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Le laboratoire de recherche IBM de Yorktown Heights.
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The Good Business

IBM Research : Big Blue cherche… et trouve

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En 2014, le géant américain a injecté 5,4 milliards de dollars dans la recherche et le développement et anime douze laboratoires, qui, chacun dans leur domaine, vont changer le monde de demain et, pour certains, d’aujourd’hui. The Good Life a visité l’un d’eux et a rencontré Watson, un superordinateur révolutionnaire. De la recherche informatique cognitive à la réalité commerciale… Sidérant !

Au laboratoire de recherche IBM de Yorktown Heights, à 65 kilomètres au nord de New York, il ne faut pas espérer voir Watson. Encore moins s’attendre à trouver un ordinateur surdimensionné occuper une pièce entière et piocher, tous voyants clignotants, dans sa base de données pour trouver les réponses aux questions des visiteurs de passage. « Nous préférons ne pas le montrer… pour ne pas décevoir », s’amuse-t-on chez Big Blue, surnom donné à l’entreprise en référence au bleu de son logo. Car le supercalculateur d’IBM, aujourd’hui le système cognitif le plus puissant sur le marché, n’a presque plus de présence physique. Ses capacités sont pourtant impressionnantes : Watson peut comprendre le langage oral et fonctionne, comme le cerveau humain, par hypothèses, déductions et rapprochements d’idées, via des algorithmes de réflexion. Mais contrairement à l’homme, Watson n’oublie rien. Il enrichit en permanence sa base de données au fil de ses lectures et apprend des interactions avec son environnement. Le monde entier a découvert Watson – du nom du premier pré­sident d’IBM, Thomas Watson – en février 2011, lors de sa participation au jeu télévisé Jeopardy!, l’un des plus populaires aux États-Unis. Dotée, pour l’occasion, d’une voix masculine sympathique, la machine intelligente s’est vue confrontée à deux adversaires humains, Ken Jennings et Brad Rutter, les plus grands champions de l’histoire de Jeopardy!. Selon le principe du jeu, les candidats devaient retrouver les questions aux réponses fournies par le présentateur. Cela suppose une parfaite maîtrise du langage humain, de son contexte, et de ses degrés, subtilités et jeux de mots divers. « Un pari technologique fou, se souvient David McQueeney, vice-président de Computing as a Service, à Yorktown Heights, chez IBM Research depuis plus de vingt-cinq ans. Nous étions terrorisés à l’idée que cela ne marche pas. La direction du groupe était présente dans le public, tout le monde souriait et profitait du moment. Sauf les chercheurs de l’équipe technique, qui étaient très anxieux. » Watson a finalement remporté deux des trois manches, démontrant ainsi ses capacités exceptionnelles à comprendre le langage humain à la vitesse de la pensée humaine. IBM avait relevé le défi, l’étape commerciale pouvait commencer.

Dates clés d’IBM Watson Group

  • 2006 : lancement du projet Watson, dans le laboratoire de recherche de Yorktown Heights.
  • Février 2011 : Watson participe à Jeopardy ! et remporte deux des trois manches face à deux champions humains du jeu télévisé américain.
  • Septembre 2011 : début de la commercialisation de Watson dans le secteur de la santé. IBM s’allie au groupe privé d’assurance maladie WellPoint pour développer des applications susceptibles d’aider les médecins dans leur expertise.
  • Mars 2012 : commercialisation étendue au secteur financier.
  • Janvier 2014 : lancement de l’IBM Watson Group, une business unit dont le siège mondial est à New York, dans la Silicon Alley.

La recherche et l’innovation chez IBM

  • 12 laboratoires de recherche dans 10 pays (Etats-Unis, Brésil, Kenya, Israël, Suisse, Irlande, Inde, Chine, Japon, Australie) et sur 6 continents.
  • Plus de 3 000 chercheurs, dont 5 ont reçu le prix Nobel de physique.
  • 5,4 Mds $ investis en R & D en 2014.
  • 7 534 brevets déposés en 2014, un record, grâce aux 8 500 inventeurs IBM présents aux États-Unis et dans 43 pays. 40 % des brevets dans le secteur du cloud, de l’analytique, de la mobilité, du social et de la sécurité. 7 % dans celui des systèmes cognitifs, dont les nouvelles technologies liées à Watson.

