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BBC, les Anglais parlent aux… citoyens du monde
Tout de verre et d’acier, le bâtiment moderne, haut de huit étages, communique avec l’immeuble d’origine, construit en 1932.
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The Good Business

BBC : quand les Anglais parlent à tous les citoyens du monde

The Good Business

Pétrie d’histoire, elle fut, dès 1922, l’une des toutes premières radios du monde à émettre. Bientôt centenaire, elle reste aujourd’hui, en matière de journalisme radio, télévisé ou numérique, une référence, un garant d’expertise et de neutralité pour ses centaines de millions d’auditeurs, de téléspectateurs et d’internautes à travers le globe.

L’imposant et moderne immeuble de verre et d’acier semble s’appuyer sur son vénérable voisin de pierre au style Art déco. Le premier, aux lignes futuristes, joue la transparence avec ses huit étages de baies vitrées surmontés d’une torche lumineuse en hommage à tous les journalistes morts en reportage. L’autre, construit en 1932, dix ans après la naissance de la British Broadcasting Corporation, s’est voulu un temple des arts, évocateur des pouvoirs mystérieux de la radiodiffusion qui propagera la culture d’un bout à l’autre du monde… Sur le fronton de l’entrée monumentale trône une sculpture en pierre des héros de Shakespeare, Prospero et son disciple Ariel, le génie de l’air qui s’envole comme les ondes, tandis que, dans le vaste hall d’entrée en marbre, une statue géante symbolise la diffusion des graines du savoir. « Car, précise Robert Seatter, l’historien attitré de la BBC, le verbe anglais “to broadcast” signifiait, à l’origine, l’action de semer dans un champ de labour. »

Tout de verre et d’acier, le bâtiment moderne, haut de huit étages, communique avec l’immeuble d’origine, construit en 1932.
Tout de verre et d’acier, le bâtiment moderne, haut de huit étages, communique avec l’immeuble d’origine, construit en 1932. JIM WINSLET

En dépit de ces allégories surannées et de près d’un siècle d’architecture qui les rendent si dissemblables, ces deux immeubles ne font qu’un. Ils sont reliés par des couloirs design qui permettent à ses occupants d’enjamber allègrement les ans pour gagner tel ou tel studio d’enregistrement. Manifestement, la BBC a tenu à ce que ses deux sièges trônant au centre de Londres témoignent que, pour chacun de ses 25 000 collaborateurs répartis dans le monde, le passé et le présent du groupe restent indissociables et ses valeurs fondatrices, inoxydables.

« Nous concevons notre mission d’informer aujourd’hui exactement avec les mêmes critères et les mêmes valeurs que ceux des pionniers de la radio voilà près d’un siècle. Ces principes éditoriaux immuables qui font partie de l’ADN de la BBC sont l’exactitude, l’impartialité et l’indépendance », précise Jim Egan, directeur général de BBC ­Global News Ltd. Et pourtant, si les principes des fondateurs restent inchangés, l’institution BBC s’est métamorphosée en raison, notamment, du développement planétaire de sa chaîne d’information télévisée en continu, Global News, regardée dans 440 millions de foyers à travers le monde, mais aussi, au cours de ces deux dernières décennies, avec l’avènement du numérique. « Si on n’aime pas le changement, le journalisme n’est pas le bon secteur où aller travailler, et c’est encore plus vrai à la BBC ! » poursuit Jim Egan, qui ajoute : « Du fait des progrès technologiques, on assiste aujourd’hui à une spectaculaire migration des audiences. Ainsi, le téléphone mobile concentre à lui seul 65 % du trafic online et cette migration n’est qu’un début. »

Ambitieuse et visionnaire

Il suffit de visiter sa newsroom ultra­moderne, la plus grande d’Europe, impressionnante ruche d’expertises journalistiques travaillant 24 heures sur 24, ou d’écouter les projets passionnants de ses journalistes et présentateurs, pour constater que la vénérable BBC est résolument tournée vers l’avenir. Car, au XXIe siècle, elle est toujours aussi ambitieuse et visionnaire, cette radio qui, en juin 1940, ouvrait son antenne à un général français, encore méconnu, pour qu’il appelle ses compatriotes à la résistance, cette BBC pétrie d’histoire qui, entre deux messages d’encouragements de Winston Churchill aux Londoniens sous le Blitz, diffusait des concerts d’orgues – celles-ci sont encore visibles dans les coulisses du Radio Theatre de la vieille Broadcasting House –, cette BBC emblématique du Royaume-Uni avec des voix qui resteront à jamais célèbres, comme celle de l’illustre chroniqueur et écrivain George Orwell !

