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Les œuvres de Daniel Arsham. Moving Architecture au VDNH de Moscou en 2017.
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Arts : Visions postapocalyptiques et créations contemporaines

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Face aux phénomènes de réchauffement climatique, d’avancées de l’intelligence artificielle ou de surconsommation, les utopies des siècles passés ont laissé place aux dystopies. Qu’il s’agisse de sculpture, de peinture, d’architecture ou de cinéma, les créations contemporaines témoignent d’une vision globalement sombre de l’avenir.

Vision : de Jules Verne à « Blade Runner »

Comme le rappellent Christophe Canto et Odile Faliu dans l’ouvrage Le Futur antérieur, souvenirs de l’an 2000 (Flamarion, 1993), le XIXe siècle et le tout début du XXe ont multiplié les visions idylliques d’une société portée par « les premiers succès populaires de la science et de la grande industrie, relayés par un pressentiment sincère et répandu (…) d’un développement à vitesse constante, d’un progrès perpétuel et sans heurts ». Jules Verne invente alors le roman scientifique, avec sa cohorte de voyages extraordinaires sur la Lune et de plongées dans les abysses.

Quant aux artistes futuristes, emmenés dans les années 1910 par Filippo Tommaso Marinetti, ils célèbrent l’avènement des grandes machines modernes – train, voiture, avion –, et leurs œuvres, qu’il s’agisse de peintures, de sculptures ou de films, scellent le triomphe de la vitesse qui transforme la conception de l’espace et du temps. Un siècle plus tard, le monde déchante, et chaque nouveau progrès, loin d’augurer d’un monde meilleur, est perçu au contraire comme une possible menace. Ainsi que le déclare le philosophe Paul Virilio, « inventer le train, c’est inventer le déraillement. Inventer l’avion, c’est inventer le crash. Inventer l’arme atomique, c’est inventer la prolifération nucléaire. Autrement dit, la vitesse est un progrès. Mais également un progrès de la catastrophe. »

La planète chancelle à tous les étages et le futur se lit à l’aune de ce que notre présent, peu réjouissant, nous réserve déjà. Le triomphe des machines, la surproduction et son corollaire, la société de consommation, sont les déclencheurs d’une pollution dévastatrice et d’une modification du climat. L’informatique et les nouveaux réseaux génèrent un monde régi par une surveillance généralisée. Les progrès dans la biologie aboutissent à la sélection génétique. Les avancées de l’intelligence artificielle et de la robotique mettent en péril la suprématie de l’homme…

Toutes les utopies des siècles passés se sont inversées en dystopies et on ne compte plus le nombre de romans à la tonalité postapocaly­ptique, de J. G. Ballard, dont c’est la marque de fabrique sur l’ensemble de l’œuvre, à Cormac Mc­Carthy, l’auteur de l’inoubliable La Route. Même tonalité dans le cinéma, où l’apocalypse se vit sur grand écran. Quand la Terre n’est pas entièrement recouverte d’eau suite à la fonte des glaces (Waterworld, de Kevin Reynolds), elle subit une sécheresse qui stérilise les sols et contraint les Terriens à manger des produits de synthèse (Soleil vert, de ­Richard Fleischer), à moins qu’elle n’entre en collision avec une autre planète (Melancholia, de Lars von Trier).

La fin du monde, imaginée par Lars von Trier, dans Melancholia.
La fin du monde, imaginée par Lars von Trier, dans Melancholia. DR

Quand l’homme se veut surpuissant ou éternel, à l’image de Dieu, il invente l’eugénisme à grande échelle (Bienvenue à Gattaca, d’Andrew Niccol), crée des sous-hommes dont les corps sont des boîtes à outils pour d’autres (Never Let Me Go, de Mark Romanek) ou bien se réincarne dans un corps cybernétique qui a l’apparence et la puissance d’un robot (RoboCop, de Paul Verhoeven). Quand l’intelligence artificielle déraille, elle produit des machines folles qui s’autonomisent des hommes (Terminator, de James Cameron), des mutants androïdes (Blade Runner, de Ridley Scott) ou encore des machines si bien « humanisées » qu’une confusion fatale naît entre le réel et le virtuel (Her, de Spike Jonze).


Une oreille dans l’avant-bras

Le pire est à venir avec les biotechnologies et, sur ce terrain, les artistes contemporains ont pris un train d’avance sur tous les autres créateurs. L’une des entreprises les plus folles de l’école actuelle du bio-art est sans doute celle de l’Australien Stelarc, qui s’est fait implanter dans l’avant-bras gauche une oreille équipée d’un micro et d’un émetteur Bluetooth. Cette oreille technologique est appelée à devenir, après le téléphone ou l’ordinateur, une nouvelle extension de son corps, lui permettant d’être en liaison avec l’ensemble de la planète. « De plus en plus, les gens deviennent des portails Internet, a-t-il déclaré à l’Australian Broadcasting Corpo­ration. Imaginez que je puisse entendre avec les oreilles de quelqu’un à New York, imaginez qu’au même moment je puisse voir avec les yeux de quelqu’un à Londres… »

Autre chimère, le pétunia transgénique d’Edouardo Kac. L’artiste ­américano-brésilien a créé, avec une équipe de généticiens, une fleur qui est un hybride de son ADN et de celui d’un pétunia. Sur ce nouvel être, qui est à la fois végétal et humain, coulent les veines rouges d’Edouardo Kac, qui se positionne ainsi dans le vif débat sur les OGM. Ces artistes-là ne se contentent plus d’imaginer l’avenir, ils le façonnent. « Ils accompagnent non seulement les scientifiques, mais devancent leurs résultats et programmes de recherches en n’hésitant pas à franchir les limites de domaines juridiquement et éthiquement encadrés », précise même Magali Uhl, professeur de sociologie à l’université du Québec, à Montréal. L’art serait-il devenu le laboratoire du futur ? Dans ses versions « bio-catastrophiques » comme dans ses versions « techno-prophétiques », il ne laisse en tout cas guère place à l’espoir.

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