×
veronica

The Good Business

Low cost : traversée d’une zone de turbulences

The Good Business

Longtemps innovantes et sans rivales, la britannique EasyJet et l’irlandaise Ryanair se retrouvent aujourd’hui fragilisées par une concurrence multiforme. Face à la chute des bénéfices ou à des défaillances opérationnelles, les deux compagnies stars du low cost doivent revoir leur stratégie et trouver une nouvelle place sur un marché aérien en pleine transformation.

Has been, le modèle des compagnies low cost ? Après vingt ans d’une croissance et d’une rentabilité insolentes, les deux trublions de l’aérien connaissent leurs premières déconvenues. Depuis l’été dernier, Ryanair ne parvient pas à calmer la grogne de ses pilotes et enchaîne les dysfonctionnements sur le tarmac. Avec un taux de ponctualité en baisse de 10 %, son efficacité opérationnelle marque le pas. La pionnière du hard discount aérien finira par annoncer la suppression pure et simple de plus de 18 000 vols sur 35 destinations entre novembre 2017 et mars 2018, affectant ainsi plus de 400 000 passagers.

Matée, la rebelle irlandaise se pliera même au dialogue social en autorisant la création d’un syndicat de pilotes. Au même moment, sa cousine EasyJet présente ses résultats annuels et trébuche sous l’effet du Brexit et de la dévaluation brutale de la livre face au dollar. La compagnie britannique accuse une chute de 30 % de son bénéfice net qui atteint « seulement » 343 millions d’euros pour son dernier exercice, clos en septembre 2017. Malgré cette série noire, on aurait tort d’enterrer trop vite le modèle des deux championnes du low cost européen. « C’est vrai que la prime à l’innovation se réduit. Le modèle est aujourd’hui largement appliqué par d’autres. Mais les fondamentaux restent bons et il y a de nouvelles opportunités à saisir pour ces compagnies réputées agiles », déclare Eric Jacquet, associé chez KPMG, spécialiste du secteur aérien.

Ryanair, que l’on déclare parfois un peu trop rapidement fragile, affiche à nouveau des résultats record pour son activité 2016-2017. Sa marge béneficiaire continue de progresser et atteint 24,6 % – un taux exceptionnel pour l’industrie aérienne (à comparer avec les 1,6 % d’Air France ou 5,7 % de Lufthansa) –, pour un chiffre d’affaires de 6,6 milliards d’euros. L’irlandaise a poursuivi sa logique d’expansion en ouvrant 206 nouvelles lignes, dont 10 nouvelles destinations, et a vu le nombre de ses passagers augmenter de 13 %, soit au total 120 millions de personnes.

La française La Compagnie propose des vols full business pour New York à prix cassés.
La française La Compagnie propose des vols full business pour New York à prix cassés. DR

Ces performances semblent donc contredire ceux qui voient une impasse dans son positionnement pur et dur de hard discounter et sa présence sur les aéroports secondaires. Les fondamentaux d’EasyJet restent également solides, malgré une baisse de sa rentabilité, avec un nombre de passagers record de 80,6 millions, en hausse de 9,7 %, et un taux de remplissage de 92,6 % pour son dernier exercice.

Du low cost à toutes les sauces

Certes, leur modèle continue à prouver son efficacité, mais les deux stars du low cost font face, depuis quelques années, à une concurrence sans merci, aussi bien de la part des grandes compagnies aériennes historiques que de petites compagnies dynamiques positionnées sur des niches. Les « majors » de l’aérien ont repris l’offensive pour récupérer leurs parts de marché perdues sur le court et le moyen-courrier. Elles ont optimisé leur modèle opérationnel, se sont restructurées et ont appliqué le modèle low cost.

Chacune est désormais flanquée de sa filiale à bas coûts : Air France, avec Transavia et Joon ; British Airways, avec Vueling ; Lufthansa, avec Germanwings ; Singapore Airlines, avec Scoot ; l’australienne Qantas, avec Jetstar ; ou encore la japonaise ANA, avec Peach. Autre phénomène, l’offre low cost, désormais plus mature, s’est diversifiée autour de nouveaux challengers. Norwegian a réussi le pari risqué de faire du low cost sur les long-courriers. La compagnie scandinave propose des vols transatlantiques au départ de Roissy-CDG à destination de New York, de Los Angeles et de Fort Lauderdale, en Floride, à des prix défiant toute concurrence – autour de 179 euros l’aller simple pour New York.

