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L’intégration culturelle des migrants par l’éducation et la multiplication des mariages mixtes devraient confirmer le scénario d’une montée des « nations arc-en-ciel »
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Explosion démographique : bombe à retardement ou pétard mouillé ?

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A l’heure actuelle, la planète compte plus de 7,3 milliards d’êtres humains, presque trois fois plus qu’en 1950. Combien serons-nous en 2038 ? Et à la fin du siècle ? Les démographes sont loin d’être d’accord sur les perspectives. Vieillissement des populations, phénomènes migratoires, natalité, impacts climatiques… la Terre change de physionomie plus vite qu’on ne le croit !

Certains poussent déjà un « ouf » de soulagement ! Après avoir presque quadruplé au XXe siècle, le nombre d’habitants sur Terre ne devrait plus croître que de moitié au XXIe

L’explosion démographique : fantasme ou réalité ? 

Les démographes de l’International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA) avancent qu’après 2070 la population mondiale devrait stagner à 8,9 milliards d’êtres humains. Même si elle entre dans une phase de décroissance, elle devrait grimper jusqu’à 11 milliards en 2100, estiment, de leur côté, les analystes de l’ONU. Mais une troisième voix dit tout le contraire. Deux universitaires australiens, Corey Bradshaw et Barry Brook (@bravenewclimate), annoncent, eux, une hécatombe d’ici à 2100. Stupéfaction ! D’après leurs projections fondées sur la multiplication des catastrophes climatiques, des pandémies et des guerres, pas moins de 6 milliards d’êtres humains décéderont dans les années 2040.

Pas de panique ! « La prévision est souvent utilisée comme moyen de théâtraliser les peurs, souligne Hervé Le Bras, démographe, professeur à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales). Je me méfie des prévisions à long terme. On n’a pas les moyens ni les outils pour prévoir à plus de dix ans. Au-delà de ce temps, ce n’est pas raisonnable. Il y a beaucoup trop d’incertitudes. La démographie est surtout un moyen d’analyser les évolutions des sociétés par le long terme. Il n’y a de démographie qu’historique. » Voilà qui rassure… ou pas. En tout cas, en dépit de ce que prévoyait, dans les années 60, le biologiste américain Paul R. Ehrlich dans un ouvrage alarmant, La Bombe P (P, comme « population »), le risque d’explosion démographique semble s’approcher moins vite que prévu.

Un tiers des Européens auront plus de 65 ans en 2040.

L’Europe, qui est passée, en un siècle, d’une natalité et d’une mortalité très élevées à une baisse du nombre de naissances, couplée à un quasi-doublement de l’espérance de vie, verra sa démographie confrontée à un vieillissement de ses habitants. Non seulement ils resteront en bonne santé jusqu’à des âges de plus en plus avancés, mais les pays dans lesquels ils vivront continueront de prospérer au même rythme qu’aujourd’hui. Voyez l’Allemagne : vieillissante mais en bonne santé, son économie est l’une des plus dynamiques et des plus innovantes dans le monde. Comme le Japon, qui est le pays où les gens vivent le plus longtemps, devant Hong Kong et… la France. Le point noir de la démographie se situe en Afrique, entre le Sahel et l’Afrique équatoriale, sur un continent où 40 % des grossesses actuelles ne sont pas désirées. C’est là que l’explosion des naissances atteint des chiffres records. Entre six et sept enfants par femme au Niger contre deux en France et 1,6 en Chine. C’est aussi là, en Afrique noire, que la mortalité infantile est la plus élevée. Quinze fois plus que dans les pays riches.

Lagos, la plus grande ville du Nigeria et du continent africain recense près de douze millions d’habitants intra-muros.
Lagos, la plus grande ville du Nigeria et du continent africain recense près de douze millions d’habitants intra-muros. DR

Problème clé pour l’avenir de la planète, « l’Afrique s’emballe », s’inquiète Henri Leridon, directeur de recherche à l’Institut national des études démographiques (Ined). Inquiétude d’autant plus vive que la transition climatique, elle-même, est loin d’être contenue. Au total, 2 ou 3 milliards d’habitants supplémentaires sont attendus sur Terre. Si la population africaine continue de se multiplier, les ressources de la planète risquent alors de manquer. Les pays développés continueront de consommer dans la démesure, tandis que l’enrichissement des nations émergentes (Chine, Inde…) entraînera un besoin croissant en eau, en sol disponible et en énergie. « La mondialisation des classes moyennes et leur augmentation très rapide en Inde et en Chine auront des répercussions majeures sur la demande de biens de consommation, et donc sur la disponibilité des ressources naturelles », fait observer Virginie Raisson, présidente du laboratoire d’études prospectives et d’analyses cartographiques – Lépac (@laboLEPAC), dans son ouvrage 2038, les futurs du monde, paru chez Robert Laffont fin 2016.

