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Vinyle : dans les coulisses de son retour en grâce chez MPO
Vinyle : dans les coulisses de son retour en grâce chez MPO
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The Good Business

Retour en grâce du vinyle : dans les coulisses de MPO

The Good Business

Nous sommes au XXIe siècle, ère de la disruption. Toute l’économie mondiale est transformée par le numérique. Toute ? Non ! L’irréductible microsillon résiste encore et plus que jamais à l’envahisseur. En France, son quartier général, MPO, se situe dans le nord de la Mayenne, au cœur d’une jolie campagne.

Pulvérisée d’argent, une gravure en résine d’acétate sort d’un bain de nickel. Délicatement, elle passe des mains expertes de Jean- Luc à celles, novices, de Jimmy. Quelques finitions – centrage, polissage –, et ils auront terminé la première étape de la fabrication d’un vinyle. Trente-cinq ans d’expérience séparent les deux opérateurs de MPO. Si, ici, en Mayenne, les gravures passent de main en main comme le savoir-faire entre générations, c’est parce que le vinyle connaît une véritable résurrection.

Le site de Villaines-la-Juhel, où sont fabriqués les vinyles, ainsi que des cd et des dvd.
Le site de Villaines-la-Juhel, où sont fabriqués les vinyles, ainsi que des cd et des dvd. Constance Decorde

Presque enterrée dans les années 1990-2000, la galette noire voit ses ventes exploser, loin d’une éphémère mode vintage. « Depuis 2012, nous avons multiplié par six notre production. En 2020, nous en produirons 20 millions ! » s’enthousiasme Alban Pingeot. Tout juste arrivé de Londres, le président du directoire de MPO a en effet de quoi se réjouir. Il nous reçoit dans son bureau lumineux du site de Villaines-la-Juhel. Attention, ici, on ne fait pas que des vinyles.

Le groupe MPO International, 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017, 700 collaborateurs dont 500 en France, a une triple expertise métier : pressage (CD, DVD, Blu-ray, vinyles), packaging et logistique. Mais il n’y a pas besoin d’insister longtemps pour que revienne la fierté liée au produit historique, celui qui a fait les beaux jours d’une épopée familiale née il y a soixante ans d’un couple de fondateurs, Pierre et Monique de Poix. Leur portrait, médaille de la Légion d’honneur à la poitrine, orne l’entrée du site.

Jean-Luc Dutertre, 54 ans, opérateur à la galvanoplastie, chez MPO depuis trente-cinq ans. Ici, devant un bain d’électrolyse dans lequel les gravures vont rester plusieurs heures.
Jean-Luc Dutertre, 54 ans, opérateur à la galvanoplastie, chez MPO depuis trente-cinq ans. Ici, devant un bain d’électrolyse dans lequel les gravures vont rester plusieurs heures. Constance Decorde

Flash-back. 1957. Le disque à sillon standard (78-tours) tire sa révérence. Le microsillon fait son arrivée en Europe depuis les Etats-Unis, le couple de Poix hérite du domaine de Lorgerie, en Mayenne. Bambino, de Dalida, est numéro un pendant trente et une semaines de suite, Pierre de Poix achète deux presses et crée les Moulages plastiques de l’Ouest. Le 26 octobre, les premiers vinyles sortent de la manufacture artisanale. C’est le début d’une longue histoire d’amour, célébrée par le slow Only You, des Platters, qui finit cette année-là en tête des ventes.

Commencée dans la salle de billard du domaine, cette aventure industrielle se poursuit à la conquête des marchés ouverts par la mondialisation, tout en restant attachée au territoire où elle garde aujourd’hui ses racines. C’est peut-être cet ancrage dans la ruralité, d’ailleurs, autant que l’esprit de ses fondateurs qui ont forgé l’ADN de MPO : innover pour exister.

Aujourd’hui, 28 presses tournent en continu. En 2012, à la reprise des ventes de vinyles, seules 16 machines étaient encore opérationnelles, il a fallu en faire venir 10 du Venezuela et les réparer directement dans l’usine. Désormais, MPO a son propre atelier de fabrication de presses.
Aujourd’hui, 28 presses tournent en continu. En 2012, à la reprise des ventes de vinyles, seules 16 machines étaient encore opérationnelles, il a fallu en faire venir 10 du Venezuela et les réparer directement dans l’usine. Désormais, MPO a son propre atelier de fabrication de presses. Constance Decorde

Quand, dans les années 80, le disque optique fait son apparition, la PME ne se laisse pas impressionner par Sony et Philips, les géants du marché. Elle s’engage dans la bataille, s’internationalise (Etats-Unis, Thaïlande) et devient l’un des leaders mondiaux, sous l’impulsion des fils du couple de Poix, Loïc et Serge, qui ont pris la relève. Une stratégie de développement horizontal vers d’autres supports donc, doublée par la suite d’une diversification verticale dans les services.