La santé, secteur clé

Chez Big Blue, on le répète : Watson est un partenaire de l’humain. Il l’aide à améliorer ses performances, mais il n’est pas amené à le remplacer. D’ailleurs, selon IBM, la puissance de calcul atteinte par la machine n’est équivalente qu’à 1 million de neurones et à quelques milliards de connexions, alors que le cerveau humain compte environ 100 milliards de neurones et 100 milliards de milliards de connexions. Le secteur de la santé s’est très vite montré ­intéressé par le potentiel du programme. Quelques mois seulement après le succès télévisé de Watson, la firme d’Armonk a noué un partenariat avec le groupe privé d’assurance maladie WellPoint. L’idée était de développer des applications visant à aider les médecins à établir leurs diagnostics et à définir les traitements adaptés. La très réputée clinique privée ­Cedars-Sinai Medical Center de Los Angeles, institut californien de recherche sur le cancer, a été l’un des tout premiers utilisateurs. Quand il faut des semaines aux cancérologues pour constituer le dossier d’un patient et déterminer un diagnostic avec précision, Watson n’a besoin que de quelques minutes grâce au traitement des innombrables informations du big et de l’open data. Pour le seul domaine de la cancérologie, ­Watson for Oncology a ingurgité plus de 12 millions de pages d’articles, 300 journaux spécialisés, 200 livres médicaux et des millions de dossiers de patients. Cette formidable base de données permet à Watson de proposer non seulement les traitements approuvés pour le type de cancer étudié, mais aussi ceux qui ne le sont pas encore, voire de suggérer des traitements habituellement administrés à certains types de cancers, mais qui pourraient se révéler efficaces pour celui du malade en question. La machine constitue un extraordinaire synthétiseur des recherches les plus exhaustives possible, un outil précieux pour le médecin, qui « reste le seul à décider de la pertinence du diagnostique et du traitement », rappelle Ajay Royyuru, à la tête d’IBM Watson Genomic Analytics (lire interview). Des dizaines d’instituts et de centres médicaux américains utilisent déjà Watson en mode cloud, ainsi que l’hôpital interna­tional Bumrungrad, à Bangkok, en Thaïlande, ou encore le Metropolitan Health, le plus grand administrateur de soins de santé d’Afrique du Sud, qui offre ainsi à ses millions d’administrés des réponses personnalisées.
« Watson a considérablement évolué, estime Eric Brown, directeur de Watson Algorithms, qui a dirigé l’une des équipes d’ingénieurs créatrices du programme intelligent. Le système d’origine constitue la base de notre so­lution actuelle, mais, enrichi par d’autres technologies développées par IBM, il a changé d’échelle. » Si la santé constitue un secteur clé pour IBM, le champ d’application est vaste : services financiers – analyse et gestion des risques, amélioration de la relation client –, secteur juridique, éducation – collaboration avec une centaine d’universités à travers le monde –, télécommunications, tourisme, ingénierie appliquée à l’industrie pétrolière ou encore services publics. La ville de Singapour a fait appel au programme de Big Blue pour améliorer l’offre de services à ses concitoyens. Aujourd’hui, IBM assure avoir des milliers de clients et de partenaires dans 25 pays. Pour centraliser et accélérer la commercialisation de Watson, un siège mondial a été créé l’an dernier à Manhattan. Cette business unit, baptisée Watson Business Group, propose ses services cloud cognitifs au cœur de la Silicon Alley, le pendant new-yorkais de la Silicon Valley. Une offre qui s’étoffe au fur et à mesure des avancées linguistiques : après l’anglais, l’espagnol, le portugais et le japonais, Watson apprend le français.

