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Blancpain : visite de l’envers du décorum - Good Factory
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The Good Business

Blancpain : visite de l’envers du décorum

The Good Business

Née en 1735, Blancpain est la plus ancienne manufacture horlogère toujours en activité au monde. Reprise par le Swatch Group en 1992, l’enseigne s’appuie sur son passé et sur ses valeurs séculaires pour concevoir des montres qui font rimer exception et complication.

Nous descendons du TGV à la petite gare de Vallorbe, à peine la frontière suisse franchie. Nous sommes au pied du Jura, chaîne à la glaciale réputation qui s’étend à parts égales entre la France et la Suisse. Sur place, le soleil brille et fait fondre la neige qui parsème les trottoirs de la bourgade proprette, qu’on croirait échappée d’un autre temps. La navette nous emporte sur une route en lacet qui serpente entre rochers et sapins fournis. Un peu plus loin, la campagne devient plus profonde. Sur un champ recouvert de neige immaculée se dessine, par contraste, une poignée d’élégants chevreuils au pelage brun. Plus loin encore, on longe un lac mystérieux, calme, sombre, un rien lugubre qui, bordé de petits chalets, s’étire tout en longueur. Nous voici au coeur de la vallée de Joux, qui concentre parmi les manufactures horlogères suisses les plus illustres : Audemars Piguet, Breguet ou encore Jaeger-LeCoultre. Cette province exceptionnelle offre 8 000 postes de travail pour 7 000 habitants… Bienvenue en Suisse ! Pour l’heure, c’est chez Blancpain que nous nous rendons.

Au hameau du Brassus, « la Ferme » accueille les ateliers où une cinquantaine de personnes élaborent les modèles d’exception à la main.
Au hameau du Brassus, « la Ferme » accueille les ateliers où une cinquantaine de personnes élaborent les modèles d’exception à la main. DR

La manufacture a été reprise par le Swatch Group en 1992. Elle fait partie du pôle haute horlogerie de ce consortium industriel, qui comprend aussi Jaquet Droz et Breguet. Née en 1735, la marque est la plus ancienne toujours en activité. En effet, même si elle a connu un petit passage à vide dans les années 70, dû à l’apparition des mouvements à quartz, elle ne s’est jamais arrêtée. Elle reprend des couleurs au début des années 80, sous la férule de Jean-Claude Biver, associé à son ami Jacques Piguet. Ces deux-là vont, pendant vingt ans, s’ingénier à redonner son lustre à l’enseigne.

La haute horlogerie pour femme

Pourquoi l’horlogerie mécanique serait-elle réservée aux hommes ? Blancpain a conçu une gamme de montres à grande complication à destination des femmes. La Quantième Phases de Lune à remontage automatique est la dernière en date. Elle emporte deux complications horlogères classiques. A travers une ouverture, son cadran laisse apparaître l’avancement du cycle lunaire. Il rappelle les liens entre astronomie et horlogerie. La Lune est dessinée avec un visage féminin au sourire agrémenté d’une mouche, selon la mode du XVIIIe siècle. Avec son balancier en glucydur et son spiral en silicium, cette nouveauté se place au niveau des meilleures pièces de haute horlogerie masculine. Elle ajoute un choix de cinq bracelets interchangeables, bien rangés dans un coffret, comme un écrin. Une attention toute féminine, qui permet d’assortir (ou non) sa montre à sa tenue.

Ils optent pour un positionnement prestige. La marque axe sa communication sur le respect de la tradition horlogère. Peu avare en formules marketing, Jean-Claude Biver assène dans la presse : « Depuis 1735, il n’y a jamais eu de montre à quartz Blancpain… Et il n’y en aura jamais. » En 1991, la manufacture lance la 1735 Grande Complication, qualifiée d’« ultra compliquée ». Puis elle remet à la mode la répétition minutes, une complication qui donne l’heure par des sons. Elle relance aussi le carrousel, dont elle est l’une des spécialistes. Cet élément, plus simple qu’un tourbillon, mais au principe similaire, regroupe un grand nombre de composants. Devenu un emblème de la manufacture, ce dispositif, inventé par l’horloger danois Bahne Bonniksen en 1892, est destiné à compenser les écarts de marche induits par l’attraction terrestre. Quoi qu’il en soit, après avoir été reprise en quasi-faillite en 1983, Blancpain est revendue plusieurs dizaines de millions d’euros dix ans plus tard.

Sortie en 2017 de la manufacture du Sentier, la Villeret Semainier Grande Date 8 Jours est animée par un mouvement automatique doté de 378 composants.
Sortie en 2017 de la manufacture du Sentier, la Villeret Semainier Grande Date 8 Jours est animée par un mouvement automatique doté de 378 composants. DR

Du sur-mesure pour 2 millions d’euros

Au Brassus, un petit hameau de la région, nous nous arrêtons devant une ancienne ferme. Le bâtiment, discret et classé, accueille le département grandes complications et métiers d’art de Blancpain. Ces entités, qui créent des montres d’exception à la main en très petites quantités, sont délibérément dissociées du reste de la production. La manufacture a, en effet, bien grandi. Elle occupe un grand bâtiment au Sentier, à quelques kilomètres de là, mais cette annexe a été conservée. Son intérieur, rénové voilà une dizaine d’années, accueille de chaudes boiseries de cerisier.

