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Séance de tai-chi devant les magnifiques bâtiments coloniaux du Bund, qui s’étend sur 1,5 km.
Séance de tai-chi devant les magnifiques bâtiments coloniaux du Bund, qui s’étend sur 1,5 km.
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The Good Business

Le Bund, vitrine historique d’une ville en pleine renaissance

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C’est le boulevard-vitrine de Shanghai par excellence. Une longue enfilade d’anciens bâtiments coloniaux européens s’étendant le long de la rive ouest du Huangpu. Désavoué pendant l’ère communiste, le Bund connaît une spectaculaire résurrection contemporaine et cristallise l’ambition de Shanghai de s’établir comme ville mondiale.

Dans un cycle infernal de destruction-reconstruction, la frénésie d’urbanisation que connaît Shanghai consiste bien souvent à faire table rase du passé. La survivance du Bund, véritable palimpseste, semble ainsi faire figure d’exception. Le quartier commence au sud, à Yan’an Road, et se poursuit, au nord, jusqu’au pont Waibaidu. Dès le début de la promenade, le panorama est étourdissant.

Les anciens bâtiments coloniaux européens font face aux gratte-ciel modernes de Lujiazui, de l’autre côté de la rive. L’horizontalité face à la verticalité. Deux interprétations de la grandiloquence s’opposent dans un face-à-face spectaculaire, où une certaine vision du passé répond aux ambitions de l’avenir. Le bund (terme anglo-ourdou, pour « rive boueuse ») est appelé waitan en chinois (« la berge des étrangers »), ce qui nous ramène à l’époque coloniale des concessions étrangères.

The China Merchants Company Building a été construit en 1907.
The China Merchants Company Building a été construit en 1907. DR
The Union Building.
The Union Building. François Mouysset

En 1842, le traité de Nankin met fin à la première guerre de l’Opium et désigne Shanghai comme l’un des cinq ports chinois ouverts au commerce occidental. La morphologie de la ville se dessine au gré de cette cohabitation pragmatique entre Chinois et Occidentaux. Le Bund devient le seul lieu autorisé pour l’implantation des entreprises étrangères qui y installent leurs entrepôts et surveillent le va-et-vient des navires. C’est là que s’établit la concession internationale.

L’essor économique de la ville et la prospérité grandissante transforment rapidement le quai de débarquement boueux en l’une des avenues les plus convoitées de Chine – banques, compagnies de commerce et d’assurances européennes ont pignon sur rue. La société de loisirs ne tarde pas à y prendre ses quartiers et à reproduire un microcosme d’élite. Le Bund se met à la mode des mondanités occidentales. Considéré comme la panacée du luxe et du raffinement, l’Astor House Hotel devient, en 1846, le premier établissement hôtelier à s’installer en Chine, sous le nom de Richard’s Hotel & Restaurant – déplacé en 1858, il se trouve aujourd’hui au nord du Bund. Le Shanghai Club, impressionnant bâtiment baroque, est établi en 1861 pour accueillir le gratin britannique. Le parc Huangpu, premier parc public en Chine, est aménagé en 1886, mais son accès est interdit aux Chinois (et aux chiens) jusqu’en 1928.

La folle époque

Le Bund devient alors une première vitrine clinquante de Shanghai et cristallise une identité complexe, à la fois symbole de son aisance économique et de sa colonisation. C’est pendant l’entre-deux-guerres qu’apparaissent les édifices de prestige et les bâtiments massifs mêlant béton armé et structures métalliques, caractéristiques de l’architecture de l’époque. Le Bund bat son plein au rythme jazz des années folles et permet au mythe glamour de voir le jour.

De gauche à droite, Shanghai Club, Union Building, China Merchants Company Building et Chartered Bank Building.
De gauche à droite, Shanghai Club, Union Building, China Merchants Company Building et Chartered Bank Building. Simon Fieldhouse

Aujourd’hui, la succession de toutes ces bâtisses offre, au mieux, un mélange audacieux et disparate. On y trouve pêle-mêle les styles gothique, baroque, roman, néoclassique, Beaux-Arts ou encore Art déco.