Celia, l’avenir de Watson

Quelle étape après Watson ? « Les ordinateurs du futur ne nécessiteront plus forcément d’interface entre eux et nous, explique Brian Gaucher, chercheur et senior manager à la tête du laboratoire des environnements cognitifs chez IBM Research. Les écrans, microphones et vidéos ne seront plus physiquement entre vous et moi, mais constitueront des outils avec lesquels nous pourrons discuter et interagir au sein même de notre environnement. » Cet ensemble de nouvelles technologies permettant aux humains de mieux communiquer avec le système d’intelligence artificielle a été baptisé Celia, acronyme de Cognitive Environment Lab Intelligent Agent. L’environnement – le bureau d’un chef d’entrerise, une salle de réunion… – entièrement connecté permet à l’humain de ne plus se retrouver derrière son écran d’ordinateur, mais de se mouvoir librement tout en conversant oralement avec le système via des capteurs, des caméras et des écrans muraux. Un dialogue permanent et en temps réel entre l’homme et Celia qui, ensemble, affinent leur expertise. Le groupe énergétique espagnol Repsol a déjà opté pour Celia afin de réduire ses coûts de prospection de gisements pétroliers et gaziers. « Nous avons tellement de choix qui s’offrent à nous aujourd’hui, c’est formidable de pouvoir prendre les meilleures décisions grâce à l’aide d’un tel outil ! » s’enthousiasme Brian Gaucher. Pour IBM, le temps où la machine remplacera l’homme n’est donc pas encore totalement arrivé.

Watson en cuisine

Lancée en 2014, Chef Watson est une application ludique d’IBM dans le secteur culinaire. Elle permet aux internautes de concevoir des recettes à partir de combinaisons d’ingrédients qu’ils auront proposées. La machine a ingéré les 10 000 recettes de cuisine du magazine Bon appétit et des programmes sur les composés chimiques des aliments dont les alliances créent les saveurs. « Vous indiquez à Watson les différents ingrédients qui se trouvent dans votre réfrigérateur et il vous propose tous les plats possibles – et bons – réalisables, explique Florian Pinel, ingénieur en chef du projet. Il est très intéressant pour nous d’étudier l’interaction entre les internautes et Chef Watson. »

Un site est désormais disponible : www.ibmchefwatson.com

3 questions à Ajay Royyuru

Directeur du Computational Biology Center à Yorktown Heights. Il mène actuellement la recherche et le développement d’une solution pour la génomique basée sur la personnalisation du traitement du cancer.

The Good Life : Qu’est-ce qu’IBM Watson Genomics Analytics ?
Ajay Royyuru : C’est une solution que nous avons créée pour traduire une séquence d’ADN d’un patient atteint d’un cancer, comprendre son profil génétique et lui offrir des options de traitements personnalisés. C’est une thérapie qui vise spécifiquement la molécule et qui est complémentaire des autres options thérapeutiques, comme la chimiothérapie et la radiothérapie. Ce travail est difficile, car il exige une expertise très poussée, que possèdent les cancérologues et les généticiens, et Watson permet de l’accélérer. On passe, dans certains cas, de plusieurs semaines à quelques minutes, dans des volumes beaucoup plus importants. C’est une offre d’assistance cognitive.
TGL : Qui sont vos clients ?
A. R. : Le système est déployé dans l’IBM Cloud et utilisé par 15 centres médicaux spécialistes du cancer – 14 aux Etats-Unis et 1 au Canada. Nous collaborons également, depuis mars 2014, avec le New York Genome Center pour des études de prospective.
TGL : Qu’avez-vous appris, jusqu’à présent, de ces partenariats ?
A. R. : J’ai appris que chaque personne possède un degré différent de tolérance aux détails. Certains praticiens veulent simplement connaître les traitements adaptés à leurs patients. D’autres veulent, au contraire, en savoir toujours plus sur des traitements autres que ceux qu’ils connaissent déjà. D’un côté, c’est « montre-moi moins », de l’autre, « montre-moi plus ». La demande d’exigence peut varier, et ça, je ne m’y attendais pas.

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