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Distillerie Yamazaki de la marque Suntory
La distillerie Yamazaki de la marque Suntory existe depuis 1923. C’est là que tout a commencé...
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The Good Business

Whisky japonais, success-story

The Good Business

Nombreux sont ceux à l’avoir découvert dans le film Lost in Translation. S’il demeure confidentiel et surtout destiné au marché local, le whisky made in Japan grignote néanmoins de plus en plus de parts de marché à l’international. Surtout en France.

« Ce que nous vivons en ce moment avec les whiskys japonais est extraordinaire, résume Thierry Benitah, président de La Maison du whisky et distributeur en Europe de la marque Nikka. Je les ai découverts en 2000. J’ai été ­séduit par le packaging, mais j’ai surtout été surpris par leur goût ! Ronds, ni trop secs ni trop amers comme peuvent l’être certains whiskys écossais. C’était beau et bon. » Pourtant, du whisky, on en distille au Japon depuis le début du siècle dernier. A l’origine se trouvent deux hommes, dans un premier temps partenaires puis compétiteurs. Masataka Taketsuru, né dans une famille de producteurs de saké, se rend en 1918 à Glasgow afin de parfaire sa formation de chimiste. Il visite des distilleries et étudie leur fonctionnement. Il rentre deux ans plus tard, accompagné d’une jeune Ecossaise qu’il a épousée, et est embauché par Shinjiro Torii, l’autre pionnier du whisky japonais. Shinjiro Torii est le premier à avoir ouvert une distillerie, Yamazaki, qui donnera par la suite naissance à la compagnie Suntory.

La distillerie Yamazaki de la marque Suntory existe depuis 1923. C’est là que tout a commencé…
La distillerie Yamazaki de la marque Suntory existe depuis 1923. C’est là que tout a commencé… Kengo Sato

En 1934, Masataka Taketsuru ouvre ­finalement sa propre distillerie, Yoichi, et fonde la société qui deviendra plus tard la marque Nikka. ­Suntory et Nikka, un « binôme » qui détient un quasi-monopole sur le whisky nippon, même si, par la suite, le développement économique du premier a largement dépassé celui du ­second. Après la Seconde Guerre mondiale, la consommation de whisky connaît une forte croissance au Japon. Les deux marques ouvrent respectivement une seconde distillerie : Miyagikyo, en 1969, pour Nikka, et Hakushu, en 1973, pour Suntory. Elles augmentent leur production, qui croît régulièrement jusqu’au milieu des années 80. Mais, au cours des deux décennies suivantes, elles subissent la concurrence des produits étrangers, favorisés par la baisse des tarifs douaniers. La croissance ne reviendra que dans les années 2000, avec la vogue des highballs, des long drinks comme aimaient en consommer les Japonais dans les années 60, remis au goût du jour par Suntory à grands coups de campagnes publicitaires.

Nikka

  • Propriété du groupe Asahi Breweries.
  • Fondé en 1934 par Masataka Taketsuru.
  • Distilleries : Yoichi (île d’Hokkaido)
    et Miyagikyo (à Sendai, île d’Honshu).
  • Produits emblématiques : Taketsuru 21 ans et From the Barrel.
  • Une production globale d’environ 40 millions de bouteilles par an,
    dont 1,5 million de bouteilles vendues en Europe en 2015.
  • Meilleur producteur de whisky de l’année 2015 et Best International Blend 2015 pour le Nikka From the Barrel à l’International Spirits Challenge (ISC) et meilleur blended malt aux World Whiskies Awards 2015 pour le Taketsuru 17 ans.

