination de l’incontournable Oskar Metsavaht, fondateur et directeur créatif d’Osklen, réfléchissent depuis à l’élaboration d’une nouvelle formule.

Oskar Metsavaht, fondateur et directeur créatif d’Osklen.
Oskar Metsavaht, fondateur et directeur créatif d’Osklen. Divulgação-Marcio Madeira

« Les dernières années de son existence, la Fashion Week de Rio de Janeiro faisait presque honte. Les sponsors avaient déserté l’événement, qui manquait dramatiquement de moyens et d’organisation. La rencontre a bien essayé de s’orienter vers le beachwear, mais ce n’était pas viable », se souvient Isabel Dezon, consultante brésilienne du bureau de conseil en tendances Peclers Paris. Pourtant, la concentration des grandes marques à São Paulo, couplée à la contraction du marché de la mode, pourrait bien avoir libéré un espace inédit pour les créateurs cariocas et, en particulier, pour les jeunes pousses qui ne se sentent plus obligées de penser en termes de saisons – une tendance qui fait d’ailleurs son chemin au niveau mondial. « On assiste à une vraie émancipation de Rio par rapport à São Paulo. Les nouvelles marques adoptent un modèle économique différent, davantage adapté à leurs capacités de production et de vente sur un marché plus limité, où les pièces originales, plus irrévérencieuses, sont valorisées », constate Isabel Dezon. Une évolution confirmée par Thomaz Azulay. Longtemps directeur créatif de la marque de plage Blue Man, fondée par son oncle et dirigée par sa cousine Sharon Azulay, il a décidé de lancer sa propre marque de vêtements en 2015, The Paradise. « La mode carioca entre dans une nouvelle phase, boostée par de jeunes créateurs qui ne respectent plus forcément les lancements commerciaux ni les rythmes de collections habituels », souligne-t-il. Avec son partenaire Patrick Doering, il travaille déjà sur une ­deuxième collection capsule et, comme beaucoup de ces jeunes professionnels, mise sur la vente en ligne et sur les boutiques multimarques. Un modèle commercial là aussi relativement nouveau à Rio, et qui se cherche encore.
Cette effervescence créative contraste avec le marasme ambiant qui touche les grandes marques cariocas, à l’image de Totem, ancrée dans le paysage de la ville pendant plus de vingt ans et qui a pourtant fermé la plupart de ses boutiques dans les centres commerciaux les plus cotés. D’autres griffes ont décidé d’unir leurs forces, à l’instar d’Animale et de Farm, rassemblées chez Soma, premier grand groupe de mode carioca et dont le chiffre d’affaires a atteint 120 millions d’euros en 2014. En plus de garantir leur propre survie, les marques cherchent à s’appuyer sur une base solide pour atteindre les marchés étrangers et coiffer São Paulo au poteau. Un objectif loin d’être infondé : selon les dernières données de la Firjan, datant de 2012, même si les exportations de vêtements de São Paulo dépassaient à l’époque celles de Rio de 8 millions d’euros, le kilogramme des vêtements féminins les plus exportés par l’industrie carioca – robes, chemisiers et jupes – valait 143 euros sur le marché international en 2012, contre 61 euros pour la garde-robe de São Paulo, centrée sur la lingerie et sur les tee-shirts. La récente décision prise par le dirigeant de Soma de ne pas faire participer la marque Animale à la Fashion Week de São Paulo en avril, lui opposant le principe du see now, buy now (voir et acheter sans attendre) et lui préférant un grand défilé à Rio en octobre, renforce l’idée d’une évolution de la scène carioca, plus mature et de plus en plus indépendante.

Le textile brésilien serre les dents

Le secteur du textile et de la confection n’a pas été épargné par la crise qui frappe l’économie brésilienne, bien au contraire : en 2015, alors que la production industrielle du pays s’est contractée de 8,2 %, la production textile s’est réduite de 14,2 % et la production de vêtements a chuté de 10 %. Cependant, les spécialistes voient dans l’affaiblissement de la monnaie brésilienne par rapport au dollar un potentiel vecteur de croissance future : si les ventes locales doivent chuter de 4 à 13 %, les marques brésiliennes ont dans un même temps diminué leurs importations, ce qui pourrait, à terme, venir booster la production locale, qui souffre depuis plusieurs années de l’arrivée en masse de la production chinoise. En 2015, les importations ont ainsi chuté de 17,4 %, passant de 7 Mds $ à 5,85 Mds. Cette année, le rapport de l’Association brésilienne de l’industrie du textile et de la confection (Abit) prévoit une augmentation des exportations de 1,5 %, contre une baisse encore plus grande des importations de 22,4 %. Selon l’ABIT, 200 000 tonnes de produits textiles qui avaient été importés en 2015 devraient être remplacées par des tissus nationaux. Une substitution qui concernerait au total 200 M de pièces.

3 questions à Fernando Pimentel

Directeur de l’Association brésilienne de l’industrie du textile et de la confection (ABIT).

Fernando Pimentel

The Good Life : Quels sont les atouts qui font de São Paulo le premier centre de l’industrie textile au Brésil ?
Fernando Pimentel : Il est beaucoup plus stratégique et compétitif de produire à São Paulo que dans le reste du Brésil : plus de 20 M d’habitants y vivent, et l’État concentre un tiers de la consommation nationale. La mégapole bénéficie aussi d’infrastructures plus modernes et plus efficaces. Même si l’industrie textile y a perdu du poids au profit d’autres régions brésiliennes, São Paulo reste en tête de la production et des ventes de vêtements.
TGL : Quelle est, aujourd’hui, l’influence de Rio sur l’industrie de la mode ?
F. P. : Rio reste un grand pôle de confection ; le secteur est toujours le deuxième générateur d’emplois de l’État. Mais, en termes de production de textile et de confection, Rio n’arrive qu’en sixième position derrière São Paulo et d’autres États brésiliens. Sa gestion désastreuse et la perte de son statut de capitale politique en 1960 ont aussi eu de graves conséquences sur le secteur industriel, entraînant une fuite des investissements et une réorganisation autour du secteur de l’énergie, devenu le principal pôle industriel de l’État. En revanche, Rio se différencie au niveau de la vie créative, bien plus forte qu’ailleurs. Son lifestyle est envié dans tout le pays ainsi qu’à l’étranger, et la mode carioca reflète cette manière de vivre, à la fois urbaine, cosmopolite et indolente.
TGL : Espérez-vous une reprise de la croissance du secteur ?
F. P. : Le marché reste prometteur, car l’industrie brésilienne est créative et les Brésiliens aiment consommer. Il y a 200 millions de personnes à habiller, ce qui devrait nous garantir un futur fantastique. Mais nous avons besoin d’un projet national sur le long terme. Sans investissements de l’État, notamment en matière de technologies et de formation, le secteur va continuer à souffrir.

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