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Illustration : allergies, mythe ou fatalité
Greygouar
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The Good Business

Allergies, mythe ou fatalité ?

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Quatrièmes maladies dans le monde après le cancer, les pathologies cardiovasculaires et le sida, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les allergies sont en constante augmentation depuis une trentaine d’années dans les pays industrialisés. A croire qu’on sera bientôt tous allergiques… Le point sur un phénomène de saison.

Selon les études, de 25 à 30 % de la population seraient touchés par les maladies allergiques (dermatite atopique, asthme, rhinite, conjonctivite, allergie alimentaire). On estime à 5,5 milliards d’euros par an le coût de l’allergie en France et, depuis une trentaine d’années, la fréquence de l’asthme et de la rhinite allergique semble doubler tous les dix ou quinze ans. Et ce n’est pas près de s’arranger : selon l’OMS, d’ici à 2050 une personne sur deux sera allergique. Les allergies sont connues depuis l’Antiquité, mais le mot n’apparaît qu’en 1905. Du grec allos (autre) et ergon (action), l’allergie est une réaction anormale, inadaptée et excessive de l’organisme. Lors d’un contact avec une substance étrangère, notre système immunitaire la reconnaît à tort comme un ennemi et manifeste différents symptômes isolés ou combinés. Le mécanisme de l’allergie est donc toujours le même : une phase de reconnaissance de l’allergène et une phase de réaction.

Un phénomène en pleine expansion

On ne compte plus les personnes allergiques aux pollens, à la poussière ou aux poils de chat, mais aussi au latex, aux moisissures et même au soleil. Ces dernières décennies, les allergies alimentaires au poisson, aux noix, aux arachides ou encore aux produits laitiers se sont développées : des individus qui n’ont jamais présenté de symptômes allergiques connaissent tout à coup des épisodes de toux, de rhinites, se retrouvent avec des plaques d’eczéma ou d’urticaire, des crises d’asthme, voire un œdème de Quincke. On explique cette augmentation des allergènes, et donc du nombre de personnes allergiques, par l’apparition et le développement des polluants chimiques : ozone, oxydes d’azote, microparticules, composés organiques volatils, fumées, etc. Sans être au départ des allergènes, ce sont des irritants, c’est-à-dire des facteurs qui agressent lentement mais sûrement l’organisme et aggravent les réactions allergiques. En outre, le changement climatique augmente la durée des saisons polliniques : on observe davantage de pollens et pendant plus longtemps. L’excès d’hygiène est également questionné. En effet, ne pas subir d’infections dans la petite enfance accentuerait la sensibilité. Comme si la stimulation précoce du système immunitaire par certaines bactéries jouait un rôle de prévention des maladies allergiques. Sans compter que l’environnement intérieur -serait de cinq à dix fois plus pollué que l’extérieur, selon l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur. Certes, acariens, poils d’animaux, moisissures, tabac, fumées de bougies irritent l’organisme. Mais à cela s’ajoutent désormais les produits d’entretien, les désodorisants et les produits d’hygiène corporelle, qui mettent en suspension des particules fines qui, inhalées, colonisent les voies aériennes et agressent l’épiderme.

Quid des allergies alimentaires ?

Pour parer à tout risque d’allergie alimentaire, des produits sans gluten, sans produits laitiers, sans parabènes, sans organismes génétiquement modifiés (OGM), sans œufs ou sans arachides fleurissent dans les plus grands restaurants comme parmi les marques de consommation courante. Un salon « sans », le Saaps, organisé par Allergy Agency, a même fait son apparition (la dernière édition a eu lieu à Paris début avril). Emblématique, le « sans-gluten » est devenu un mode de vie pour environ 5 millions de Français qui suppriment désormais de leur alimentation toute trace d’orge, de blé, de seigle et d’avoine. A l’origine : de vraies allergies ou des intolérances dont « la plus connue est la maladie cœliaque », rappelle le professeur Bruno Bonaz, gastro–entérologue au CHU de Grenoble. Sauf que cette maladie ne concerne environ que 1 % de la population. Les autres seraient plutôt sensibles au pouvoir du marketing. Pas de quoi céder à la mode du « no glu » donc, d’autant que les produits sans gluten sont de 2 à 2,5 fois plus chers, quelle que soit la catégorie d’aliments, et que, sous couvert d’aliment supposé « sain », la liste (à rallonge) des ingrédients qui remplacent ceux comprenant du gluten laisse songeur. Comme si, finalement, était apparue, au-delà de nouvelles allergies, une nouvelle maladie : la nosophobie ou la peur d’être allergique…

Chiffres clés

De 25 à 30 % de la population est allergique.

L’allergie coûte 5,5 Mds € par an en France.

Près de 10 % des Français se privent de gluten… mais seulement 1 % y sont vraiment allergiques.

Quels traitements ?