Au coeur du siège de la BBC, à Londres, l’immense « newsroom », emblème de la modernité et du rayonnement de l’institution, est active 24 h sur 24. Radio, télévision, internet… la British Broadcasting Corporation informe 440 millions de foyers dans le monde.
Au coeur du siège de la BBC, à Londres, l’immense « newsroom », emblème de la modernité et du rayonnement de l’institution, est active 24 h sur 24. Radio, télévision, internet… la British Broadcasting Corporation informe 440 millions de foyers dans le monde. JIM WINSLET

Ros Atkins, présentateur vedette de l’émission « Outside Source », regardée chaque soir par des dizaines de millions de téléspectateurs dans le monde, n’est pas non plus, à l’évidence, un homme du passé. Tiré à quatre épingles dans son costume bleu nuit, il argumente avec enthousiasme : « A l’heure où quiconque peut avoir accès, simplement en allumant son téléphone, à ­quantité ­d’informations sur le même sujet, le risque, pour une radio et une télévision comme la BBC, c’est que les consommateurs aillent voir ailleurs. J’ai donc voulu, avec ma nouvelle émission, que la BBC leur offre le meilleur de toute cette information disponible en concevant un format télévisé qui puisse aussi être regardé sur un téléphone mobile : les dernières nouvelles mais aussi les derniers échanges intéressants sur les médias sociaux, les meilleurs reportages, les analyses les plus pertinentes des spécialistes, les meilleures réactions de personnalités, les meilleurs clips vidéo, les meilleures photos, les meilleures cartes ou infographies… » Volubile, il poursuit : « J’estime que l’une des plus grandes erreurs que les chaînes de télévision ont commises, c’était de croire naïvement que transférer sur un mobile tout ce qu’on voit sur son écran lors d’une émission séduirait le public. Or, cela ne marche pas ! Ce qu’il faut, c’est, d’une part, proposer de la vidéo à la demande conçue pour un écran de mobile et, d’autre part, diffuser de l’information à petites doses, qui soit également spécialement conçue pour le mobile. Nous étudions actuellement la possibilité pour le spectateur de continuer à regarder sur son téléphone une vidéo ou des breaking news tout en explorant ce qui se dit sur les réseaux sociaux à la recherche d’autres sources, sur Twitter par exemple. C’est cela, parler de l’avenir… »

Pourtant, si l’enthousiasme et le professionnalisme de tous ses collaborateurs sont évidents, si l’expertise de ses journalistes, notamment en politique étrangère, est incontestable, la BBC, elle non plus, n’échappe ni aux turbulences ni aux critiques. Ainsi, au Royaume-Uni, on lui reproche de n’avoir pas su s’aligner financièrement pour garder dans son escarcelle le très populaire concours de pâtisserie « The Great British Bake Off », émission suivie par quelque treize millions de téléspectateurs et qui va passer en 2017 sur la chaîne concurrente Channel 4.

Concurrents de la presse écrite

C’est que la BBC, aujourd’hui, joue la rigueur budgétaire. Elle a en effet annoncé un plan d’économies de 150 millions de livres sterling, qui prévoit notamment des fusions de services dans la partie technique et la suppression de 1 000 postes d’ici à 2017, parmi lesquels un certain nombre de ­senior managers. Ces sacrifices n’empêchent pas la BBC de susciter bien des jalousies. « Les journalistes de la BBC sont payés 40 % plus cher que leurs concurrents ! » s’indigne, en gros caractères à la une, le Daily Telegraph fin septembre 2016, en précisant que le salaire annuel médian de ses journalistes senior est de 49 000 livres (environ 55 000 euros). Et de souligner qu’il est choquant, en termes de coûts, que la BBC envoie 17 personnes pour couvrir un sommet européen… Pour Jim Egan, ces critiques sont liées au succès du groupe. « Nous diffusons non seulement via la télévision et la radio mais, depuis vingt ans, également via le numérique, explique-t-il. Avec le Web, nous sommes donc devenus, d’une certaine façon, des concurrents de la presse écrite et, en cette période de crise pour les journaux imprimés, cela crée inévitablement des rivalités, des tensions qui s’expriment parfois dans leurs commentaires à notre égard. » Après tout, dans le monde des médias comme ailleurs, mieux vaut faire envie que pitié.

6  questions à Jim Egan

Directeur général de BBC Global News Ltd.

