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Michel Vaillant, Mais où est-il passé ?
Certains dessins ne sont pas sans rappeler Roy Lichtenstein, figure du Pop Art. Ici, une case de l'album, Mais où est-il passé ?
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Culture

Michel Vaillant La BD fait le mur

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L’acquisition d’une planche originale de Michel Vaillant reste hors de portée de votre bourse ? Consolez-vous en achetant une case extraite de l’un des albums de la série créée par Jean Graton, agrandie et encadrée, que vous pourrez accrocher au mur du salon pour épater vos amis. Ensuite, il sera toujours temps de répondre à la question : est-ce de l’art ou de la décoration ?

La course automobile mène à tout, même à l’art contemporain. Si on avait dit à Michel Vaillant qu’il serait un jour encadré et exposé sur les murs, il aurait sans doute été étonné. Ce n’est pas la première sortie de route de ce héros de bande dessinée, créé par Jean Graton en 1957 dans l’hebdomadaire Le Journal de Tintin. En 1967, il avait eu droit aux honneurs d’une série télévisée, déclinée en roman-photo dans les pages de Télé Poche. En 2003, Luc Besson avait fait de lui une vedette de cinéma. Cette fois, le voilà transformé en icône et appelé à trôner en bonne place dans le salon de ses aficionados. Et ils sont nombreux : le succès populaire du personnage, dont les exploits sont désormais contés par une nouvelle équipe d’auteurs de BD, ne s’est jamais démenti.
La société Art Dynamics et Graton Editeur proposent un ensemble de cases agrandies, dont le format varie entre 80 x 60 cm et 120 x 120 cm, disponibles sur le site -Michelvaillantartstrips.com. Si la plupart reprennent l’une de ces scènes de course qui ont fait la réputation de la série, certaines mettent en valeur les onomatopées caractéristiques de l’œuvre de Graton, de « Vroaw » à « Vrooowooar ». Une autre, extraite de l’album Le Fantôme des 24 Heures, montre Michel Vaillant de dos, dont la silhouette nocturne et fantomatique se découpe sur un fond bleu nuit du plus bel effet. Editées en tirage limité de trente exemplaires accompagnés d’un certificat d’authenticité, imprimées sur Plexiglas ou sur un papier Fine Art de haute qualité, elles sont vendues entre 900 et 2 400 euros.
Le projet est né de la rencontre entre Philippe Graton, fils de l’auteur, mais aussi coscénariste des nouvelles aventures du pilote automobile, et Jean-Louis Dauger, créateur d’Art -Dynamics. Les deux hommes s’étaient croisés lorsque le second, alors en poste chez Eurosport, était chargé de promouvoir le championnat du monde des voitures de tourisme (WTCC). Il avait eu l’idée de transformer une Chevrolet en Vaillante, la marque fictive inventée par Jean Graton, et de l’inscrire à la compétition – pour l’anecdote, elle avait d’ailleurs remporté l’épreuve. De son côté, Dominique Graton, épouse de Philippe et directrice artistique de profession, rêvait depuis plusieurs années de mettre en valeur le travail de son beau-père, dont le trait et le coup de pinceau se trouvent, selon elle, écrasés par les albums. « La première étape a consisté à choisir les cases, explique Jean-Louis Dauger. Nous nous sommes inspirés des albums publiés entre 1957 et 1975, qui correspondent à la période graphique la plus riche de Michel Vaillant. Dominique leur a donné une dimension originale en intervenant sur les couleurs et sur le cadrage, mais sans toucher au trait du dessinateur. Quand nous avons présenté le résultat à Jean Graton, il a été très ému. Il s’est montré à la fois étonné de la force artistique de son travail, lui qui ne s’était jamais considéré comme un artiste, et très fier de cette reconnaissance obtenue de son vivant. »

Pour acheter une bulle

www.michelvaillantartstrips.com

Bulles à lire

Jean Graton et Michel Vaillant – L’Aventure automobile, Xavier Chimits et Philippe Graton, hors collection, 320 p., 59 €.
OuPus 2, collectif, L’Association, 132 p., 26,40 €.