Sortie en 2017 de la manufacture du Sentier, la Villeret Semainier Grande Date 8 Jours est animée par un mouvement automatique doté de 378 composants.
Sortie en 2017 de la manufacture du Sentier, la Villeret Semainier Grande Date 8 Jours est animée par un mouvement automatique doté de 378 composants. DR

Les pièces abritent des ateliers aux traditionnels établis de bois. L’ensemble respire la quiétude. Sur place, une cinquantaine d’employés, majoritairement des horlogers, ainsi qu’une dizaine d’artisans d’art, graveurs et peintres sur émail, s’affairent. Afin d’élaborer leurs montres de luxe, ils s’appuient sur les cinq plus grandes complications horlogères : le chronographe à rattrapante, le tourbillon, la répétition minutes, la phase de Lune ou encore le quantième perpétuel. S’ajoute à celles-ci le fameux carrousel, emblématique de la marque.

La manufacture en 10 grandes dates

1735 : fondation de la manufacture par Jehan-Jacques Blancpain.
Seconde moitié du XIXe siècle : modernisation pour faire face à la concurrence américaine.
1926 : première montre à remontage automatique.
1953 : apparition de la Fifty Fathoms, montre de plongée moderne, conçue pour les nageurs de combat français.
1971 : production de 220 000 montres par an.
1982 : Jean-Claude Biver et Jacques Piguet rachètent la marque au bord de la faillite pour une bouchée de pain.
1992 : le Swatch Group (à l’époque SMH) rachète Blancpain pour plusieurs dizaines de millions d’euros. Jean-Claude Biver est maintenu à la tête de la manufacture.
2002 : Marc A. Hayek devient président et CEO.
2008 : réhabilitation du carrousel, une complication horlogère tombée dans l’oubli.
2010 : pour une plus grande verticalisation, la firme Frédéric Piguet SA, spécialisée dans la fabrication de mouvements, rejoint la manufacture du Sentier.

Ces modèles, aux composants parfois microscopiques, peuvent coûter plusieurs centaines de milliers d’euros. Dès lors, la productivité devient subsidiaire. C’est le savoir-faire et la qualité qui priment. « Ce n’est pas avec ces pièces que Blancpain gagne beaucoup d’argent, mais plutôt avec ses montres autour de 20 000 ou 25 000 euros », rappelle-t-on sur place. Une unité spéciale se consacre aux garde-temps uniques personnalisés. Ces montres sur mesure peuvent coûter jusqu’à 2 millions d’euros.

Chez Blancpain, toutes les pièces, même les plus petites, sont décorées. Ici, la Villeret Squelette 8 Jours dévoile entièrement son mécanisme, côté cadran comme côté fond, et permet d’apprécier le savoir-faire des horlogers et des artisans de la manufacture.
Chez Blancpain, toutes les pièces, même les plus petites, sont décorées. Ici, la Villeret Squelette 8 Jours dévoile entièrement son mécanisme, côté cadran comme côté fond, et permet d’apprécier le savoir-faire des horlogers et des artisans de la manufacture. DR

Blancpain produit 25 000 montres par an

Nous quittons « La Ferme » et faisons un saut de puce vers le village du Sentier. Nous voilà devant le grand bâtiment blanc, presque austère, qui abrite la manufacture Blancpain. Ici, plus de 800 personnes œuvrent notamment à la conception des boîtes et des mouvements. Cette entité est née du rachat, en 2010, de Frédéric Piguet SA, spécialisée dans la fabrication de mécanismes horlogers, avec comme objectif de verticaliser totalement la production.

Au hameau du Brassus, « la Ferme » accueille les ateliers où une cinquantaine de personnes élaborent les modèles d’exception à la main.
Au hameau du Brassus, « la Ferme » accueille les ateliers où une cinquantaine de personnes élaborent les modèles d’exception à la main. DR

A présent, la manufacture livre aussi des calibres à Jaquet Droz ou Breguet, notamment, et produit à peu près tous ses composants, y compris ses platines, ponts, masses oscillantes et disques de quantième. « L’an passé, le label Swiss made a été porté à 60 % de fabrication helvète, rapporte notre guide. Chez Blancpain, nous sommes prêts pour un Swiss made à 95 %. » Seuls les bracelets sont achetés à l’extérieur. « Nous avons essayé d’élever des crocodiles dans le lac, mais ils avaient trop froid », plaisante notre interlocuteur.

Prix des complications

Porte d’entrée à l’univers Blancpain : la Villeret Ultraplate en acier coûte 7 500 €.
Phases de Lune : 10 980 € pour une Villeret Quantième Complet Phases de Lune.
Quantième perpétuel : 61 870 € pour une Calendrier Chinois Traditionnel.
Carrousel : 104 800 € pour une Carrousel Volant Une Minute.
Tourbillon : 118 800 € pour une Tourbillon Volant Une Minute 12 Jours.
Répétition minutes : 248 200 € pour une Répétition Minutes.

Au sein de la gamme Blancpain, la Fifty Fathoms fait figure de vedette. Née en 1953, elle a lancé la mode des montres de plongée portées en ville. Elle entre dans le total des 25 000 montres produites chaque année au Sentier, où technologie de pointe et tradition font bon ménage. La production s’appuie, entre autres, sur des machines-robots numérisées, encapsulées façon soucoupes volantes ou plutôt « cabines de téléphérique », selon notre guide, plus sérieusement cette fois. Bien entendu, cet outillage high-tech s’accompagne d’une importante phase de vérification manuelle, puis d’un profond travail de finition.

Comble absolu du raffinement, toutes les pièces sont décorées, même celles qui ne sont pas visibles à l’œil nu. « Il serait mesquin de les négliger sous prétexte qu’on ne les voit pas », conclut notre interlocuteur. C’est ce qui fait la réputation d’une grande maison.


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