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Le palace Alfonso XIII la nuit.
Le palace Alfonso XIII la nuit.
tgljeanchristophe

Voyage

L’Alfonso XIII, ouvertement vintage

Voyage

Palace de légende construit à une époque où l’on voyageait avec des malles sur mesure qui n’avaient pas besoin de logo pour être chic, l’Alfonso XIII ambitionnait alors d’être l’hôtel le plus somptueux du monde. Depuis, la concurrence s’est certes affûtée tous azimuts, mais l’aura mythique de cette institution sévillane reste intacte.

Le statut de star locale de l’Alfonso XIII commence dès l’arrivée à l’aéroport, puisque même en écorchant le nom du palace en espagnol, tous les chauffeurs de taxi vous comprennent. Un signe qui ne trompe pas… Moins de vingt minutes plus tard, alors que la voiture s’arrête devant les colonnes du porche, survient ce sentiment si rare aujourd’hui dans l’hôtellerie de luxe (il suffit de revoir Lost in Translation pour s’en convaincre) : celui d’arriver dans une maison de famille. Une famille fantasmée, certes, mais qu’importe… Passer ne serait-ce que quarante-huit heures à ­l’Alfonso XIII, c’est cohabiter avec l’empreinte fantomatique de tous ceux qui y ont séjourné.

Sont ainsi convoqués virtuellement des têtes couronnées, toutes dynasties confondues, des stars hollywoodiennes, dont quelques scientologues notoires et leur descendance (la photo de la petite Suri Cruise en robe flamenca trône dans le lobby), ou encore des écrivains et des réalisateurs culte ayant une passion absolue pour l’Espagne – tout le monde aura reconnu Ernest Hemingway et Orson Welles.

Plaisirs régressifs

Le carnet de bal de l’hôtel compte également des veuves de chefs d’Etat assassinés, quelques inévitables people botoxés, ainsi que des amoureux de Rossini ou des inconditionnels de Bizet, lancés, éperdus, sur les traces de ­Carmen. Sans oublier les ­aficionados de corridas ou de flamenco à qui, de fait, la ville appartient. Une décennie avant de construire cet hôtel de légende, l’architecte sévillan José Espiau y Muñoz avait participé, à la demande du non moins légendaire torero Joselito, à la construction de la Plaza de Toros Monumental de Séville – inaugurée en 1921 et rasée dans les années 30 pour malfaçon.

Mais c’est la tenue, en 1929, de l’Exposition ibéro-­américaine à Séville, et donc la nécessité de loger les dignitaires internationaux et autres VIP de l’époque, qui lui a offert sur un plateau le chantier de l’Alfonso XIII. Après douze ans de travaux estimés à 4 millions de pesetas, soit approximativement 10 % de l’investissement total de l’Exposition, le palace est inauguré le 29 avril 1928 par le roi Alphonse XIII. D’où son nom, même si l’établissement a été rebaptisé, de 1932 à 1950, « Palais andalou » pour être en phase, sémantiquement, avec son parti pris architectural et, surtout, avec l’avènement de la seconde république espagnole.

Y aller

Kuoni Emotions propose un week-end (3 jours /2 nuits) à l’Alfonso XIII en chambre double Deluxe + petits déjeuners à partir de 1 155 € TTC par personne. Vols Paris – Séville A/R avec Iberia/Vueling en classe économique, taxes aériennes et transferts compris.
www.kuoni.fr

Aujourd’hui, à l’image de certains de ses hôtes, puisque cette construction néomudéjare est tout sauf une auberge de jeunesse, l’hôtel a subi plusieurs liftings successifs, dont le dernier date de 2012. Fort heureusement, le choix de mélanger les styles castillan, mauresque et andalou qui avait présidé à la décoration d’origine des chambres est resté inchangé.

Têtes de lit en cuir ou bois sombre clouté, plafonds à caissons, corniches en stuc ciselé ou salles de bains carrelées d’azulejos hispano-mauresques en écho à ceux ornant les pièces de l’Alcazar voisin. On se sent certes dans une carte postale en 3D, mais, curieusement, cela ne sonne pas faux.