Dates clés

• 1957 : création des Moulages plastiques de l’Ouest par Pierre et Monique de Poix ; pressage des premiers disques vinyles le 26 octobre.
• 1983 : production des premiers CD MPO.
• 2003 : leader mondial du pressage de CD.
• 2009 : première édition du Disquaire Day en Europe.
• 2010 : naissance de la marque MPack, dédiée au packaging.
• 2012 : naissance de la marque MLink, dédiée à la logistique ; fabrication de 3 millions de vinyles.
• 2017 : fabrication de 16 millions de vinyles.

Mais revenons à nos sillons. En 2010, dans l’atelier historique d’Averton, près de Villaines-la-Juhel, seule une équipe de 25 employés reste affectée au vinyle. Les ventes sont au plus bas. Si le célèbre support n’a pas encore complètement disparu des bacs, maintenu en vie par une poignée d’artistes comme Daft Punk, la situation est critique. On envisage de cesser la production. Mais Monique de Poix n’arrive pas à s’y résoudre. L’histoire d’amour a beau ne plus être exclusive, elle est tenace. « C’était le bébé historique, on a continué, même si ce n’était pas rentable, se souvient Alban Pingeot. La vérité, c’est que personne n’avait pressenti son retour. »

Le vinyle, de retour pour longtemps ?

Au rez-de-chaussée de l’usine, on aperçoit les opérateurs en blouse derrière les longs couloirs vitrés. Une odeur de chimie et de plastique monte aux narines des visiteurs. Le chemin des vinyles débute à la réception des laques originales envoyées par les labels. Depuis dix-sept ans, Roselyne Le Morillon s’assure d’un œil expert que le signal radio, creusé en sillon dans la résine, ne comporte ni point ni griffe. « Le retour du vinyle, ça fait drôle. C’était très calme, et puis ça a repris. Je n’en écoute pas, mais ce travail me plaît, je ne m’en lasse pas. »

A l’atelier finition de la galvanoplastie, Jimmy, 30 ans, arrivé chez MPO il y a quelques mois, termine le travail avec le polissage et la forme de la matrice.
A l’atelier finition de la galvanoplastie, Jimmy, 30 ans, arrivé chez MPO il y a quelques mois, termine le travail avec le polissage et la forme de la matrice. Constance Decorde

Son studio donne sur l’atelier de galvanoplastie, où officient Jean-Michel Houdou et son équipe, chargés de transformer ces précieuses gravures en matrices destinées aux presses. Ici, un double bain de nickel permet de fixer par électrolyse l’empreinte de 7 000 gravures par mois sur un support solide. Certaines des machines ont plus de quarante ans. Quand la demande est repartie, on a repris les anciens du vinyle réaffectés au CD, désormais en perte de vitesse de 10 à 12 % par an.

La roue tourne. Et pour la transmission aux plus jeunes, Jean-Michel Houdou s’est adapté à son temps : « J’ai réalisé des tutoriels vidéo de chacune des étapes. » Même adaptation de l’appareil industriel au stade suivant, celui du pressage. Un frémissement de reprise arrive des Etats-Unis en 2012. A ce moment-là, seules 16 machines sont opérationnelles sur les 65 que l’entreprise comptait. Insuffisant pour satisfaire les commandes. La solution est trouvée à des milliers de kilomètres de là, au Venezuela, où 10 vieilles presses délabrées sont rachetées, puis réparées par l’équipe de maintenance.

Dans l’un des studios, un employé DE MPO ausculte au microscope les vinyles retournés par les clients afin de vérifier s’ils sont effectivement défectueux et, le cas échéant, de rechercher l’origine du problème.
Dans l’un des studios, un employé DE MPO ausculte au microscope les vinyles retournés par les clients afin de vérifier s’ils sont effectivement défectueux et, le cas échéant, de rechercher l’origine du problème. Constance Decorde

En cinq ans, MPO a investi plus de 5 millions d’euros dans le vinyle, qui occupe à présent 150 employés. Dans le même temps, la production a augmenté de 30 % par an, passant de 3 millions de disques en 2012 à 16 millions en 2017. La société est aujourd’hui dans le top 3 des producteurs européens, et le microsillon assure 30 % de son chiffre d’affaires. Plus que de la résistance. Ce sont donc 28 presses qui tournent aujourd’hui à plein régime, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, aplatissant entre les matrices d’épaisses galettes obtenues à partir des billes de polychlorure de vinyle, du traditionnel noir aux teintes les plus vives, modernité oblige.

