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Chine, main basse sur l’or.
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The Good Business

Chine : main basse sur l’or

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En devenant le premier pays consommateur d’or de la planète, la Chine a doublé l’Inde. Désormais, il lui faut parvenir à prendre la tête du commerce mondial de ce précieux métal. Son bras armé ? Le Shanghai Gold Exchange, plate-forme de l’Asie pour l’achat et la vente d’or.

On l’imaginait imposante, pleine d’assurance – à l’image de la mégapole qui l’accueille depuis maintenant plus de dix ans, véritable centre financier de la Chine. En réalité, elle est bien modeste ! « Elle », c’est la Bourse de l’or de Shanghai, plus connue sous le sigle SGE, pour Shanghai Gold Exchange. Le plus gros centre de commerce du monde pour l’or physique se situe là, non loin de la place du Peuple, dans un bâtiment de 11 étages à l’aspect assez banal. L’entrée de l’immeuble ressemble d’ailleurs à celle de n’importe quelle banque chinoise, avec son sol en carrelage beige, ses plantes en pots et ses deux gardiens en chemise blanche qui tournent en rond, tandis que la standardiste, à moitié endormie, est avachie sur son bureau.
Pourtant, c’est bien ici que tout se passe. Fondé en 2002, le Shanghai Gold Exchange a détrôné Hong Kong et Tokyo pour devenir « la » plate-forme de l’Asie pour l’achat et la vente du précieux métal jaune. L’année dernière, ses 180 employés ont procédé au commerce de 18 500 tonnes d’or, soit environ 75 tonnes par jour ouvré, selon le dernier rapport annuel. Première du monde pour le commerce de l’or physique – en lingots et en pièces –, elle n’occupe que la quatrième position, derrière Londres, New York et le Shanghai Futures Exchange, si l’on prend en compte le paper gold, cet or dématérialisé qui s’achète, à titre spéculatif, via des produits financiers complexes, adossés, ou non, au fameux métal. Le SGE est la clé de voûte d’une stratégie bien plus large, qui vise à faire de la Chine un pays qui compte dans l’établissement des cours mondiaux de cette ressource. Pékin est aujourd’hui le premier importateur et le premier consommateur d’or du monde, et monopolise 26 % de la demande mondiale, selon le World Gold Council, le lobby de l’industrie. C’est aussi le premier producteur de la planète, avec 15 % de la production totale en 2014. Mais, paradoxalement, la Chine influence encore très peu la cotation internationale du métal jaune. « Les prix mondiaux de l’or ne sont pas déterminés chez nous, mais au LME [le London Metal Exchange, NDLR] et au Comex [le New York Commodity Exchange, NDLR], affirme Gu Wenshuo, directeur de la communication du SGE. En Asie, cependant, la Chine a une carte à jouer. Notre objectif, désormais, c’est d’avoir notre propre index et qu’il devienne la référence sur notre fuseau horaire. Bien évidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire. »
Néanmoins, cet index, baptisé Shanghai Gold (Shanghai jin, en mandarin), doit encore voir le jour. Rien n’est fait. Mais, grâce à lui, le SGE espère avoir voix au chapitre et s’imposer face à ses concurrents. En Chine, par ailleurs, le prix domestique de l’or est souvent supérieur aux prix internationaux. Ce nouvel index est donc vu comme un moyen de favoriser ses propres importateurs et consommateurs, face aux index londoniens et new-yorkais. « Cela peut paraître étonnant, mais le rôle de la Chine dans le marché international de l’or est encore très faible. Le pays est un price taker [preneur de prix, NDLR] et non un price setter [fixeur de prix ; le preneur de prix accepte de pratiquer le prix imposé par le fixeur de prix ou le prix qui apparaît sur le marché, NDLR], analyse Philip Klapwijk, le directeur de Precious Metals Insights, une société de conseil basée à Hong Kong. Bien sûr, compte tenu de son énorme consommation d’or, la Chine influence de toute façon les cours mondiaux. Mais en réalité, le trading de l’or est surtout une affaire domestique. Les banques chinoises, par exemple, sont très peu présentes à l’étranger sur ce marché. »

