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Tribunes de l'hippodrome de Longchamp
Tribunes de l'hippodrome de Longchamp (Dominique Perrault architecture)
Alexandre Bougès

Culture

Dominique Perrault, architecte affranchi

Culture

« J’ai un problème personnel avec les murs ! » Cette phrase est sans doute la clé qui permet de comprendre l’œuvre de l’architecte qui a imaginé la bibliothèque François-Mitterrand il y a tout juste vingt ans. Désireux d’intégrer l’architecture à l’urbanisme, Dominique Perrault est aujourd’hui l’auteur d’une production internationale libre et abondante.

Architecte prolifique et déroutant, Dominique Perrault a béné­ficié d’une triple formation qui lui a prodigué la liberté et la rigueur opportunes pour réfléchir aux différentes échelles et complexités de territoire. Ses études d’architecture à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts, puis d’urbanisme aux Ponts et Chaussées, et enfin d’histoire à l’Ecole des hautes études en sciences sociales lui ont en effet offert la possibilité d’ouvrir son champ d’activité à d’autres manières de voir, moins cloisonnées. En 1981, à peine un an après la fin de ses études, il crée son agence, qu’il installe dans un bâtiment industriel du 11e arrondissement parisien et livre son premier chantier, l’usine Someloir, à Châteaudun (Eure-et-Loir), puis l’Ecole supérieure d’ingénieurs en électronique et élec­trotechnique, à Marne-la-Vallée (Ile-de-France).

Mais c’est bien sûr la réalisation de la bibliothèque François-Mitterrand qui lui apporte la reconnaissance mondiale alors qu’il n’est âgé que de 36 ans. Il sera dans la foulée récompensé du prix Mies Van der Rohe, en 1997. Il fallait en effet un certain culot pour s’attaquer à ce projet d’envergure impliquant la conservation de 12 millions d’ouvrages et qui aurait pu conduire à l’émergence d’un monstre architectural. Dominique Perrault voit dans cette situation la possibilité d’une forêt, de quatre tours en L bâties autour du vide et construites en creux, le tout dans ce qui était alors une énorme friche, un non-quartier du sud-est de Paris. « Quatre livres ouverts… Tout le monde comprend ! Il ne s’agit pas d’une métaphore du travail, mais de la communication », explique aujourd’hui l’architecte français, plutôt discret dans les médias, mais efficace sur le terrain : Grand Prix national d’architecture en 1993, distingué de la Grande Médaille d’or de l’Académie d’architecture en 2010 et officier de la Légion d’honneur en 2013. En attendant le prix Pritzker, il vient tout juste de recevoir le Praemium Imperiale 2015, l’autre prix prestigieux de la discipline.

La restructuration de l’emblématique poste du Louvre a suscité les critiques de défenseurs du patrimoine.
La restructuration de l’emblématique poste du Louvre a suscité les critiques de défenseurs du patrimoine. DR / DOMINIQUE PERRAULT ARCHITECTURE

Provoquer la ville

Pour chacun de ses projets, qu’il s’agisse du vélodrome ou de la piscine olympique de Berlin (1999) – deux grandes figures installées sur le territoire à la manière du land art –, du centre olympique de tennis de Madrid (2009) – avec son immense toit coulissant et multifonctionnel –, de l’université féminine d’Ewha, à Séoul – fente excavée dans le sol comme une vallée artificielle –, ou encore de la gare de Villejuif-Institut Gustave-Roussy (prévue pour 2020) – infrastructure très profonde creusée à 50 mètres en sous-sol –, la motivation de Dominique Perrault est d’étendre le domaine et le pouvoir de l’architecture à celui de l’espace public, de faire entrer la ville, les flux et les humeurs pour fabriquer un nouveau paysage, une nouvelle nature, artificielle. Son architecture, qui se passe volontiers de façade et dont les limites sont délibérément floues avec l’espace urbain, requiert souvent l’usage de matériaux souples, comme le textile ou la maille métallique.

Ils sont exposés au rez-de-chaussée de l’agence, qui fait simultanément office de showroom et de salles de maquettes et de travail. Fruits de ­longues recherches, ils sont développés sous la direction artistique de Gaëlle Lauriot-Prévost – formée à l’école Camondo, à Paris. Bras droit de l’architecte, elle participe à tous ses projets depuis vingt ans, telle une paysagiste d’intérieur.

« Il y a une réelle efficacité à concevoir l’architecture comme un ­paysage. Cela fabrique de l’ambiguïté et une situation émotionnelle intéressante : on ne sait pas où est l’architecture ni où est le paysage », explique Dominique Perrault, toujours le sourire au coin et le pas rapide. Ainsi, pour l’architecte, chaque projet est une occasion de fragiliser la notion d’architecture et de lui faire la peau : « J’ai toujours eu des doutes sur la nature de l’architecture. Elle fait trop autorité. Alors je la manipule pour la faire oublier, je cherche inlassablement à ce qu’elle mette en place la transformation d’un lieu spatialement, économiquement, socialement ou politiquement. Car il est difficile de vivre avec l’architecture. Mais quand l’architecture et l’urbanisme créent une substance, qu’un bâtiment occasionne une réflexion sur les limites entre le dedans et le dehors, le public et le privé, le haut et le bas, le devant et le derrière, alors il est question d’un monde relationnel et non plus d’intentions séparées et figées. Nous touchons là à l’utile, au bonheur de sentir que l’on peut “être heureux” en ville et dans des lieux qui peuvent transcender les individus. »

Foisonnements

Cette quête ambitieuse, Dominique Perrault la poursuit plus ardemment aujourd’hui. Son actualité se caractérise par de nombreux projets localisés en France, alors que l’agence a jusqu’ici surtout produit dans les quatre coins du monde. En 2017, elle livrera, notamment, la restructuration de l’hippodrome de Longchamp – un projet qui met en valeur le patrimoine bâti et végétal avec ses arbres centenaires et son plan de composition historique – et, en 2018, celle de la poste du Louvre, après avoir réaménagé le pavillon Dufour au château de Versailles et rénové les tours Citylights du pont de Sèvres en 2015. Des projets d’échelles variées, qui offrent à l’architecte l’occasion d’expérimenter ce qu’il défend en tant que membre du conseil scientifique à l’Atelier international du Grand Paris (AIGP).

« 30 millions de mètres carrés vont être l’objet de restructurations sur le territoire du Grand Paris. Nous n’avons pas besoin d’étendre la ville, il faut utiliser ce qui existe : le matériau de l’architecture est le paysage tel qu’il existe, qu’il soit romantique, historique ou industriel », explique Dominique Perrault, qui reste cohérent et exigeant avec ses positions, aussi tranchées soient-elles, et malgré l’extension continue de son carnet de commandes. Il capitalise d’ailleurs aujourd’hui ses expériences par le biais d’une plate-forme de recherches et d’échanges développée à partir des projets de l’agence et nommée DPAx. Car il s’agit d’ouvrir inlassablement la pratique architecturale à d’autres champs disciplinaires et à d’autres perspectives afin de maintenir cette tension vitale avec le vivant et l’évolution du monde.

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