Le Bund vu par Simon Fieldhouse

Artiste australien spécialisé dans les dessins de monuments historiques et de sites, bien qu’il produise une plus large gamme d’œuvres d’art, Simon Fieldhouse a produit une série complète des bâtiments historiques sur le Bund de Shanghai, avec une numérotation précise des bâtiments individuels.

  • Shanghai Club, abritant aujourd’hui l’East Wind Hotel. Edifié en 1861 dans un style baroque, il est détruit et reconstruit en 1910 dans un style néoclassique.
  • Union Building, sièges de diverses compagnies d’assurances. Construit en 1916, il s’agit du premier projet des architectes Palmer & Turner. De style néo‑Renaissance, il présente une façade symétrique et des éléments baroques.
  • China Merchants Company Building, construit en 1907. C’est l’un des bâtiments les plus symboliques du processus de modernisation. Il s’agit d’un exemplaire unique d’architecture néoclassique de l’ère victorienne.
  • Chartered Bank Building, érigé en 1923 dans un style néogrec. Il abrite une boutique Cartier, le Bar rouge et le restaurant Mr & Mrs Bund. Deux lions, symboles de la banque britannique, trônent de part et d’autre de l’entrée.

La série complète est disponible sur le site de Simon Fieldhouse.

Cette profusion architecturale témoigne de la libre entreprise et du cosmopolitisme de l’époque. Elle contribue, a posteriori, à forger le mythe d’un certain âge d’or. Le réveil de 1949 est brutal. Avec l’avènement du totalitarisme maoïste commence une longue période de disgrâce pour Shanghai. On lui reproche son luxe, ses excès et ses décadences.

Le « Paris de l’Orient » sombre dans l’oubli collectif pendant que ses bâtiments décrépissent doucement.

Son passé colonial est vécu comme une humiliation. On ne lui pardonne ni sa percée dans la modernité, ni sa prospérité, alors que le reste de la Chine est encore loin derrière. Heureusement, par manque de moyens financiers, aucun monument ancien du Bund n’est détruit pendant cette période. Les murs restent, les locataires changent. Le siège d’HSBC devient celui de la municipalité shanghaïenne.

Un passé désormais exemplaire

L’inertie dure quelques décennies, jusqu’en 1978, date à laquelle Deng Xiaoping lance une vaste politique de réforme visant à faire entrer la Chine dans le système mondialisé. Dans les années 90, le dirigeant décide de faire de Shanghai la tête de pont du système d’économie socialiste de marché.

L’esprit d’entreprise, le cosmopolitisme, la consommation et les divertissements deviennent la nouvelle idéologie de cette société qui s’ouvre au monde.

Le passé de Shanghai est non seulement réhabilité, mais il devient exemplaire. On passe sous silence le colonialisme et l’impérialisme, et on ne garde que les éléments nécessaires au jaillissement d’un nouveau mythe, vision allégorique du Vieux Shanghai. Le pouvoir central capitalise sur cette nostalgie des années 30 pour trouver une légitimité historique. Les hôtels, les boutiques de luxe, les bars et les restaurants concourent à monétiser ce fantasme.

L’Exposition universelle de 2010 est l’occasion rêvée de faire peau neuve. Trois années de rénovations titanesques, pour un coût de plus de 300 millions d’euros, visent à adapter le fantasme aux ambitions touristiques des autorités. Sur l’esplanade, tous les regards sont tournés vers le décor futuriste de Lujiazui, quintessence de la modernité. Mais dans cette théâtralisation de l’espace public à tout-va, la confrontation des deux rives n’a rien de subversif. Elles concourent ensemble à établir Shanghai comme ville-monde. La boucle est bouclée.

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