La musique des machines remplace celle du futur produit, pour l’instant 100 % industriel. Comble de l’ironie pour les mélomanes, aux murs sont fixés des distributeurs de protections auditives colorées. Pour Dominic Dugué, opérateur chez MPO depuis quarante-deux ans, la technique a peu changé. On recycle les bavures de la découpe, et les galettes sont automatiquement glissées dans leur souspochette de papier.

Le marché du vinyle en 2016 dans le monde :

• Un marché d’environ 1 Md €.
• Capacités de production annuelles : 110 M de disques (dont 75 M en Europe et 33 M aux Etats-Unis).
• 68 % des vinyles vendus sont des albums de rock.
• 60 % des titres sont des éditions et 40 %, des rééditions.

La fierté, elle, reste la même. Il faut en moyenne trois secondes pour presser un CD, vingt-trois pour un vinyle. Quand on en produit des millions, cela compte. Pour Alban Pingeot, ce n’est cependant pas là le plus important : « La problématique numéro un, ce sont les personnes. La numérisation a fait perdre une certaine rigueur du produit. Le numérique, c’est une suite de 0 et de 1, la machine contrôle tout. Dans l’analogique, c’est l’humain, ses yeux et son oreille qui font la différence. La qualité du produit final est beaucoup plus liée à l’expérience. »

Un vinyle en phase de finition.
Un vinyle en phase de finition. Constance Decorde

Une expérience incarnée à merveille par Martine Marchand, quarante et un ans chez MPO. Sur sa platine Thorens, elle écoute entre 40 et 50 échantillons par jour, à la recherche du moindre sifflement. « Heureusement, j’ai un goût assez large. Il y a beaucoup de boum-boum. Tout à l’heure j’écoutais Rod Stewart, c’est plus mon époque ! » observe-t-elle. Dans le studio insonorisé s’élèvent les accents folk rock de Bread, un groupe californien des années 70. De la musique, enfin ! La chorégraphie industrielle s’achève à l’emballage, quand les vinyles retrouvent manuellement les pochettes cartonnées qui font tant pour leur succès commercial et pour le plaisir des artistes, heureux de se matérialiser à l’ère du numérique.

Quelques-uns des albums les plus édités ces dernières années (Blackstar, de David Bowie, Lemonade, de Beyoncé) ou réédités (l’intégrale des Beatles, Thriller, de Michael Jackson) sont, eux, passés par la nouvelle ligne automatisée. Mais pas question d’en rester là. Fidèle à son leitmotiv, l’entreprise continue d’innover. Dernier-né de la R&D, le premier vinyle connecté au monde, développé avec le DJ Wax Tailor et la start-up Yes It Is. L’insertion d’une puce NFC dans le disque permet d’accéder à l’univers de l’artiste – ses clips, son actualité – et de pré écouter son album.

Les entrepôts logistiques, d’où sont expédiés les vinyles.
Les entrepôts logistiques, d’où sont expédiés les vinyles. Constance Decorde

MPO surfe en effet sur une nouvelle clientèle. Le tiers des achats est réalisé par des moins-de-30-ans. Autre surprise des études de marché : plus de la moitié des acheteurs n’ont pas l’intention d’écouter leurs vinyles, et certains n’ont même pas de platine chez eux ! Le futur du produit se trouve sans doute dans ce mariage du physique et du numérique.

Selon Alban Pingeot, ils sont complémentaires : « Le numérique met en lumière la qualité du produit physique, il ne le remplacera pas. Les deux ont des objectifs différents. On consomme du streaming tous les jours, moi le premier. Mais le week-end, je mets un vinyle, je prends le temps de m’asseoir, et c’est une autre expérience. C’est comme de feuilleter un beau livre, le toucher, le sentir, le regarder, pas forcément le lire. Le vinyle, c’est de l’épicerie fine. »

Le cas du vinyle est unique au monde. Une technologie artisanale analogique est en train de supplanter une technologie numérique. Reste que personne, pas même le patron de MPO, n’a totalement percé le mystère de la reprise : « On ne sait pas si cela va durer. Ce qui est sûr, c’est que cela fait six ans que le vinyle est reparti, et c’est déjà mieux que les smartphones nouvelle génération, qui en durent à peine deux ! » Ce qui est sûr, également, c’est que chez MPO, on a l’habitude de s’adapter. Et de surprendre.

Le marché du vinyle en 2016 en France :

• 1,7 M de vinyles vendus.
• Plus de 300 boutiques participent au Disquaire Day, avec plus de 5 000 références.
• 33 % des acheteurs ont moins de 30 ans, 27 % entre 30 et 39 ans, 40 % plus de 39 ans.


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