L’or, cette autre monnaie

Il faut dire que la Chine revient de loin. En 1949, dès l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong, la propriété privée de l’or est interdite. Le but ? Faire émerger une nouvelle monnaie, le renminbi (« la monnaie du peuple »), après des années d’hyperinflation, au cours desquelles l’or avait servi, comme l’argent et les devises étrangères, de moyen de paiement. Vu comme un concurrent du renminbi, l’or est alors mis sous contrôle du jeune État communiste, via sa banque centrale. C’est cette dernière qui, jusqu’à il y a peu , détenait le monopole de l’achat, de la vente et de la distribution de l’or. Elle l’achetait brut, auprès des sociétés d’extraction minière, puis le revendait aux manufacturiers, notamment aux fabricants de bijoux, fixant elle-même les prix. La libéralisation du marché n’intervient qu’en 2001. L’année suivante, le SGE est créé. La banque centrale chinoise lui confie alors trois missions : la détermination du prix en fonction de l’offre et de la demande, la vente de l’or aux industriels et aux institutions financières, et le contrôle sur les importations. D’autres réformes interviendront plus tard, en 2004 notamment, lorsque les Chinois seront autorisés, pour la première fois depuis 1950, à posséder des lingots d’or. « L’ouverture s’est faite année après année. À présent, il n’y a pas d’autres pays dans le monde où il est aussi facile d’acheter de l’or », affirme Roland Wang, directeur général, pour la Chine, du World Gold Council. Dans un second temps, les banques chinoises se sont jetées sur le marché. « Auparavant, elles n’avaient strictement aucune activité avec l’or », poursuit-il. Aujourd’hui, la plupart d’entre elles, dont les fameuses Big Four – la China Construction Bank, l’Industrial and Commercial Bank of China, l’Agricultural Bank of China et la Bank of China –, sont membres du SGE. À elles ­quatre, elles ont réalisé 25 % du volume enregistré l’année dernière à la Bourse, la Bank of China arrivant en tête avec 1 740 tonnes d’or échangées.

Le marché chinois de l’or en huit dates.
Le marché chinois de l’or en huit dates. Ariel Martín Pérez

Benchmark international

Après ces années de réformes, la Chine souhaite maintenant renforcer son pricing power [ajustement des prix, NDLR]. « Les Chinois veulent lancer leur propre benchmark international. La Chine espère influencer les prix mondiaux en faisant en sorte que les investisseurs achètent de l’or via des contrats basés sur le benchmark de Shanghai », décrypte Philip Klapwijk. Mais la route est encore longue. « Etant donné que le yuan n’est pas complè­tement convertible, et connaissant les autres contrôles du système financier chinois, je doute que les sociétés minières vont soudainement abandonner l’once [une once équivalant à 31,1 grammes, NDLR], fixée à Londres, pour le prix au kilogramme en yuans de Shanghai. » En attendant, le Shanghai Gold Exchange fait tout pour attirer les investisseurs internationaux dans l’espoir d’atteindre cet objectif. Car un index international en yuan ne pourra être crédible que s’il est soutenu par un volume de transactions suffisamment important et, surtout, s’il est jugé attractif par les gros portefeuilles étrangers.
En 2014, le SGE s’est ainsi dédoublé en lançant l’International Board, qui comprend aujourd’hui 40 membres internationaux, parmi lesquels HSBC, la Deutsche Bank, UBS, JPMorgan Chase et Goldman Sachs. Basé dans le district de Pudong, de l’autre côté du fleuve Huangpu, dans la nouvelle zone de libre-échange de Shanghai, ce Board est censé attirer les fonds en renminbi off-shore détenus à l’étranger par ces mêmes banques dans les quelques capitales internationales – Hong Kong, Paris, Londres, etc. – où Pékin a autorisé l’internationalisation du yuan. Il permet aussi aux plus petits investisseurs de commercer au sein du SGE, via une filiale notamment, même s’ils ne sont pas juridiquement implantés en Chine. À ce stade, cependant, la plate-forme internationale du SGE avance tout doucement : 190 tonnes d’or y ont été échangées dans les deux mois qui ont suivi son lancement en septembre 2014, soit… moins de 3 tonnes par jour.

Le poids des bijoux

En Chine, ce sont surtout les bijoux qui soutiennent le marché de l’or : 60 % de la demande chinoise est en effet tirée par la joaillerie, selon le World Gold Council. Le pays est aujourd’hui le premier consommateur, mais aussi le premier producteur de bijoux en or du monde.  Un titre qui était détenu, il y a deux ans encore, par l’Inde. Entre 2004 et 2013, la demande chinoise pour ces produits d’apparat a triplé et les dépenses des Chinois ont été multipliées par six du fait de l’urbanisation, de l’élévation du niveau de vie et d’une tradition culturelle très ancrée. « En Chine, à l’occasion des mariages, il est de rigueur d’offrir des bracelets et des colliers en or à la mariée, ainsi qu’à la mère des deux époux. Pour les nouveau-nés, on offre plutôt des petits cadenas en or ou des figurines de dessins animés », explique-t-on chez Chow Tai Fook. Le célèbre bijoutier de Hong Kong – la plus grande chaîne
du monde – a réalisé plus de 53 % de son chiffre d’affaires, l’année dernière, grâce à ses articles en or. Mais 2015 a commencé sous de moins bons auspices, avec une chute de la demande de 10 % au premier trimestre, causée par le ralentissement de l’économie chinoise et par les phénomènes de diversion provoqués par la superperformance des marchés boursiers.

L’or et la joailleire en Chine.
L’or et la joailleire en Chine. Ariel Martín Pérez
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