Pour vivre au mieux avec une allergie, on peut prendre des produits médicamenteux qui soulagent les symptômes (tant qu’on les prend) ou se soigner grâce à une désensibilisation par voie injectable chez l’allergologue. L’OMS a établi en 1998 les preuves de l’efficacité de cette immunothérapie spécifique, apparentée à la vaccination et étalée le plus souvent sur plusieurs années. Mais des équipes de chercheurs sont sur la piste de nouveaux produits administrables via de nouvelles voies (patchs, par exemple). Pas de vaccin miraculeux étant donné l’aspect plurifactoriel des allergies, mais il semblerait qu’on soit à l’aube d’une grande révolution. Augmentation des températures et de l’hygrométrie, modification du régime alimentaire, multiplication des médicaments, tabac et pollution sont autant de modifications environnementales qui agissent sur nos gènes. On s’est ainsi aperçu que quand une grand-mère fume, le risque d’asthme chez le petit-enfant est -aggravé. « La grand-mère, par son tabagisme, a modifié l’expression de ses gènes par un phénomène d’épigénétique, qui est transmissible à la descendance », explique le docteur Etienne Bidat, allergologue et pneumo-pédiatre. Si l’on peut intervenir sur l’épigénétique, un espoir de guérison est donc envisageable.

Illustration : quels traitements pour les allergies ?
Illustration : quels traitements pour les allergies ? Greygouar

Et si c’était psy ?

On le sait, avec le temps, le stress provoque des changements chimiques dans notre organisme qui perturbent le système immunitaire et le rendent plus sensible, notamment aux allergènes. La part psychologique de l’allergie n’est donc pas anodine. Une étude sur le rôle des facteurs psychologiques dans la rhinite allergique, parue en 2006, a d’ailleurs conclu que la sévérité des symptômes vécue par les patients était apparemment liée à des facteurs psychologiques d’hypocondrie et de conscience corporelle. La version freudienne de l’allergie propose une autre explication : pour tout phénomène allergique, il existerait un premier épisode déstabilisant et source de souffrance durant lequel l’allergène occupe une place anodine mais qui, petit à petit, prend tellement d’importance qu’il occulte l’épisode déstabilisant. Certains professionnels du secteur avancent d’ailleurs que l’allergie serait une parole du corps. Une étude du laboratoire -Marion -Merrell Dow a d’ailleurs révélé que, parmi les personnes allergiques, les patients atteints d’eczéma ou d’urticaire seraient plutôt narcissiques et très attachés à l’apparence. A l’heure où le bien-être physique et psychologique est devenu une obligation presque sociale, l’allergie deviendrait-elle une sorte de défense psychologique contre ce diktat moderne ? Aurore Lamouroux, docteur en psychologie et consultante auprès de l’association Asthme et Allergies, temporise. Selon elle, de même que les situations stressantes fragilisent l’immunité, la pression sociale vulnérabilise le corps et l’esprit. « Tout prend des proportions démesurées, le patient éprouve des difficultés à prendre de la distance sur son allergie, d’autant que la société lui renvoie une image invalidante qui augmente la mésestime de soi. C’est un cercle vicieux », assure-t-elle. C’est tout l’enjeu de l’Ecole de l’asthme de Marseille, dans laquelle elle œuvre en proposant des ateliers complets autour de la prise de conscience de soi. Parce que l’allergie n’est qu’une composante de la personne, et non ce qui la définit.

3 questions à Farid Marmouz

Médecin allergologue, cofondateur et vice-président de la Société française de psycho‑allergologie.

Farid Marmouz

The Good Life : Pourquoi associer les mots « psycho » et « allergologie » ?
Farid Marmouz : Pratiquant la médecine comportementale et cognitive, je me suis toujours intéressé à la prise en charge globale du patient, au niveau médical et psychologique. Des échanges avec le docteur Christian Martens, allergologue, formé aux thérapies brèves et à l’éthique médicale, ont été un déclic. Avec l’aide de Laurence Levasseur, psychologue et formatrice, nous nous intéressons à la perception et au « ressenti » du patient en tenant compte de son environnement familial, professionnel et social. Notre société réunit donc des allergologues, mais aussi des philosophes, des anthropologues, des psychiatres et des psychologues.

TGL
 : Y a-t-il un profil psychologique de patient allergique ?
F. M. : Non. En revanche, la notion d’anxiété revient régulièrement, tout comme celles d’impuissance, de découragement et de frustration, notamment à cause du manque d’allergologues. Grâce à une prise en charge globale, nous pouvons rassurer ces patients et les motiver pour le suivi et l’observance de leur traitement – souvent de longue durée puisqu’il s’agit de maladies chroniques dans la plupart des cas.

TGL : Quel est l’impact de l’aspect psychologique sur les allergies ?
F. M. : Il y a une interaction entre stress et maladie allergique qui peut conduire à la dépression et au burn-out. Plusieurs études ont montré le cercle vicieux engendré par l’allergie. C’est vrai dans le cas de l’asthme, mais c’est aussi vrai dans le cas de la rhinite allergique, par exemple. On l’a d’ailleurs remarqué chez les jeunes, dont les examens et concours tombent au printemps… au pire moment pour les allergies.

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