Jim Egan

The Good Life : Est-ce une période calme ou agitée pour le groupe BBC ?
Jim Egan : [Sourire.] Pour les professionnels de l’information, il n’y a jamais de période calme, et ils ne diront jamais que rien n’est en train de se passer ! Plus sérieusement, pour la BBC en tant qu’institution, nous venons de connaître une période importante du point de vue de nos relations avec le gouvernement, dont nous percevons la taxe audiovisuelle. Une nouvelle charte régissant ces relations, et notamment garantissant notre indépendance éditoriale, vient d’être publiée, et celle-ci prendra effet en 2017. La BBC a toujours été un organisme indépendant du pouvoir politique et cette indépendance fait partie de nos gènes. Nos journalistes y sont extrêmement attachés et se montrent vigilants. Or, cette nouvelle charte restera valable onze ans et non plus dix ans seulement, comme c’est encore le cas aujourd’hui. C’est un changement notable car, pour la première fois, la reconduction de la charte ne coïncidera plus avec les cinq ans de mandat de notre parlement et cela pourrait compliquer, à terme, le dialogue et les relations avec le pouvoir.
TGL : Quelle est la situation financière de la BBC ?
J. E. : Nous subissons une grosse pression du point de vue budgétaire, car le gouvernement a notamment décidé que le coût de l’exonération de la redevance dont bénéficient les foyers où réside un téléspectateur de plus de 75 ans devra être assumé désormais par la BBC seule, sans contribution de l’Etat. Cela se traduit pour nous par un manque à gagner d’environ cinq millions de livres sterling par an. En outre, nous ne savons pas ce que seront les revenus de la BBC dans onze ans, quand la nouvelle charte devra être reconduite. C’est très difficile de piloter financièrement une entreprise à si long terme, même si notre audience se développe.
TGL : Les rédactions télé, radio et numérique travaillent-elles ensemble ?
J. E. : L’arrivée d’Internet a modifié notre philosophie à cet égard car tout le monde travaillait de son côté. Depuis une dizaine d’années, nous avons une approche multimédia pour les news et nous encourageons cette convergence des équipes. Vous pouvez constater cette collaboration en parcourant notre newsroom. Nos correspondants travaillent tous sur ces trois médias. Mais, évidemment, cette approche multimédia ne veut pas dire du tout que nous produisons la même chose à la télé, à la radio et online ! Car ces trois supports n’ont pas le même sens de l’urgence.
TGL : Vous diffusez 24 h sur 24 dans le monde entier, dans une trentaine de langues différentes, c’est une grande responsabilité ?
J. E. : Certainement, cela nous oblige à ne pas prendre parti, à rester le plus neutre possible lorsque nous annonçons ou commentons une information. Il y a plus de quatre-vingt-dix ans, la BBC a reçu la mission suivante : informer, éduquer, distraire. C’est notre mission de service public. Nous n’avons pas à prendre parti ni à exprimer de point de vue sur le caractère démocratique ou non d’un pays. Par exemple, lors du conflit Ukraine / Russie, nous avons rapporté les faits et donné la position de chacun, nous avons aussi évoqué ce que l’Ukraine représentait historiquement pour la Russie. A la BBC, nous refusons de nous placer dans une perspective de western, où il y a, d’un côté, les bons, et de l’autre, les méchants ! Notre grande force, c’est notre crédibilité. Partout dans le monde, en Asie, en Afrique ou au Moyen-Orient, l’opposition comme les dirigeants en place veulent d’abord s’exprimer sur notre antenne. Autre exemple : nous faisons très attention à n’employer le mot « terroriste » qu’à bon escient, car un résistant, un combattant de la liberté peut être vu comme un terroriste par le camp d’en face. Ce sont des sujets que nous prenons très au sérieux dans notre rédaction, et nous en discutons souvent pendant des heures, car nous avons conscience de notre considérable responsabilité de média planétaire. Cette neutralité, nous l’avons aussi assumée en rendant compte de la campagne et des enjeux du référendum sur le Brexit. Nous n’avons absolument pas pris parti.
TGL : Internet constitue-t-il, à terme, un danger pour la télévision ?
J. E. : Non, je ne crois pas. Nous sommes optimistes car nous sommes une télévision mondiale et nous diffusons dans de nombreux pays émergents, où le nombre de téléspectateurs continue de progresser. Cependant, la télévision, qui est née avant l’ère numérique, doit continuer d’évoluer, car l’éventail des options offertes au public pour accéder à l’information ne cesse de s’élargir. L’offre et la demande d’informations sont toujours abondantes, mais l’information dans laquelle on peut avoir confiance est beaucoup plus rare. Et puis, dans ce métier des news, il faut être optimiste, car ce n’est facile pour personne !
TGL : Pour le centenaire de la BBC, en 2022, l’objectif d’une audience de 500 millions de personnes vous semble‑t‑il réaliste ?
J. E. : Oui, si l’on songe qu’actuellement 95 % des Britanniques nous regardent, nous écoutent ou nous lisent régulièrement chaque semaine et que nous sommes suivis par 320 millions de personnes dans le monde. Nous continuons d’investir pour élargir notre audience et nous ajoutons de nouvelles langues de diffusion.

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