La rançon de la gloire

Des single malts Yoichi de la marque Nikka.
Des single malts Yoichi de la marque Nikka. CHRISTOPHER DISABATO

Parallèlement à ce renouveau du marché domestique, Nikka et Suntory se font remarquer lors de compétitions internationales, par un effet de boomerang qui ranime l’attention des Japonais pour leurs propres whiskys. ­Aujourd’hui, le marché domestique reste toutefois, et de très loin, le plus important pour les producteurs. La distribution internationale demeure très marginale et ne représente encore que 4 ou 5 %. A lui seul, Suntory vend 55 % des bouteilles consommées au Japon, dont une bonne proportion de produits communs à servir dilués dans les highballs, et seuls ses produits moyen et haut de gamme sont exportés. Selon les spécialistes, leur rapport qualité-prix dépasse souvent celui de leurs équivalents écossais. Attention, danger pour les Ecossais ! « Aujourd’hui, un tiers des whiskys que nous vendons dans nos boutiques de détail sont japonais. Côté distribution, ils représentent 25 % de notre activité, constate Thierry ­Benitah, qui compte une centaine de marques de whiskys dans son portefeuille. La gamme est riche, et ils sont tous bons. En particulier les blends haut de gamme, qui nous font reconsidérer la suprématie des single malts. Les Japonais allient deux compétences : la distillation telle que peuvent la pratiquer les Ecossais et l’art de l’assemblage comme le font les Français pour le cognac, par exemple. »

L’Hibiki 12 ans d’âge, l’un des produits emblématiques de la marque Suntory.
L’Hibiki 12 ans d’âge, l’un des produits emblématiques de la marque Suntory. DR

Climat tempéré, eau pure et tourbières sont autant d’éléments naturels favorables, tandis que les procédés de distillation sont les mêmes qu’en Ecosse. Les goûts et les styles sont néanmoins différents, particulièrement pour ces blends, élaborés avec grand soin. Ils contiennent souvent un pourcentage élevé de single malts et le whisky de grain avec lequel ils sont mélangés est toujours élaboré à partir de maïs. Les Japonais ont le souci du détail et chaque élément compte dans la fabrication de leurs whiskys : toutes les tailles et formes possibles d’alambics sont utilisées. A la distillerie Yoichi, de Nikka, ils sont ­chauffés au feu de charbon, une méthode qui a été abandonnée par les Ecossais. Chez Suntory, on utilise cinq types de fûts de chêne, dont le mizunara, que l’on ne trouve que dans le nord du pays. Ce qui fournit au maître assembleur une centaine de single malts avec lesquels composer ses assemblages. Et, en fin de compte, les produits, qu’ils soient des single malts ou des blends, sont complexes et subtils. La rançon de la gloire, c’est la rupture de stock que connaissent ­aujourd’hui de nombreux produits âgés. Difficile, par exemple, de trouver des Yoichi de plus de 12 ans. Les single malts sont majoritairement destinés aux blends et ceux qui restent sont réservés au marché japonais. Lequel connaît aussi des difficultés dues à une flambée de la demande suscitée par la diffusion de « Massan », un feuilleton qui relate la romance entre un entrepreneur japonais et une jeune femme écossaise…

La distillerie Yamazaki de la marque Suntory existe depuis 1923. C’est là que tout a commencé…
La distillerie Yamazaki de la marque Suntory existe depuis 1923. C’est là que tout a commencé… DR

Nikka, puisqu’il s’agit de l’histoire de son fondateur, a vu ses ventes exploser, un engouement qui a aussi rejailli sur les autres marques. Autre phénomène : les sommets qu’atteignent les bouteilles âgées. Le 30 août dernier, une bouteille de 1960 s’est vendue 100 000 euros. Elle en valait cinq fois moins il y a deux ans. Thierry Benitah d’en conclure : « Nous sommes dans un cycle très haut, mais il y a encore de la place. En Asie, surtout avec la Chine, il y a maintenant entre un et dix millions de consommateurs pour le haut de gamme. Le marché américain avait pris du retard, mais il se rattrape. Et, en France, nous connaissons encore une croissance annuelle de 30 à 40 %. On en a pour vingt ans avec ces produits-là ! »