L’immigration : une variable d’ajustement

Cette question se trouve au cœur du débat démographique, reconnaissent les spécialistes des mouvements de populations. Certes, l’homme migre depuis son apparition sur Terre. Et cela lui a plutôt réussi pour satisfaire aux équilibres économique et humain, bien que, dans nombre de cas, la mobilité des populations se soit effectuée au prix de beaucoup de souffrances. Mais jamais la volonté de changer de pays n’a été aussi forte qu’actuellement. Et le mouvement ne peut que s’amplifier. « Depuis les années 70, explique Jay Winter, professeur d’histoire à l’université Yale, la migration est devenue la variable la plus importante, la plus instable, donc la plus intéressante. »

L’intégration culturelle des migrants par l’éducation et la multiplication des mariages mixtes devraient confirmer le scénario d’une montée des « nations arc-en-ciel ».
L’intégration culturelle des migrants par l’éducation et la multiplication des mariages mixtes devraient confirmer le scénario d’une montée des « nations arc-en-ciel ». Zoé

La nouveauté ? Les grands flux migratoires sont marqués par une tendance à l’immigration choisie. Les migrants changent en effet de visage. On observe une diversification des pays de provenance et de destination, ainsi que des formes prises par l’immigration dans les pays riches. Le premier effet de ce phénomène est le multiculturalisme. On parle désormais de « nation couleur arc-en-ciel ». Aux Etats-Unis, il y avait, du temps du président Kennedy, 85 % de Blancs. Cent ans après, avec l’arrivée de 40 millions d’immigrants, pour moitié latino-américains et pour un tiers asiatiques, les Blancs ne représenteront plus que 43 % de la population du pays. Le même type de tendance s’observe en Australie, avec un accroissement de 12 % de la population d’origine asiatique (Indiens compris).

Pour beaucoup, il faudra bien trouver de quoi se nourrir. Et pour certains, la seule solution, ce sera la migration.

D’après une étude de l’Ined menée en 2017 par Tom Wilson, démographe à l’université Charles-Darwin (Australie), sur les 24 millions d’Australiens, le taux de personnes nées à l’étranger est de 28 %. C’est l’un des plus élevés du monde. Le Prix Nobel d’économie 1993, Robert Fogel, soutient qu’à l’horizon 2040 les Chinois disposeront d’un salaire deux fois supérieur à celui des Européens. La Chine deviendra ainsi, selon lui – mais tout le monde ne fait pas le même constat –, la première puissance mondiale, loin devant les Etats-Unis, l’Inde et l’Union européenne.

L’agglomération de Delhi compte au total 25 millions d’habitants, ce qui en fait, en 2015, la quatrième plus peuplée du monde.
L’agglomération de Delhi compte au total 25 millions d’habitants, ce qui en fait, en 2015, la quatrième plus peuplée du monde. Igor Ovsyannykov

Urbanisation galopante, problèmes d’accessibilité et de desserte dans les villes, pollutions diverses et en constante augmentation, obligations d’économie d’énergie, nous vivons déjà à l’heure de l’explosion des mégapoles, particulièrement en Asie et en Afrique. Il y aura près de 2 milliards de citadins de plus en 2040. L’intégration culturelle des migrants par l’éducation et la multiplication des mariages mixtes devraient confirmer le scénario d’une montée des « nations arc-en-ciel ». Une étude du Pew Research Center, menée en 2014 et intitulée « The Next America », s’interroge : dans trente ans, nos catégories raciales ­actuelles auront-elles encore un sens ? Peut-être pas. A moins que les crispations identitaires des nations craintives ne viennent bousculer cette transition démographique.

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