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L’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne
Sur le campus de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Au premier plan, le bâtiment haut en couleurs des services centraux dessiné par Dominique Perrault. Derrière lui, l’imposante vague imaginée par l’agence Sanaa accueille le Rolex Learning Center.
Alexandre Bougès

The Good Business

Qualité « Swiss made » – L’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne

The Good Business

Longtemps affublée d’une réputation de petite école d’ingénieurs avec, au mieux, un rayonnement régional, l’institution, fondée en 1853, est parvenue, ces quinze dernières années, à se hisser parmi les meilleures universités du monde. Laissant loin derrière elle nombre de ses prestigieuses concurrentes européennes, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne a su dynamiter les carcans traditionnels et oser d’audacieuses expérimentations et collusions. Sa magistrale ascension en fait aujourd’hui un cas d’école.

Un paradis universitaire

L’année 2000 et l’arrivée tonitruante de Patrick Aebischer à la tête de l’institution marquent le début de cette épopée. Sans expérience de gestion institutionnelle, mais fort d’une fructueuse carrière outre-Atlantique en tant que neuroscientifique, le nouveau président se lance à corps perdu dans le chantier universitaire, n’hésitant pas à bousculer les fondements de la tour d’ivoire. Les treize départements sont regroupés en cinq facultés, les doyens sont directement nommés par le président, et l’anglais s’impose officiellement dès le master, officieusement au niveau bachelor.

Le modèle visé puise son inspiration dans le système anglo-saxon. D’après Philippe Gillet, l’un des quatre vice-présidents de l’EPFL : « Lorsque Patrick Aebischer est arrivé ici, il disait qu’il y avait des choses formidables dans le système anglo-saxon, mais qu’il était impossible d’en faire un copier-coller. Je pense qu’on a eu l’intelligence de puiser certaines des caractéristiques de ce système et de les adapter à un mode européen. » L’habileté réside donc dans la mise en place d’un système voulant synthétiser ce qui est considéré comme le meilleur des deux cultures.

L’ambition de l’excellence est visée avec la volonté assumée de faire de l’EPFL une marque lucrative et pérenne, à l’image de l’université d’Oxford ou du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Philippe Gillet renchérit : « La manière de recruter nos enseignants est devenue extrêmement compétitive. Les doyens de l’EPFL ont endossé le rôle de chasseurs de têtes. Résultat : on a les mêmes candidats que des écoles comme Caltech ou Stanford. On se bat pour que notre offre soit la meilleure. Et lorsque ces professeurs nous rejoignent, ils signent un contrat à durée déterminée. Ils ont six ans pour faire leurs preuves. Pendant cette période, on leur donne tous les moyens dont ils ont besoin, ce qui nous rend hyperexigeants au moment de l’étape finale de sélection. »

Un modèle à la compétitivité acharnée, qui ­côtoie néanmoins les largesses continentales, avec la quasi-gratuité des études et la non-­sélection à l’entrée pour les étudiants de nationalité suisse. Philippe Gillet le confirme : « Nous avons près de 10 000 étudiants dont 2 000 doctorants. Pour le reste, ce sont des étudiants qui sont dans notre cycle bachelor-master. Comme pour le système universitaire français, l’entrée à l’EPFL est ouverte à tous les étudiants suisses ayant obtenu leur maturité [l’équivalent suisse du bac, NDLR]. Environ la moitié de notre population étudiante est étrangère. C’est pour elle que nous avons mis en place des critères de sélection. Il faut, par exemple, l’équivalent de 16 de moyenne au bac S pour intégrer notre cursus. En première année, plus de 30 % de nos étudiants sont français. En master, nous avons un système de sélection sur dossier qui ne touche plus seulement l’échelle européenne, mais internationale. Au total, si vous regroupez étudiants et enseignants, il y a ici plus de 120 nationalités. C’est un campus très cosmopolite. »

Ce paradis universitaire a un coût, et le budget de l’EPFL est à la hauteur de ses ambitions. L’école dispose d’environ 1 milliard de francs suisses par an (910 millions d’euros) dont 600 millions (550 millions d’euros) sont apportés par la Confédération helvétique. Le reste est assuré par les bourses européennes, les sponsors et le mécénat. A titre de comparaison, le plus grand complexe scientifique et médical français, l’université Pierre et Marie Curie (Paris-VI), dispose d’un budget global de 680 millions d’euros pour trois fois plus d’étudiants (33 900 étudiants).