Quelques bourdes esthétiques émergent tout de même, probablement à mettre sur le compte de l’excès de pragmatisme américain, puisque l’Alfonso XIII appartient au groupe Starwood, qui a été racheté par le groupe hôtelier américain Marriott : les baignoires font le vilain bruit caractéristique de l’acrylique dès qu’on pose le pied dedans, et les prises et interrupteurs en plastique triste ont pris d’assaut les murs des chambres. A tel point qu’on en retrouve même parfois jusque sous le cadre de photos… En ­revanche, la connexion Internet fonctionne parfaitement, et c’est un plaisir presque régressif que de pouvoir prendre l’ascenseur sans avoir à dégainer la carte magnétique de sa chambre.

Il est vrai qu’avec sa porte en boiseries, cet ascenseur nous transporte dans un passé d’avant les crises, comme en attestent aussi les volumes généreux du hall ou ceux des couloirs desservant les chambres. L’Alfonso XIII pourrait être considéré comme une capsule temporelle, puisque rien de son approche architecturale harmonieuse de l’espace n’existe encore de nos jours, où tout oscille entre millimétré (lire « riquiqui ») et surdimensionné pour faire (faussement) luxueux. Ne le nions pas, cette téléportation dans le passé va de pair avec une clientèle de retraités suractifs dès le petit déjeuner, mais on a aussi rencontré un talentueux – et encore jeune – ­designer français. Il venait en Andalousie pour la première fois et n’aurait pas imaginé dormir ailleurs qu’à l’Alfonso XIII.

Zoom sur The Luxury Collection

La Luxury Collection de Starwood regroupe 85 hôtels, tous iconiques, situés dans plus de 30 pays. La collection d’adresses mythiques a commencé à l’initiative de Compagnia Italiana Grandi Alberghi (CIGA), rachetée en 1985 par Fimpar (la compagnie financière de l’Aga Khan), puis revendue à Starwood qui l’a baptisée The Luxury Collection. A ce jour, plus de 450 M € ont été investis pour rénover des établissements historiques qui ont, pour la plupart, été construits au début du XXe siècle. Outre l’Alfonso XIII, à Séville, les fleurons de la Luxury Collection récemment liftés sont le Maria Cristina, à Saint‑Sébastien, l’Imperial et le Bristol, à Vienne, le Gritti, à Venise, le Prince de Galles, à Paris, le Santa Marina, à Mykonos, et L’Excelsior Hotel Gallia, à Milan.
www.starwoodhotels.com/luxury/index.html

Une assiette irrésistible

Serait-ce enfin le vaste escalier qui évoque les contre-plongées de La Splendeur des Amberson ? Toujours est-il que l’Alfonso XIII a une vraie dimension cinématographique, et on cherche, en vain hélas, la caméra d’Orson Welles. Sévillan de cœur, le réalisateur avait en effet habité au-dessus d’un bordel du quartier de Triana lors de son premier séjour en 1933, puis épousé la fille d’un danseur local ayant émigré aux Etats-Unis (Rita Hayworth, de son vrai nom Margarita Cansino), avant de faire produire Monsieur Arkadin par Sevilla Films.

Ses cendres sont aujourd’hui enterrées près de Ronda, en Andalousie, dans la propriété de son ami le matador Antonio Ordóñez… Bien loin de la sophistication exacerbée qui caractérise ses alter ego asiatiques, l’Alfonso XIII déroule une idée joyeuse du luxe, imparfait et vintage, certes, mais dénué de tout gimmick marketing. On ne se sent pas dans un ghetto, fût-il de goût exquis, mais en prise avec la ville et avec la vie. Cette dimension épicurienne s’épanouit naturellement autour de la piscine et dans le jardin d’orangers, comme dans le restaurant San Fernando qui, aux beaux jours, dresse ses tables dans le patio.

Ouvert depuis l’été 2014 dans un environnement plus casual, le restaurant Ena propose, pour sa part, un choix de tapas bistronomiques élaborées par le chef catalan étoilé Carles Abellan. Ses petits artichauts croustillants avec zestes d’échalotes vinaigrées sont une raison suffisante de braver à nouveau le sinistre terminal 3 de Charles-de-Gaulle… pour retourner à l’Alfonso XIII au plus vite !

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