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Ana Carolina Fernandes, des corps et des âmes
Ana Carolina Fernandes, des corps et des âmes.
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Ana Carolina Fernandes : Des corps et des âmes

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Pendant trois ans, Ana Carolina Fernandes a photographié des personnes transgenres vivant en communauté dans une maison du quartier de Lapa, cœur bohème et artistique de Rio de Janeiro. Elle y a été introduite par Luana Muniz, personnalité trans connue pour ses actions sociales et politiques. Dans cet essai documentaire, elle montre les chairs et les corps de ces personnes en quête d’identité, d’amour et d’acceptation. Ces corps hybrides constituent de véritables manifestes existentiels.

Bodies and Souls est son premier projet ­personnel. Jusqu’alors, elle était photo-­reporter pour de grands journaux de Rio de Janeiro et de São Paulo. C’est une rencontre qui a tout changé. L’idée, l’envie naissent il y a onze ans, lorsque Ana Carolina Fernandes croise Luana Muniz, une personnalité transgenre très connue dans la communauté de Lapa pour son influence et pour ses initiatives sociales. « Luana m’a invitée à aller voir un spectacle dans un club fréquenté par la communauté trans. J’y suis allée et j’ai adoré. J’ai toujours eu beaucoup d’empathie et de fascination pour la communauté trans, et pour les gens marginaux en général. A l’époque, je travaillais pour Folha de S. Paulo, un grand quotidien, et j’avais un emploi du temps chaotique. Je ne pouvais pas me lancer dans un tel travail documentaire, mais l’envie était déjà solidement ancrée. J’ai fini par devenir amie avec Luana, qui m’a toujours encouragée à explorer cette voie. » En 2008, après plus de vingt ans d’une carrière de photo-reporter, Ana Carolina Fernandes se décide à quitter le milieu de la presse pour se consacrer à cet ambitieux projet. « A la fin de 2010, j’ai rencontré Luana par hasard, dans la rue, alors qu’on ne s’était pas vues depuis longtemps. On est allées prendre un café et on a immédiatement reparlé du projet. Entre temps, Luana avait acheté une maison dans laquelle elle louait des chambres à des filles. C’était le moment idéal pour me lancer. On a prévu une date, et c’est elle qui m’a introduite auprès des résidentes pour voir, dans un premier temps, quelles seraient leurs réactions. Tout cela s’est présenté dans ma vie de manière assez rare et précieuse. J’ai été admise dans une communauté fermée avec une bienveillance et une confiance absolues, et j’ai joui d’une ­liberté ­totale pour photographier ce que j’avais envie. » Dès lors, pendant trois ans, Ana ­Carolina ­Fernandes s’engage et rend des visites irrégulières et aléatoires aux locataires. Les filles finissent par s’habituer à sa présence, ce qui laisse le champ libre à la photographe pour immortaliser l’intimité de ces femmes dans leur vie quotidienne.

Dans sa série de photos, Ana Carolina Fernandes aborde la marginalité, le tabou et le non‑dit par ce qu’il y a de plus tangent et de plus matériel : les corps, les chairs, des formes pleines et palpables. Les plans rapprochés et la pénombre dévoilent des jeux de courbes et des morceaux de corps. Ces derniers sont souvent dénudés et les visages, presque toujours indistincts. Des morceaux de tissus, des ­cheveux colorés ou des bijoux dorés accrochent parfois la lumière et contrastent avec les chairs sombres, plongées dans une constante obscurité. Des muscles saillants et des formes voluptueuses se révèlent. Les contours d’un corps se dessinent. On apprend lentement à l’appréhender et à le saisir dans sa totalité et dans sa complexité.

Les sexes sont couverts, mais les poitrines aux rondeurs lourdes et irréelles sont nues et arborées. « J’ai toujours été fascinée par l’ambiguïté de ces corps à la fois féminins et masculins. J’y vois de la beauté et de la sensualité. » Dans les photos d’Ana Carolina Fernandes, on comprend que la sensualité est d’abord intériorisée, propre à chaque individu. Elle réside dans la jouissance d’avoir un corps qui lui appartient et qui lui correspond. La beauté émane presque naturellement de cette conscience-là. Les postures sont affirmées, les corps sont autant de manifestes existentiels qui emplissent tout le champ visuel. Ana Carolina Fernandes les immortalise en mouvement, en action, vivants. « La photographie permet de montrer des ­réalités que, parfois, on refuse de voir. Au-delà de l’intention de donner une voix à un groupe socialement exclu, je voulais donner à voir leur corps. » Montrer la matérialité d’un corps, c’est affirmer son existence, c’est attester de sa ­réalité, c’est signifier une vérité qu’on ne peut plus nier. Ici, celle des personnes transgenres. Leur combat et leur exploration d’une identité qui transcende la dichotomie féminin/masculin apparaissent en filigrane avec tout ce que cela induit de luttes et de difficultés dans une société gouvernée par des normes autres et excluantes. « Pendant que je faisais cette série, j’ai compris que la prostitution était souvent l’unique option pour ces femmes de gagner leur vie. Ce sont des âmes en souffrance, mais il y a aussi de la convivialité et de la solidarité. Ce sont de vraies âmes guerrières. » 

Lexique

Le terme « transgenre », ou « trans », désigne la situation d’un individu dont l’identité de genre ne correspond pas à ses apparences et attributs sexuels. Le terme « transsexualité », quant à lui, est une notion psychiatrique et renvoie à une définition idéologique, pathologique et discriminante.

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