Le Rolex Learning Center, inauguré en 2010 et créé par le cabinet d’architecture Sanaa, est un exemple clinquant des nombreux partenariats entre les secteurs public et privé. Le succès de l’Ecole polytechnique de Lausanne peut laisser songeur, surtout pour ses voisines européennes qui, elles, peinent à réformer un monde universitaire en crise. Pourtant, cette réussite s’inscrit dans un contexte social, culturel et politique spécifique. En effet, les universités suisses n’accueillent que 20 % d’une même tranche d’âge d’étudiants contre 80 % pour la France. Les deux tiers de la jeunesse helvétique choisissent la formation professionnelle, qui jouit d’une excellente réputation. L’EPFL fait bel et bien figure d’exemple dans le renouvellement et la remise en question du rôle et du statut de l’université dans le milieu des études supérieures.

 

5 questions à Philippe Gillet

Vice-président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) pour les Affaires académiques. Il a été directeur de l’école normale supérieure de Lyon et directeur de cabinet de Valérie Pécresse quand elle était ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de mai 2007 à mars 2010.

Philippe Gillet, Vice-président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL)

The Good Life : Comment définiriez‑vous l’EPFL ?
Philippe Gillet : Je la définirais comme the place to be aujourd’hui en Europe pour quelqu’un qui a envie de faire de la recherche, d’innover et qui veut être dans une école dynamique. L’EPFL se pose comme un modèle de ce que pourraient devenir toutes les universités européennes dans les années à venir.
TGL : Et l’innovation, quels contours prend-elle, selon vous ?
P. G. : Innover, c’est avant tout créer quelque chose qui a un sens pour la société. Si des chercheurs fondamentaux font une découverte, nous devons alors mettre en place des outils pour faciliter le passage de ce fourmillement intellectuel à sa concrétisation dans les sphères sociales et économiques. Ces outils sont au service de start-up ou de grandes entreprises qui veulent faire de la R&D sur le campus. Ils sont aussi au service de doctorants ou de laboratoires qui viennent travailler avec des entreprises sur des projets communs qui revêtent un sens dans cette grande chaîne de l’innovation. C’est une chaîne de création de richesses globales. L’innovation, pour nous, ne revient pas simplement à générer de l’argent. Bien sûr, les indicateurs concernant le nombre d’entreprises et d’emplois que nous créons et l’argent que nous collectons ne trompent pas. Mais il en va de même concernant l’impact de notre action en termes de développement de la société, de bien-être et d’économie. Parce que l’économie, malgré ce qu’on raconte, fait aussi partie du bien-être.
TGL : Comment réussissez-vous à concilier innovation et recherche ?
P. G. : Nous sommes seulement l’un des maillons de la chaîne. On peut l’appeler le premier maillon. Nous voulons créer des générations de gens qui entreprennent, c’est-à-dire former des chercheurs et de futurs professeurs parmi ceux qui veulent innover, qui ont envie de montrer que ce qu’ils font dans un laboratoire a un sens, qui veulent participer à un projet plus grand. L’expérience montre que nous y parvenons. La clé du succès vient justement de cette philosophie : bâtir un écosystème, créer des contacts et montrer aux entreprises qu’on est ouverts à leur monde, celui de l’innovation. On ne force pas les gens, on les invite à le faire. En revanche, on les juge sur leur capacité à innover. Dans l’enseignement, nous serons de plus en plus évalués sur notre aptitude à accompagner ce transfert de technologie depuis le domaine académique jusqu’à l’entreprise et plus seulement sur la qualité de notre recherche. Les grandes universités seront jugées sur leur capacité à sortir de leur tour d’ivoire. Cette révolution a débuté dans le monde anglo‑saxon et elle s’étend désormais à l’Europe. Demain, ceux qui resteront sur l’échiquier universitaire auront dû faire preuve de leur capacité à embrasser l’innovation, la recherche et l’éducation dans un même ensemble et plus comme des fonctions séparées.
TGL : Envisagez-vous de monétiser vos massive open online courses (MOOC) ?
P. G. : C’est « la » grande question. Pour le moment, nos MOOC ne sont pas monétisés. On peut prendre en charge ce qui relève des étudiants, mais que fait‑on pour les entreprises qui, par exemple, souhaitent faire de la formation continue ? Il n’y a pas de raison qu’elles bénéficient de ces cours sans participer aux coûts de développement. Aujourd’hui, ces points sont sérieusement débattus par toutes les personnes impliquées. La question se pose plus généralement pour tous ceux qui sont extérieurs au milieu universitaire. L’université Johns-Hopkins a un MOOC qui engrange environ 700 000 $ (627 000 €) par mois et près de 7 M $ (6,27 M €) par an. On ne peut pas se contenter de regarder les autres faire. Les valeurs que nous avons dans le monde universitaire doivent être reconstruites, retravaillées et réfléchies autrement.
TGL : Quel est votre challenge principal dans les années à venir ?
P. G. : Si vous ne m’en demandez qu’un, je dirais que c’est justement cette évolution en cours dans le domaine de l’enseignement. Ce changement majeur va remodeler tout le système. Et ce domaine est crucial parce que la manière dont vous faites de la recherche et dont vous innovez dépend largement de l’enseignement que vous avez reçu.

 

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