Dernier album parru

Collapsus, Philippe Graton, Lapière, Bourgne et Benéteau, Dupuis, 56 p., 15,50 €

Un statut d’œuvre d’art ?
Les treize premières pièces de la collection (le lecteur avisé remarquera le clin d’œil au cinquième album de la série, Le 13 est au départ), assorties d’une image supplémentaire permettant de composer un diptyque, ont été présentées au public lors de la fête de l’Automobile Club de l’Ouest, organisée en juillet 2015 au Mans, avant de voyager à Bruxelles et dans différentes villes de France. « Notre objectif était d’intéresser à la fois les lecteurs de la bande dessinée, les fans de course automobile familiers de l’univers de Michel Vaillant et le public amateur d’art. Mais des acheteurs qui ne connaissaient pas la série et qui n’étaient pas des passionnés de sport mécanique ont été séduits, notamment par le dessin montrant Michel Vaillant de dos », poursuit Jean-Louis Dauger.
Certains visiteurs n’ont pas manqué, face à la case représentant le visage en gros plan de Françoise – la belle-sœur du héros – s’exclamant « Michel !? », d’établir un parallèle avec l’œuvre du peintre américain Roy Lichtenstein, figure marquante du pop art. Une réaction qui amène à se poser la question suivante : ces cases en forme de tableaux constituent-elles des œuvres d’art ? Ou ne sont-elles que des objets décoratifs dénués de toute valeur artistique, dont la seule vocation consiste à « faire joli » dans un intérieur ? « Nous sommes vraiment dans le domaine de l’art ! » s’enthousiasmait Jean-Louis Dauger dans une interview publiée en juin 2015 par le site Actua BD.
Pourtant, si le résultat obtenu semble être le même, la démarche de Roy Lichtenstein était radicalement différente. L’artiste américain ne se contentait pas de reproduire quasiment à l’identique et en grand format des cases de bandes dessinées. Il les repeignait et se les réappropriait, donnant ainsi naissance à une œuvre aussi nouvelle que personnelle. Son travail, loin d’avoir un objectif décoratif, trouvait sa source dans une volonté de réflexion sur les images issues de ce qu’il appelait l’art commercial. Roy Lichtenstein s’interrogeait sur les stéréotypes de l’imagerie populaire, de la BD à la publicité. « Ces cases agrandies ne suffisent pas pour postuler que Jean Graton est un artiste, et ses qualités esthétiques ont d’ailleurs été rarement reconnues par la critique, estime Didier Pasamonik, spécialiste de la bande dessinée franco-belge et responsable d’Actua BD. Mais ces agrandissements constituent en eux-mêmes un geste esthétique. On peut considérer que l’œuvre d’art réside à la fois dans la planche originale et dans le multiple auquel elle donne naissance. Un dessin peut acquérir une capacité d’abstraction qui n’était pas perceptible dans la bande dessinée dont il est extrait. »

La silhouette du héros dans Le Fantôme des 24 heures, énigmatique sur fond bleu nuit.
La silhouette du héros dans Le Fantôme des 24 heures, énigmatique sur fond bleu nuit. Jean Graton

« Raides comme des manches à balai »
Les critiques, c’est vrai, n’ont pas toujours été tendres avec Jean Graton. Ils lui ont reproché une certaine raideur du trait, une fâcheuse tendance à donner à ses personnages la même forme de visage et un goût prononcé pour les stéréotypes familiaux ou sociaux. François Ayroles, membre de l’Ouvroir de bande dessinée potentielle (OuBaPo), qui pratique une bande dessinée sous contraintes dans la filiation de l’OuLiPo cher à Raymond Queneau, illustre bien ces griefs. Il s’est amusé à réinterpréter des planches de l’album Le 13 est au départ dans le recueil OuPus 2 de l’OuBaPo. Cet exercice de style aussi brillant qu’hilarant met en scène les membres de la famille Vaillant s’interrogeant sur la grammaire de la bande dessinée et sur les limites de leur dessinateur, à grands coups de dialogues surréalistes nourris par un vocabulaire théorique. « L’inventivité des processus syntaxiques est reniée et bafouée, Michel ! En gros plan, nos visages paraissent encore plus mal dessinés », dit madame Vaillant à son fils. « Je sais bien qu’on a l’air raides comme des manches à balai, concède celui-ci. On prétend que notre système narratif ne vaut plus tripette… à croire qu’il y a un complot de l’avant-garde ! » Tandis qu’une « contrôleuse de séquentialité » suggère au héros de « renouveler [ses] procédés rhétoriques et dramaturgiques »…
Pourtant, la parution, en octobre dernier, d’un beau livre intitulé Jean Graton et Michel Vaillant  – L’Aventure automobile, rend hommage à la beauté et à la force du travail du dessinateur. Grâce à la reproduction de nombreux dessins et planches, il met en lumière la capacité de séduction de son trait, dont la lisibilité est caractéristique des auteurs publiés dans l’hebdomadaire Tintin. Et si, en réalité, la véritable œuvre d’art n’était autre que ces planches originales, longtemps décriées, mais reconnues aujourd’hui à leur juste valeur ? L’une d’elles, souligne Didier Pasamonik, a d’ailleurs été acquise, lors d’une vente aux enchères organisée en octobre 2015 par Sotheby’s, pour la coquette somme de 55 000 euros.
« Cette forme d’hommage n’est pas inintéressante, car elle est très forte d’un point de vue graphique, observe Jean-Jacques Launier, responsable du musée d’Art ludique consacré aux artistes issus du jeu vidéo, de l’animation et de la bande dessinée. Quand on agrandit un dessin, le résultat est toujours spectaculaire. Mais il s’agit d’un artifice de décoration : l’œuvre en elle-même, c’est la planche originale de Jean Graton. » Finalement, c’est sans doute Michel Vaillant qui avait raison quand il s’exclamait, dans OuPus 2, plein d’enthousiasme : « La cohésion plastico-narrative est pourtant évidente. Mes aventures ont fait leurs preuves depuis longtemps ! Je puis vous rassurer, nos partis pris formels ont la vie dure. »

Des aventures toujours « A fond ! » et un trait des plus caractéristiques.
Des aventures toujours « A fond ! » et un trait des plus caractéristiques. Jean Graton
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