Air France vient de créer une toute jeune filiale, Joon, qui se veut « techno » et attractives pour les millennials.
Air France vient de créer une toute jeune filiale, Joon, qui se veut « techno » et attractives pour les millennials. DR

La française La Compagnie, elle, s’est lancée dans les vols full business pour New York à prix cassés. Enfin, à l’autre bout du spectre, WizzAir joue la carte de l’ultra-low cost. La petite hongroise applique à la lettre le modèle de gestion de Ryanair en se concentrant sur des routes d’Europe centrale et d’Europe orientale. Aujourd’hui, son coût du siège par kilomètre fait partie des plus bas d’Europe. Dans cette course effrénée à l’innovation, les initiatives continuent de fleurir sur un marché déjà bien encombré. Air France vient ainsi de créer une toute jeune filiale, Joon, perçue par certains comme low cost dans ses tarifs moyen-courriers (à partir de 39 euros un aller simple en classe économique), mais qui se veut aussi, et surtout, « techno » et attractive pour les Millennials, fonctionnant en mode start-up. Ses premiers vols long-courriers sont attendus au printemps 2018.

Il faut dire que les grandes compagnies prennent très au sérieux la menace de l’offre à bas coûts sur le long-courrier, qui représente déjà 6 % du marché transatlantique. L’été dernier, le groupe IAG, la maison mère de British Airways et d’Iberia, a frappé la première avec ses premiers vols longue distance, au départ de Barcelone, de sa filiale Level.

 

Norwegian a réussi le pari risqué de faire du low cost sur les long-courriers.
Norwegian a réussi le pari risqué de faire du low cost sur les long-courriers. DR

La stratégie du « middle cost »

Face au développement de la concurrence et à l’émergence de ce que les spécialistes appellent des modèles hybrides, une combinaison de low cost et d’offres traditionnelles, EasyJet a senti le vent tourner. Pragmatique, la compagnie a élargi son positionnement vers du « middle cost ». En se rapprochant des aéroports principaux, en concevant des services adaptés et en nouant des alliances, elle monte en gamme. La clientèle business représente aujourd’hui plus de 20 % de ses passagers.

Mieux, elle investit dans l’innovation, quitte à enregistrer de moins bonnes performances financières. Sa marge bénéficiaire de 9,6 % est nettement plus faible que celle de sa rivale Ryanair, mais, selon les experts, la britannique devrait, à terme, récolter les fruits de ses choix stratégiques. Active dans le développement de l’intelligence artificielle, de la maintenance prédictive en partenariat avec Airbus, ou encore dans les objets connectés, EasyJet répond aux enjeux de la numérisation de l’aérien.

En septembre dernier, elle a lancé une plate-forme de réservation en s’associant avec Norwegian et la compagnie low cost canadienne WestJet. Présente sur tous les fronts, elle reprendra, avec Lufthansa, une partie des actifs d’Air Berlin. Par ailleurs, l’arrivée sur le marché d’avions plus économes, plus écologiques et dotés d’une meilleure autonomie – dans la lignée des Neo d’Airbus – représente une opportunité pour le modèle low cost. « Ces compagnies ont les moyens d’investir dans une flotte d’avions de nouvelle génération, plus économes en carburant. C’est un élément clé pour les coûts d’exploitation. Par ailleurs, la mise sur le marché de seconde main des premiers A380 peut accélérer le développement des low cost long-courrier », explique Alain Guillot, associé chez Alix Partners.

La compagnie Easyjet, confrontée à une concurrence multiforme, connait ses premières déconvenues.
La compagnie Easyjet, confrontée à une concurrence multiforme, connait ses premières déconvenues. DR

En novembre dernier, la commande historique de 430 moyen-courriers A320 Neo pour une valeur de 42 milliards d’euros passée à Airbus par le fonds américain Indigo, répartie entre quatre compagnies low cost (Wizz Air, Frontier Airlines, Volaris et JetSmart), s’inscrit dans ce mouvement et inaugure les premières actions de mutualisation. Assagi, plus mature, le modèle low cost fait désormais partie du paysage aérien et montre sa capacité à s’adapter à un nouvel environnement.


Voir plus d’articles sur le sujet
Continuer la lecture