Suntory

  • Beam Suntory est la 3e compagnie de spiritueux dans le monde.
  • Fondée en 1899 par Shinjiro Torii, elle produit du whisky depuis 1923.
  • Distilleries : Yamazaki (près de Kyoto, île d’Honshu) et Hakushu (à l’ouest de Tokyo).
  • Produits emblématiques : Hibiki 12 ans et Yamazaki 18 ans.
  • 2,7 millions de bouteilles vendues hors du Japon en 2014.
  • Médaille d’or en 2015 pour l’Hibiki Blended 21 ans à l’International Spirits Challenge (ISC). Whisky de l’année pour le Yamazaki Sherry Cask 2013, selon la Jim Murray’s Whisky Bible.

4 questions à Keita Minari

Brand manager international chez Beam Suntory pour les régions Europe, Moyen‑Orient et Afrique.

Keita Minari, Beam Suntory.

The Good Life : Comment a débuté l’exportation des whiskys de la marque Suntory ?
Keita Minari : Nous avons commencé à exporter de l’Hibiki et du Yamazaki
aux Etats-Unis et au Royaume-Uni durant les années 90. Ils étaient essentiellement destinés aux bars fréquentés par les expatriés japonais qui en réclamaient. Tout a changé en 2003, quand le Yamazaki 12 ans a remporté une médaille d’or à Londres à l’International Spirits Challenge (ISC). C’était la première fois que nous participions à une compétition internationale. Nos maîtres assembleurs désiraient se mesurer aux autres. Notre but n’était pas une expansion internationale, mais nos whiskys ont suscité l’intérêt des connaisseurs et généré une demande. Nous avons commencé à élargir notre gamme dans les pays où nous avions déjà un bureau, aux Etats‑Unis, au Royaume‑Uni et à Taïwan.
TGL : Quel type de marketing et de distribution avez-vous choisi ?
K. M. : La consommation du whisky n’est pas la même en Occident et au Japon. Les Japonais ne le boivent pas sec, mais l’allongent avec de l’eau ou du soda, ce que nous appelons un highball. En général, les consommateurs occidentaux ne veulent pas le diluer. Il s’agissait donc de le positionner haut de gamme. Côté distribution, nous nous concentrons sur le marché des bars et des restaurants et, en France, notre marché le plus important en Europe, sur les cavistes sélectifs où le personnel peut convenablement informer les clients. Nous visons particulièrement le réseau duty free qui est un très bon marché et une excellente façon d’atteindre notre clientèle.
TGL : Quels sont vos compétiteurs ?
K. M. : Nikka est plus important que Suntory en France, avec des volumes  de ventes plus grands. Et ce, grâce au travail de la Maison du whisky. Mais
en Europe, je dirais que nous sommes à 50‑50. Mais n’oublions pas que Suntory n’offre que le haut de gamme. En France, notre prix le plus bas est à 50 € pour l’Hibiki 12 ans, alors que le Nikka From the Barrel est à 40 €. Quant aux Ecossais, je ne suis pas tout à fait sûr qu’ils nous considèrent comme des compétiteurs. Nous non plus, d’ailleurs, nous ne les voyons pas ainsi. Les consommateurs, en particulier les connaisseurs, veulent toujours essayer de nouveaux produits. Ils achètent et conservent différents whiskys de plusieurs marques.
TGL : Quels sont vos défis pour l’avenir ?
K. M. : Conserver une progression stable, qui ne doit pas être trop rapide, car il faut du temps pour fabriquer le whisky.  Parce que nous sommes soumis à des limitations en termes d’allocations de stocks, nos rêves doivent être raisonnables. Nous devons stabiliser et modérer la croissance, tout en augmentant la valeur de notre marque à travers notre réseau d’ambassadeurs et des événements de relations publiques. Nous aimerions attirer encore plus d’amateurs de spiritueux, pas seulement ceux qui boivent déjà du whisky, mais aussi les amateurs de cognac ou de rhum, et transmettre la culture japonaise à travers nos produits.

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